Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 juin et 26 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Total Marketing France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 8 de l'arrêté du secrétaire d'Etat chargé du budget du 14 avril 2015 précisant les modalités de remboursement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques dans le cadre des régimes visés aux articles 265 C, 265 bis et 265 nonies du code des douanes en tant qu'il impose de justifier de l'impossibilité géographique de s'approvisionner en carburants exonérés et de justifier de l'impossibilité de se constituer en stockage spécial ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 ;
- le code des douanes ;
- le décret n° 2009-805 du 26 juin 2009 ;
- le décret n° 2014-1395 du 24 novembre 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Etienne de Lageneste, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Total Marketing France et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat du ministre des finances et des comptes publics ;
1. Considérant que si la société Total Marketing France demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 8 de l'arrêté du 14 avril 2015, pris pour l'application du décret du 24 novembre 2014, qui fixe les pièces justificatives à fournir pour les demandes de remboursement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, ses conclusions doivent cependant être regardées comme tendant uniquement à l'annulation des cinquième et sixième alinéas du II de cet article 8, qui prévoient que la demande de remboursement de taxe intérieure de consommation acquittée par un utilisateur final de carburant d'aviation comporte les pièces suivantes : " - la justification de l'impossibilité géographique de s'approvisionner en carburants exonérés ; / - la justification de l'impossibilité de se constituer en stockage spécial " ;
Sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre des finances et des comptes publics :
2. Considérant que la société Total Marketing France est le seul opérateur en France à approvisionner de très nombreux aérodromes pour moins de 50 mètres cubes par an d'un carburant, dénommé AVGAS, destiné aux avions de tourisme à moteur à piston ; qu'elle a fait le choix de placer ses stocks dans ces aérodromes sous le régime de la taxe acquittée et non sous le régime de la franchise en ne constituant pas ses dépôts en dépôt spécial de carburants d'aviation ; que les dispositions des cinquième et sixième alinéas du II de l'article 8 de l'arrêté qu'elle attaque préjudicient à ses intérêts dès lors qu'elles peuvent diminuer la clientèle s'approvisionnant dans ces aérodromes et la conduire à réorganiser son réseau de distribution de carburants ; que, dès lors, contrairement à ce que soutient le ministre, la société a intérêt à demander l'annulation de ces dispositions ;
Sur la légalité interne des dispositions attaquées :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 265 bis du code des douanes, qui assure la transposition du b) de l'article 14 de la directive du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité : " 1. Les produits énergétiques mentionnés à l'article 265 sont admis en exonération des taxes intérieures de consommation lorsqu'ils sont destinés à être utilisés : (...) / b) Comme carburant ou combustible à bord des aéronefs utilisés par leur propriétaire ou la personne qui en a la disposition à la suite d'une location, d'un affrètement ou à tout autre titre à des fins commerciales, notamment pour les besoins d'opérations de transport de personnes, de transport de marchandises ainsi que pour la réalisation de prestations de services à titre onéreux " ; que, pour bénéficier de l'exonération prévue à cet article, les opérateurs doivent, en vertu du décret du 26 juin 2009 fixant les modalités d'application du b du 1 de l'article 265 bis du code des douanes relatif à l'exonération de taxe intérieure de consommation pour les produits énergétiques utilisés comme carburant ou combustible à bord des aéronefs, soit s'approvisionner directement en carburants exonérés auprès d'un entrepôt fiscal de carburants et de combustibles d'aviation, d'un dépôt spécial de carburants d'aviation ou d'un stockage spécial de carburants d'aviation, soit demander le remboursement des droits qu'ils ont acquittés ; qu'aux termes de l'article 3 de ce décret : " L'exonération est accordée sous la forme d'un remboursement, pour les opérateurs qui exercent à la fois une activité commerciale accessoire et une activité de tourisme privé et ne peuvent acquérir de carburant d'aviation en exonération. Sur justifications présentées par l'opérateur, le remboursement est limité à la part de la taxe intérieure de consommation afférente à l'utilisation commerciale des aéronefs " ; qu'aux termes de l'article 6 du même décret : " Les stockages spéciaux de carburants et combustibles d'aviation, d'une capacité globale maximale de 50 m³, sont des établissements dont la création est autorisée pour une durée de cinq ans par l'administration./ (...) Ces établissements de stockage spéciaux reçoivent et conservent des carburants et combustibles d'aviation, exonérés de la seule taxe intérieure de consommation, préalablement mis à la consommation, et sont réservés à l'usage unique du titulaire de l'autorisation pour les besoins de son activité. (...) " ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 352 du code des douanes : " 1. Les demandes en restitution de droits et taxes perçus par l'administration des douanes, les demandes en paiement de loyers et les demandes en restitution de marchandises, à l'exclusion des demandes formulées en application des articles 236 à 239 du code des douanes communautaire, sont présentées à l'administration dans les délais et conditions fixées par décret en Conseil d'Etat " ; que le IV de l'article 2 du décret du 24 novembre 2014 relatif aux modalités de remboursement de certains droits et taxes perçus par l'administration des douanes pris en application de l'article 352 du code des douanes dispose qu'" un arrêté du ministre chargé des douanes précise les pièces justificatives à fournir ainsi que les modalités particulières de présentation et d'instruction des demandes " en ce qui concerne certains régimes de remboursement, au nombre desquels figure celui prévu par l'article 265 bis du code des douanes ;
5. Considérant que si le ministre soutient que les dispositions attaquées prises en application du IV de l'article 2 du décret du 24 novembre 2014 ont pour objet d'inciter les opérateurs à privilégier l'exonération à la source plutôt que la procédure de remboursement, le décret du 26 juin 2009 a prévu que la procédure de remboursement est ouverte aux opérateurs exerçant une activité commerciale accessoire et une activité de tourisme, qui ne peuvent acquérir de carburants exonérés de droits ; qu'ainsi, les dispositions attaquées ne se bornent pas à définir des pièces justificatives à fournir pour obtenir le remboursement de la taxe mais ont pour effet de restreindre la procédure de remboursement aux seuls opérateurs qui n'ont pas matériellement la possibilité de s'approvisionner dans des dépôts de carburants bénéficiant du régime de suspension de la taxe ou du régime des " droits acquittés à taux zéro " ou de se constituer en stockage spécial, alors qu'aucune disposition législative ne leur interdit de s'approvisionner dans d'autres structures ; que, par suite, les cinquième et sixième alinéas du II de l'article 8 de l'arrêté excèdent les limites de l'habilitation résultant de l'article 2 du décret du 24 novembre 2014 et ajoutent illégalement des conditions pour bénéficier du droit à remboursement résultant du décret du 26 juin 2009, pris en application de l'article 265 bis du code des douanes ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la société Total Marketing France est fondée à en demander l'annulation ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Total Marketing France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ; que, sur le fondement des mêmes dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Total Marketing France ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les cinquième et sixième alinéas du II de l'article 8 de l'arrêté du 14 avril 2015 du secrétaire d'Etat chargé du budget précisant les modalités de remboursement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques dans le cadre des régimes visés aux articles 265 C, 265 bis et 265 nonies du code des douanes sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à la société Total Marketing France la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions du ministre des finances et des comptes publics présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Total Marketing France et au ministre des finances et des comptes publics.