Vu la procédure suivante :
Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 7 octobre 2011 de la commission de médiation de Paris rejetant le recours amiable qu'elle avait présenté en vue de bénéficier d'une offre de logement dans le cadre des dispositions de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation et, d'autre part, de la désigner comme prioritaire et devant être logée en urgence. Par un jugement n°1202711 du 7 février 2014, le tribunal administratif a rejeté cette demande.
Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistré les 16 juin et 16 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à Me Corlay, avocat de Mme A..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Corlay, avocat de MmeA... ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A...a déposé le 18 mars 2011 un recours amiable devant la commission de médiation de Paris pour obtenir une offre de relogement en application des dispositions du II de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation ; que ce recours était motivé par l'insécurité du logement qu'elle occupait du fait d'actes de délinquance dans et à proximité de l'immeuble, ainsi que par un défaut d'entretien de cet immeuble ; que, par une décision du 13 décembre 2011, la commission de médiation a refusé de désigner Mme A... comme prioritaire et devant être logée en urgence dans un logement répondant à ses besoins et à ses capacités ; que l'intéressée se pourvoit en cassation contre le jugement du 7 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté son recours contre cette décision ;
Sur la compétence du Conseil d'Etat :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, dans sa version applicable aux jugements rendus à compter du 1er janvier 2014 : " (...) le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : / 1° Sur les litiges relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi, mentionnés à l'article R. 772-5, y compris le contentieux du droit au logement défini à l'article R. 778-1 " ; que les litiges relatifs aux décisions des commissions de médiation refusant de désigner une personne comme prioritaire et devant être logée en urgence dans un logement répondant à ses besoins et à ses capacités constituent, au sens de ces dispositions, des litiges relatifs aux droits attribués au titre du logement ; qu'il suit de là que le jugement attaqué a été rendu par le tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort et peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation ;
Sur le pourvoi :
3. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation : " La commission de médiation peut être saisie par toute personne qui, satisfaisant aux conditions réglementaires d'accès à un logement locatif social, n'a reçu aucune proposition adaptée en réponse à sa demande de logement dans le délai fixé en application de l'article L. 441-1-4. / Elle peut être saisie sans condition de délai lorsque le demandeur, de bonne foi, est (...) logé dans des locaux impropres à l'habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux. / (...) / Dans un délai fixé par décret, la commission de médiation désigne les demandeurs qu'elle reconnaît prioritaires et auxquels un logement doit être attribué en urgence. (...) " ; qu'aux termes de l'article R*. 441-14-1 du même code : " (...) Peuvent être désignées par la commission comme prioritaires et devant être logées d'urgence en application du II de l'article L. 441-2-3 les personnes de bonne foi qui satisfont aux conditions réglementaires d'accès au logement social qui se trouvent dans l'une des situations prévues au même article et qui répondent aux caractéristiques suivantes : (...) / - être logées dans des locaux impropres à l'habitation, ou présentant un caractère insalubre ou dangereux (...) " ;
4. Considérant qu'il résulte des dispositions citées ci-dessus du II de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation que le législateur a entendu ouvrir aux personnes que leurs conditions de logement exposent à des risques personnels graves la possibilité de saisir sans délai la commission de médiation afin qu'elle les désigne comme prioritaires et devant être relogées en urgence ; qu'en dehors du cas où les locaux occupés par le demandeur sont, en raison de leurs caractéristiques physiques, impropres à l'habitation, insalubres ou dangereux, ces dispositions permettent à la commission de désigner comme prioritaire et devant être relogée en urgence une personne établissant l'existence, dans l'immeuble où elle réside, d'une situation d'insécurité liée à des actes commis de manière habituelle et qui, du fait d'une vulnérabilité particulière ou d'autres éléments liés à sa situation personnelle, créent des risques graves pour elle-même ou pour sa famille ; qu'il suit de là qu'en jugeant que l'insécurité n'est jamais au nombre des critères à prendre en compte par la commission de médiation, sans rechercher si l'intéressée justifiait se trouver dans telle situation, le tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit ; que son jugement doit, dès lors, être annulé ;
5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur la recevabilité de la demande de MmeA... :
6. Considérant qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours " ; que, toutefois, lorsqu'un justiciable a, dans le délai de recours, présenté une requête non motivée et demandé l'aide juridictionnelle, que cette aide lui a été accordée et que l'avocat désigné à ce titre n'a pas produit de mémoire, la juridiction doit, afin d'assurer au requérant le bénéfice effectif du droit qu'il tire de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, mettre cet avocat en demeure d'accomplir, dans un délai qu'elle fixe, les diligences qui lui incombent et, s'il s'en abstient, porter sa carence à la connaissance de l'intéressé afin de le mettre en mesure de choisir un autre représentant ; que, dans une telle situation, la requête ne peut être regardée comme irrecevable du seul fait qu'elle n'a pas été motivée avant l'expiration du délai de recours ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A...a, dans le délai de recours contentieux ouvert contre la décision du 13 décembre 2011 de la commission de médiation de Paris, saisi le tribunal administratif et demandé l'aide juridictionnelle, qui lui a été accordée, et qu'un mémoire a été produit par l'avocat désigné à ce titre à la suite d'une mise en demeure effectuée par le tribunal administratif de Paris le 23 juin 2013 ; que, dans ces conditions, contrairement à ce que soutient le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, la circonstance que la demande n'a été motivée que le 5 juillet 2013 ne l'entache pas d'irrecevabilité ;
Sur le bien fondé de la demande :
8. Considérant qu'il ressort des termes de la décision attaquée de la commission de médiation du département de Paris qu'elle est motivée par le fait que " la question de l'insécurité du quartier renvoie à une démarche exclue de la compétence de la commission " et " qu'en outre (...) Mme A...est déjà locataire dans le parc social " ; qu'il ressort de la demande présentée par Mme A...devant la commission que l'intéressée se prévalait d'une situation d'insécurité liée à des actes de délinquance dans l'immeuble même où était situé son logement, dont certains l'avaient visée personnellement ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'il appartenait à la commission de prendre en considération une telle situation si elle était établie ; que, par ailleurs, la circonstance que la demanderesse était déjà locataire d'un logement social n'excluait pas qu'elle puisse être désignée comme prioritaire et devant être logée d'urgence, si son logement présentait les caractéristiques mentionnées à l'article R*. 441-14-1 du code de la construction et de l'habitation ; qu'il suit de là que la décision de la commission de médiation du département de Paris du 13 décembre 2011 est entachée d'erreur de droit et doit être annulée ;
9. Considérant que les conclusions de Mme A...tendant à ce que le juge administratif la désigne comme prioritaire devant être logée en urgence doivent être regardées comme des conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de la désigner comme prioritaire ; qu'au regard des motifs fondant l'annulation de la décision attaquée de la commission de médiation refusant de la reconnaître comme prioritaire et devant être relogée en urgence, il peut seulement être enjoint à la commission de médiation, sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de réexaminer la demande de Mme A...dans un délai de deux mois à compter de notification de la présente décision ;
10. Considérant que Mme A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Corlay, avocat de MmeA..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Me Corlay ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 7 février 2014 est annulé.
Article 2 : La décision de la commission de médiation du département de Paris du 13 décembre 2011 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint à la commission de médiation du département de Paris de procéder au réexamen de la demande de Mme A...dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera à Me Corlay, avocat de Mme A...une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A..., à la commission de médiation du département de Paris et à la ministre du logement et de l'habitat durable.