Vu la procédure suivante :
La société Agour SARL a demandé au tribunal administratif de Pau :
- d'annuler les décisions du 21 avril 2010 par lesquelles le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche a prononcé la déchéance de ses droits au titre d'une aide communautaire du Fonds européen de garantie et d'orientation agricole et d'une aide nationale relevant de la prime d'orientation agricole, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 6 mai 2010 dirigé contre ces décisions ;
- d'annuler l'ordre de reversement, d'un montant de 429 805,60 euros, émis le 28 avril 2010 par le directeur général de l'Agence de services et de paiement ;
- d'enjoindre au ministre chargé de l'agriculture de procéder au remboursement à son profit de la somme de 134 332 euros ;
- d'annuler la décision des 20, 22 ou 23 janvier 2009 par laquelle la commission interministérielle de coordination des contrôles a ordonné le reversement intégral des deux aides et a notifié à la Commission européenne les irrégularités qui étaient alléguées à son encontre.
Par un jugement n° 1001806 du 16 mai 2012, le tribunal administratif de Pau rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 12BX01978 du 22 mai 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Agour SARL contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et des mémoires en réplique, enregistrés les 21 juillet et 21 octobre 2014 et 15 juillet 2015 et 19 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Agour SARL demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 ;
- le règlement (CE) n° 1257/1999 du 17 mai 1999 ;
- le règlement (CE) n° 1260/1999 du Conseil du 21 juin 1999 ;
- le règlement (CE) n° 1685/2000 de la Commission du 28 juillet 2000 ;
- le règlement (CE) n° 817/2004 du 29 avril 2004 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le décret n° 96-389 du 10 mai 1996 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Monteagle, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Société Agour SARL et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de l'Agence de services et de paiement ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre du projet d'extension et de modernisation de la fromagerie qu'elle exploite à Hélette (Pyrénées-Atlantiques), la société Agour SARL a bénéficié, par deux décisions du 6 avril 2005, d'une aide communautaire à l'amélioration de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles au titre du fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA) et d'une aide nationale sous la forme d'une prime d'orientation agricole. A la suite d'un contrôle réalisé entre mai et septembre 2008 par le service ministériel de contrôle de la régularité des opérations dans le secteur agricole (SCOSA), dont les conclusions ont été validées par la commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC) lors de sa séance des 20, 22 et 23 janvier 2009, le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche a prononcé, par deux décisions du 21 avril 2010, la déchéance totale des droits à ces deux aides. Par ordre de reversement daté du 28 avril 2010, l'Agence de services et de paiement a mis en recouvrement les sommes correspondantes aux aides versées, pour un montant total de 429 805,60 euros.
2. Par un jugement du 16 mai 2012, le tribunal administratif de Pau a rejeté la demande de la société Agour SARL tendant, d'une part, à l'annulation des décisions du 21 avril 2010 et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux dirigé contre ces décisions, de l'ordre de reversement du 28 avril 2010 et de l'acte par lequel la CICC a décidé de notifier sa décision au FEOGA et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au ministre chargé de l'agriculture de lui rembourser la somme de 134 332 euros. La société Agour SARL se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 mai 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel qu'elle a formé contre ce jugement.
3. En premier lieu, les attributions de la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC) sont fixées à l'article 4 du décret du 10 mai 1996 susvisé aux termes desquels : " La commission coordonne les dispositifs de contrôle. / A ce titre : / Elle définit la politique générale et les orientations des contrôles et se prononce sur leur organisation d'ensemble, leur méthodologie et leur intensité, dans le respect des compétences des administrations et organismes concernés ; / Elle suit l'établissement et l'exécution des programmes de vérification ; / Elle est informée des résultats des contrôles, des irrégularités relevées et des sanctions appliquées par les autorités compétentes ; / Elle s'assure de la cohérence des suites données aux contrôles par les autorités compétentes et vérifie leur exécution. Elle veille tout particulièrement au recouvrement des sommes indûment versées et des prélèvements indûment éludés au titre des fonds communautaires agricoles de garantie. / Dans le cas où les dispositions communautaires prévoient une instance nationale de coordination des contrôles, ce rôle peut être exercé par la commission. A ce titre, elle constitue notamment le service spécifique visé à l'article 11 du règlement (CEE) n° 4045/89 susvisé et l'instance de contact définie à l'article 3 du règlement (CEE) n° 2729/2000 susvisé. / La commission est également chargée de la centralisation et de la transmission des communications effectuées en application du règlement (CE) n° 1848/2006 susvisé ". Il résulte de ces dispositions que la CICC est une instance de coordination et de suivi des contrôles internes à l'administration dépourvue de compétence décisionnelle. Elle ne peut pas davantage être regardée comme une instance consultative dont l'avis serait requis préalablement à l'intervention de la décision par laquelle l'administration tire les conséquences d'un contrôle entrant dans le champ de ses attributions. La cour administrative d'appel a donc pu, sans commettre d'erreur de droit ni dénaturer les pièces du dossier, d'une part, juger que les observations formulées par cette commission lors de sa réunion des 20, 22 et 23 janvier 2009 ne constituaient pas une décision faisant grief à la société Agour SARL et n'avaient pas pour effet de placer les ministres concernés en situation de compétence liée, d'autre part, écarter les moyens, qui étaient inopérants, tirés de ce que la procédure aurait été irrégulièrement menée devant cette instance et que celle-ci n'aurait pas été composée de manière à garantir l'impartialité de ses délibérations.
4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dès son établissement, le rapport de contrôle a été communiqué par le chef du SCOSA à la société Agour SARL qui a été invitée à présenter ses observations, ce qu'elle a fait par courrier du 25 novembre 2008. Par courrier en date du 31 août 2009, le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche a informé cette société qu'à la suite de ce contrôle, des échanges contradictoires et de l'avis émis par la CICC, il envisageait de demander le reversement total des aides et l'invitait à faire valoir, dans un délai de trente jours, ses éventuelles observations complémentaires. Le 5 octobre 2009, les responsables de la société ont été reçus, à leur demande, par la sous-directrice de l'organisation économique, des industries agroalimentaires et de l'emploi au ministère chargé de l'agriculture. Par suite, la cour administrative d'appel, qui n'a pas dénaturé les pièces du dossier, a pu, sans commettre d'erreur de droit, écarter le moyen invoqué par la société Agour SARL et tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure.
5. En troisième lieu, après avoir relevé que le rapport comportait en annotation sur chacune de ses pages l'identité de son auteur, la cour administrative d'appel n'a commis aucune erreur de droit en jugeant, d'une part, qu'aucune disposition du code rural ne prescrivait à peine de nullité la mention sur le rapport établi le 27 octobre 2008 par le contrôleur régulièrement assermenté du SCOSA de la date de sa rédaction et de la signature de son auteur et, d'autre part, qu'un tel rapport ne constituait pas une décision devant, en application de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000, comporter, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci.
6. En quatrième lieu, en vertu du paragraphe 1 de l'article 4 du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995, toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l'avantage indûment obtenu, notamment par l'obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus. Le c) du paragraphe 1 de l'article 5 du même règlement prévoit, en outre, que les irrégularités intentionnelles ou causées par la négligence peuvent entraîner, à titre de sanction administrative, la privation totale ou partielle d'un avantage octroyé par la réglementation communautaire, même si l'opérateur a bénéficié indûment d'une partie seulement de cet avantage. Cette possibilité de sanction est prévue par le règlement (CE) n° 817/2004 de la Commission du 29 avril 2004 qui précise les modalités d'application du règlement (CE) n° 1257/1999 du Conseil du 17 mai 1999. L'article 72 du règlement de la Commission prévoit ainsi qu'en cas de constatation d'une fausse déclaration faite par négligence grave, le bénéficiaire en cause est exclu pour l'année civile considérée de toutes les mesures de développement rural prise au titre du chapitre concerné du règlement (CE) n° 1257/1999. L'article 73 permet aux Etats membres de fixer le régime des sanctions applicables aux violations du règlement, qui doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Par suite, la cour administrative d'appel, qui a constaté que les différents manquements commis par la société Agour SARL révélaient un ensemble de fausses déclarations faites par négligence grave revêtant un caractère frauduleux, n'a commis aucune erreur de droit en jugeant que ces faits justifiaient le retrait de l'intégralité de l'aide communautaire accordée. Par ailleurs, elle n'a commis aucune erreur de droit ou de qualification juridique des faits, ni dénaturé les pièces du dossier en jugeant que le retrait de la totalité de l'aide allouée n'était pas disproportionné au regard des irrégularités commises par la société Agour SARL.
7. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment des constatations opérées par le SCOSA, d'une part, que les dates de paiement de plusieurs factures, qui ne correspondent pas à celles enregistrées dans la comptabilité de l'entreprise, ont été payées, en tout ou partie, postérieurement à la date de demande de liquidation du solde des aides ou n'ont pas été payées et, d'autre part, que les documents justificatifs produits ont bénéficié d'une certification de complaisance par le commissaire aux comptes de la société. Or, il résulte des dispositions combinées de l'article 32 du règlement (CE) n° 1260/1999 du Conseil du 21 juin 1999 et du point 2 de la règle n° 1 figurant en annexe du règlement (CE) n° 1685/2000 de la Commission du 28 juillet 2000, pris pour son application, que le versement du solde de l'aide communautaire doit porter sur des sommes effectivement payées par le bénéficiaire à la date de cette demande. Par suite, la cour administrative d'appel n'a commis aucune erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la société Agour SARL avait commis un manquement en présentant, à l'appui de sa demande de versement de l'aide, des factures non intégralement acquittées à la date de cette demande.
8. En sixième lieu, aux termes du point 3.2 de la règle n° 10 figurant en annexe du règlement (CE) n° 1685/2000 de la Commission du 28 juillet 2000 mentionné ci-dessus, seuls les loyers versés au bailleur par le preneur dans le cadre d'une opération de crédit-bail constituent une dépense éligible à l'aide communautaire. Par suite, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a commis aucune erreur de droit en jugeant que la demande d'aide présentée par la société Agour SARL, qui correspondait à la valeur d'équipements mis à sa disposition dans le cadre d'un contrat de crédit-bail, constituait une irrégularité. Elle n'a pas non plus dénaturé les pièces du dossier, notamment les termes de la lettre du 7 juillet 2003 émanant de la direction régionale de l'agriculture et de la forêt d'Aquitaine, en jugeant que la société Agour SARL n'avait pas obtenu l'accord préalable des autorités administratives responsables du versement de l'aide pour un tel mode de financement.
9. En septième et dernier lieu, en estimant, toutefois, pour rejeter les conclusions de la société Agour SARL tendant à l'annulation de l'ordre de reversement du 28 avril 2010 du directeur général de l'Agence de services et de paiement, que la société n'établissait pas avoir remboursé à l'Agence de services et de paiement la somme de 171 295,20 euros en application de la mesure de rappel à la loi prise par le vice-procureur de la République du tribunal de grande instance de Bayonne, alors que la société produisait devant elle, en pièces jointes n° 26 et 27, des copies, d'une part, d'un ordre de virement express adressé à sa banque le 16 mai 2011, tendant au règlement de la somme de 171 295,20 euros au profit de l'agent comptable de l'ASP, d'autre part, d'un fax émanant de cette même banque, envoyé ce même jour, faisant apparaître l'état de cette opération et mentionnant pour date de règlement le 16 mai 2011, la cour administrative d'appel de Bordeaux a dénaturé les pièces du dossier.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Agour SARL n'est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque qu'en tant qu'il statue sur sa demande tendant à l'annulation de l'ordre de reversement émis par l'Agence de services et de paiement le 28 avril 2010.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros à la société Agour SARL au titre de l'article de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Agour SARL qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 22 mai 2014 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions tendant à l'annulation de l'ordre de reversement d'un montant de 429 805,60 euros émis le 28 avril 2010 par le directeur général de l'Agence de services et de paiement.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : L'Etat versera à la société Agour SARL une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'Agence de services et de paiement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à société Agour SARL, au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement, et à l'Agence de services et de paiement.