Vu la procédure suivante :
La Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière et l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 avril 2010 par lequel le préfet du Val-d'Oise a accordé à l'enseigne Leroy-Merlin située sur le territoire de la commune de Montigny-lès-Cormeilles une dérogation au principe du repos hebdomadaire des salariés le dimanche, pour une durée de cinq ans. Par un jugement n° 1008265 du 27 mai 2013, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 13VE02377 du 12 mai 2015, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière et l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise contre ce jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juillet et 13 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière et l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 12 mai 2015 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention internationale du travail n° 106 concernant le repos hebdomadaire dans le commerce et les bureaux adoptée à Genève le 26 juin 1957 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvriere et de l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise et à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la société Leroy Merlin.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 3132-25-1 inséré dans le code du travail par la loi du 10 août 2009, dans sa rédaction applicable au litige, antérieure à l'intervention de la loi du 6 août 2015 : " (...) dans les unités urbaines de plus de 1 000 000 d'habitants, le repos hebdomadaire peut être donné, après autorisation administrative, par roulement, pour tout ou partie du personnel, dans les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services dans un périmètre d'usage de consommation exceptionnel caractérisé par des habitudes de consommation dominicale, l'importance de la clientèle concernée et l'éloignement de celle-ci de ce périmètre ".
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 22 février 2010, le préfet du Val-d'Oise a créé et délimité sur le territoire de la commune de Montigny-lès-Cormeilles un périmètre d'usage de consommation exceptionnel correspondant au secteur des zones UL1 et UL du plan local d'urbanisme de l'axe de la route départementale n° 14. Dans ce cadre, par un arrêté du 16 avril 2010, il a accordé à l'enseigne Leroy-Merlin, pour le compte de son établissement de vente situé dans ce périmètre, une dérogation au principe du repos hebdomadaire des salariés le dimanche pour une période de cinq ans, en application des articles L. 3132-25-1 et suivants du code du travail. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté présentée par la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière et l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise, par un jugement du 27 mai 2013, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 12 mai 2015. Ces organisations syndicales se pourvoient en cassation contre cet arrêt.
Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il se prononce sur la contrariété de la loi à la convention internationale du travail n° 106 :
3. Aux termes de l'article 6 de la convention internationale du travail n° 106 concernant le repos hebdomadaire dans le commerce et les bureaux : " 1. Toutes les personnes auxquelles s'applique la présente convention auront droit, sous réserve des dérogations prévues par les articles suivants, à une période de repos hebdomadaire comprenant au minimum vingt-quatre heures consécutives au cours de chaque période de sept jours. / 2. La période de repos hebdomadaire sera, autant que possible, accordée en même temps à toutes les personnes intéressées d'un même établissement. / 3. La période de repos hebdomadaire coïncidera, autant que possible, avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages du pays ou de la région (...) ". Aux termes de l'article 7 de la même convention : " 1. Lorsque la nature du travail, la nature des services fournis par l'établissement, l'importance de la population à desservir ou le nombre des personnes employées ne permettent pas l'application des dispositions de l'article 6, des mesures pourront être prises, par l'autorité compétente ou par l'organisme approprié dans chaque pays, pour soumettre, le cas échéant, des catégories déterminées de personnes ou des catégories déterminées d'établissements comprises dans le champ d'application de la présente convention à des régimes spéciaux de repos hebdomadaire, compte tenu de toute considération sociale et économique pertinente. (...) ".
4. La loi du 10 août 2009, qui a rappelé que, conformément aux stipulations du 3 de l'article 6 de la convention, le repos hebdomadaire est, dans l'intérêt des salariés, donné le dimanche, a institué un nouveau régime spécial de repos hebdomadaire en prévoyant que les établissements de vente au détail, situés dans un périmètre d'usage de consommation exceptionnel au sein d'une unité urbaine de plus de 1 000 000 d'habitants, peuvent être autorisés à donner à tout ou partie de leur personnel le repos hebdomadaire par roulement, ce nouveau régime spécial ayant pour objet de répondre aux besoins d'une clientèle importante résidant dans de grandes agglomérations. En jugeant que ces motifs constituaient des considérations pertinentes au sens des stipulations précitées de l'article 7 paragraphe 1 de la convention, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit, ni d'insuffisance de motivation.
Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il se prononce, par la voie de l'exception, sur la légalité de l'arrêté du 22 février 2010 :
5. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 3132-25-1 du code du travail, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 10 août 2009, que le législateur a entendu créer un régime de dérogation au repos dominical adapté à des situations locales particulières marquées par des usages de consommation de fin de semaine. Pour l'application de ce régime, la délimitation d'un tel périmètre est subordonnée à la constatation d'usages, en matière de consommation dominicale, suffisamment anciens, durables et réguliers pour être constitutifs d'habitudes, quelles que soient les conditions dans lesquelles celles-ci se sont formées. Dans ces conditions, les organisations syndicales requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, aurait commis une erreur de droit en jugeant que le préfet pouvait tenir compte d'usages découlant de l'ouverture dominicale d'établissements situés sur le secteur retenu pour le périmètre, quand bien même ces ouvertures auraient été acquises en méconnaissance des dispositions législatives et réglementaires alors applicables. Si elles soutiennent également que la cour a omis de répondre au moyen tiré de l'absence d'habitudes de consommation dominicale en l'espèce, ce moyen n'avait pas été soulevé devant elle.
6. En deuxième lieu, l'arrêté du 22 février 2010, en procédant à une délimitation de périmètre d'usage de consommation exceptionnel où pourraient être accordées, par dérogation aux règles du droit commun, des autorisations administratives afin que le repos hebdomadaire soit donné par roulement dans les établissements de vente au détail, a fait application des dispositions précitées de l'article L. 3132-25-1 du code du travail, sans en modifier l'objet ou la portée, rappelés au point 5. D'une part, en jugeant que la distinction opérée entre commerces, selon qu'ils étaient situés ou non au sein du périmètre d'usage de consommation exceptionnel, résultait, dans son principe, de la loi elle-même, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce. D'autre part, eu égard à l'argumentation des organisations requérantes, qui ne soutenaient pas, devant la cour, que les choix opérés dans la délimitation du périmètre d'usage de consommation exceptionnel auraient eu, dans les circonstances de l'espèce et au regard des principes d'égalité et de libre concurrence, des effets disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis par la loi, elle n'a pas entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation.
7. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 3132-25-2 du code du travail, " sur demande du conseil municipal ", le " préfet délimite le périmètre d'usage de consommation exceptionnel au sein des unités urbaines, après consultation de l'organe délibérant de la communauté de communes, de la communauté d'agglomération, de la métropole ou de la communauté urbaine, lorsqu'elles existent, sur le territoire desquelles est situé ce périmètre ". Il ne résulte pas de ces dispositions que la demande ainsi adressée par le conseil municipal au préfet devrait, au-delà de la désignation de la zone concernée, indiquer la délimitation exacte du périmètre d'usage de consommation exceptionnel dont la mise en place est sollicitée, et dont la détermination précise relève de la compétence du préfet. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par la délibération du 14 décembre 2009, le conseil municipal de la commune de Montigny-lès-Cormeilles a demandé au préfet la création d'un tel périmètre, en précisant que sa demande portait sur le secteur commercial situé autour de l'axe de la route départementale 14. Par suite, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point et ne s'est pas méprise sur la portée de la délibération en cause, a pu juger sans commettre d'erreur de droit que le préfet avait été régulièrement saisi pour délimiter le périmètre dont la création était demandée.
Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il se prononce sur les autres moyens soulevés contre l'arrêté du 16 avril 2010 :
8. En premier lieu, dès lors qu'il résulte de l'objet même de la loi que celle-ci entend assurer un même traitement à l'ensemble des commerces de détail qui sont implantés dans les périmètres de dérogation concernés, la cour pouvait, sans entacher son arrêt d'insuffisance de motivation, écarter pour les motifs mentionnés au point 4 le moyen tiré de la contrariété de l'arrêté du 16 avril 2010 avec l'article 7 paragraphe 1 de la convention internationale du travail n° 106, sans examiner la catégorie d'établissement auquel était accordée la dérogation individuelle en cause.
9. En second lieu, il ressort des écritures d'appel des organisations syndicales requérantes que les moyens tirés de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ainsi que du principe de libre concurrence étaient seulement invoqués à l'appui de l'exception d'illégalité de l'arrêté du 22 février 2010 portant création du périmètre d'usage de consommation exceptionnel, et non à l'encontre de l'arrêté attaqué portant dérogation au repos dominical. Les organisations requérantes ne sont, par suite, pas fondées à soutenir que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt en s'abstenant d'examiner ces moyens en tant qu'ils auraient été dirigés contre l'arrêté du 16 avril 2010.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière et l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles qu'elles attaquent.
Sur les conclusions incidentes du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :
11. L'intérêt à se pourvoir en cassation s'apprécie par rapport au dispositif de la décision juridictionnelle critiquée. Ainsi, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles, qui rejette comme non fondé l'appel des organisations requérantes, ne fait pas grief au ministre, qui n'est donc pas recevable à en demander l'annulation au juge de cassation.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par les organisations requérantes. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Leroy Merlin au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière et de l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise est rejeté.
Article 2 : Le pourvoi incident du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social est rejeté.
Article 3 : Les conclusions de la société Leroy Merlin présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière, à l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise, à la société Leroy Merlin et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.