Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 1500515 du 22 octobre 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société des Laboratoires Leurquin Mediolanum tendant à la décharge des cotisations de taxes foncières auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 décembre 2015 et 17 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société des Laboratoires Leurquin Mediolanum demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Lombard, auditeur,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, avocat de la Laboratoires Leurquin Mediolanum ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que les sociétés Sophia et Natexis Bail ont, le 15 mars 1988, consenti à la société Laboratoires Leurquin Médiolanum un contrat de crédit-bail assorti d'une promesse de vente portant sur un terrain et un entrepôt de stockage situés à Neuilly-sur-Marne. Le 29 juin 2005, la société a levé l'option d'achat pour un montant de 0,30 euro. L'administration fiscale, estimant que cette dernière opération revêtait le caractère d'une cession à titre gratuit, a fixé la valeur locative des immobilisations corporelles servant au calcul de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour 2013 et 2014 à leur valeur vénale, soit 4 575 000 euros. La société a alors demandé au tribunal administratif de Montreuil la réduction de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de ces deux années à raison de ce bien. Par un jugement n° 1500515 du 22 octobre 2015, le tribunal administratif de Montreuil a estimé que l'opération de vente en cause ne pouvait être regardée comme ayant été effectuée à titre gratuit. Il a toutefois jugé, d'une part, que la valeur locative des locaux devait être calculée d'après leur coût d'acquisition, soit 0,30 euro, augmenté des loyers à réintégrer fiscalement à l'occasion de la levée d'option et, d'autre part, que les bases imposables de l'immeuble qui résultaient de ce mode de calcul étant supérieure à celles retenues par l'administration, la société requérante n'était pas fondée à demander la décharge des cotisations de taxes foncières contestées.
2. En vertu de l'article 1499 du code général des impôts, applicable à la date de l'acquisition en cause, la valeur locative des immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties est déterminée à partir du prix de revient. L'article 324 AE de l'annexe III au code général des impôts, qui définit le prix de revient mentionné à l'article 1499, précise " qu'il s'entend de la valeur d'origine pour laquelle les immobilisations doivent être inscrites au bilan en conformité de l'article 38 quinquies. (...) ". Aux termes du 1 de l'article 38 quinquies de l'annexe III au même Code : " Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. Cette valeur d'origine s'entend : a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition, c'est-à-dire du prix d'achat minoré des remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement obtenus et majoré des coûts directement engagés pour la mise en état d'utilisation du bien et des coûts d'emprunt dans les conditions prévues à l'article 38 undecies (...) ". Enfin, l'article 324 AF de la même annexe dispose : " Lorsqu'il ne résulte pas des énonciations du bilan, le prix de revient est déterminé, en tant que de besoin, à partir de tous documents comptables ou autres pièces justificatives et à défaut par voie d'évaluation sous réserve du droit de contrôle de l'administration ".
3. En vertu de l'article 239 sexies du code général des impôts, le preneur d'un contrat de crédit-bail doit, au moment de la levée d'option, réintégrer dans ses bénéfices une fraction des loyers, qui diffère selon que le contrat a été conclu avant ou après le 1er janvier 1996. L'article 239 sexies C du même Code précise, pour les contrats conclus avant le 31 décembre 1995 et pour ceux qui ont été conclus après cette date, que " le prix de revient des biens acquis à l'échéance d'un contrat de crédit bail est majoré " des sommes réintégrées en application notamment des dispositions de l'article 239 sexies et fixe les modalités d'amortissement de ces biens. Si il résulte de ces textes que ces réintégrations extracomptables n'ont été prévues que pour le calcul des bases imposables à l'impôt sur les sociétés et à l'impôt sur le revenu dans les catégories des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles et des bénéfices non commerciaux, en l'absence de renvoi explicite à ces dispositions dans les articles du code général des impôts relatifs à la détermination des valeurs locatives pour l'établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties, elles ne sauraient être regardées comme applicables à la détermination de la valeur locative d'immobilisations passibles de cette taxe.
4. Le loyer versé par le preneur d'un contrat de crédit-bail a pour contrepartie non seulement la disposition du bien mais aussi le droit d'opter pour son acquisition au terme du crédit, constituant ainsi une modalité de financement du bien. Le prix de revient d'un tel bien, au sens et pour l'application de l'article 1499 du code général des impôts, lorsqu'il est acquis par l'exercice de l'option d'achat prévue par le contrat ne résulte donc pas uniquement de la valeur d'origine à laquelle il a alors été inscrit au bilan, laquelle correspond au seul montant acquitté au moment de la levée d'option, mais il comprend, en outre, la fraction hors intérêt des loyers prévus par le contrat et versés antérieurement à la levée d'option, qui excède le coût de la mise à disposition du bien. A défaut d'autres éléments, ce prix de revient peut, ainsi, être regardé, lorsque l'acquisition intervient au terme du contrat de crédit-bail, comme correspondant à la différence entre, d'une part, la valeur du bien au moment de la signature de ce contrat, et d'autre part, le total des dotations aux amortissements qui auraient été enregistrées si le bien avait été acquis dès ce moment, au regard notamment des engagements hors bilan.
5. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant que la valeur locative des locaux litigieux devait être calculée d'après leur coût d'acquisition figurant dans l'acte de vente du 29 juin 2005, soit 0,30 euro, augmenté des loyers à réintégrer fiscalement à l'occasion de la levée d'option, alors qu'il lui appartenait de faire application des modalités de calcul énoncées au point 3. La société requérante est ainsi fondée à demander l'annulation du jugement attaqué.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 22 octobre 2015 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Montreuil.
Article 3 : L'Etat à la société des Laboratoires Leurquin Mediolanum la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société des Laboratoires Leurquin Mediolanum et au ministre de l'économie et des finances.