Vu la procédure suivante :
L'association " Les Effronté-e-s " a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner au maire de la commune de Dannemarie de faire retirer de l'espace public les panneaux qui y ont été disposés dans le cadre de " l'année de la femme ", sous une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du troisième jour suivant la notification de l'ordonnance à intervenir. Par une ordonnance n° 1703922 du 9 août 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a enjoint au maire de Dannemarie de retirer les 125 panneaux litigieux dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance, sous une astreinte de 500 euros par jour de retard.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 et 29 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Dannemarie demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande de l'association " Les Effronté-e-s " ;
3°) de mettre à la charge de l'association " Les Effronté-e-s " la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance est irrecevable, dès lors que la personne s'étant prévalue de la qualité de présidente de l'association n'était pas en mesure d'établir cette qualité ;
- elle n'a porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, dès lors que l'égalité entre les femmes et les hommes ne présente pas le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, qu'elle n'a pas violé l'article 1er de la loi du 4 août 2014 et, en tout état de cause, que les panneaux incriminés sont une manifestation de sa liberté d'expression artistique ;
- la condition d'urgence n'est pas remplie, dès lors que, d'une part, les panneaux litigieux sont installés sur le territoire de la commune depuis juin 2017 et que ce n'est que le 3 août 2017 que l'association a saisi le juge des référés et que, d'autre part, celle-ci se borne, pour justifier de l'urgence, à soutenir que ces panneaux portent gravement atteinte à la dignité humaine et au principe d'égalité entre les hommes et les femmes ;
- subsidiairement, le juge des référés ne pouvait ordonner le retrait des 125 panneaux, alors qu'il jugeait illégaux cinq panneaux seulement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2017, l'association " Les Effronté-e-s " conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au maire de Dannemarie de récupérer les panneaux mis à disposition des administrés et de procéder à leur destruction dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'ordonnance du juge d'appel, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, et à ce que soit mise à la charge de la commune la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par la commune requérante ne sont pas fondés et, en outre, que les panneaux litigieux violent son propre droit à la liberté d'expression et sont illégaux.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune de Dannemarie et, d'autre part, l'association " Les Effronté-e-s " ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 30 août 2017 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Périer, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Dannemarie ;
- les représentants de la commune de Dannemarie ;
- les représentantes de l'association " Les Effronté-e-s " ;
et à l'issue de laquelle les juges des référés ont clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction et des débats qui se sont tenus au cours de l'audience publique que la commune de Dannemarie (Haut-Rhin), qui compte près de 2 300 habitants, choisit chaque année un thème qu'elle décline en animations et en événements sur son territoire. Dans ce cadre, la commune a choisi de faire de 2017 l'année de la femme. Elle a organisé à ce titre un salon de la femme, décidé l'attribution de distinctions à des femmes qui ont marqué la vie de la cité, attribué à une rue le nom de Mme B...A..., en hommage à l'une des fondatrices du Mouvement de libération des femmes, native de Dannemarie, et réalisé au mois d'août 2017 une exposition sur le rôle des femmes pendant la Première Guerre mondiale. La commune a également procédé, au mois de juin 2017, à l'installation dans plusieurs espaces publics de cent vingt-cinq panneaux, fabriqués par la première adjointe au maire, dont soixante ont la forme d'accessoires, tels que chapeaux, sacs ou chaussures, ou d'éléments du corps féminin, tandis que soixante-cinq représentent des silhouettes de femmes, à différents âges de la vie et dans différentes attitudes. Estimant que ces panneaux véhiculaient des stéréotypes sexistes et discriminatoires à l'égard des femmes, l'association " Les Effronté-e-s " a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'en prescrire l'enlèvement de l'espace public sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Par son ordonnance du 9 août 2017, le juge des référés a prescrit l'enlèvement de l'ensemble des panneaux dans un délai de huit jours, sous une astreinte de 500 euros par jour de retard, en jugeant que par ces réalisations, la commune avait méconnu les dispositions de l'article 1er de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui prévoient notamment que les collectivités territoriales mettent en oeuvre une politique pour l'égalité comportant des actions destinées à prévenir et à lutter contre les stéréotypes sexistes, et, ce faisant, porté une atteinte grave et manifestement illégale au principe d'égalité entre les hommes et les femmes. La commune de Dannemarie relève appel de cette ordonnance.
2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de cet article, le juge administratif des référés, saisi d'une demande en ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.
3. Si certaines discriminations peuvent, eu égard aux motifs qui les inspirent ou aux effets qu'elles produisent sur l'exercice d'une telle liberté, constituer des atteintes à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la méconnaissance du principe d'égalité ne révèle pas, par elle-même, une atteinte de cette nature. En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'installation des panneaux litigieux n'a pas été inspirée par des motifs traduisant la volonté de discriminer une partie de la population et n'a pas pour effet de restreindre l'exercice d'une ou plusieurs libertés fondamentales. Par suite, la commune de Dannemarie est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a prescrit l'enlèvement des installations litigieuses au motif qu'elles portaient une atteinte grave et manifestement illégale à l'égalité entre les femmes et les hommes, qui est une composante du principe d'égalité.
4. Il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'association " Les Effronté-e-s " devant le juge des référés de première instance et d'appel, tirés de ce que les panneaux litigieux porteraient une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la dignité humaine et à la liberté d'expression.
5. Le juge des référés tire des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative le pouvoir de prescrire, dans un délai de quarante-huit heures, toutes mesures utiles pour faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales au droit au respect de la dignité humaine, notamment pour éviter la soumission d'une ou plusieurs personnes à un traitement inhumain ou dégradant. En l'espèce, si, en dépit des intentions affichées par la commune, les panneaux incriminés peuvent être perçus par certains comme véhiculant, pris dans leur ensemble, des stéréotypes dévalorisants pour les femmes, à l'opposé de l'objectif poursuivi par le législateur lors de l'adoption de la loi du 4 août 2014, ou, pour quelques-uns d'entre eux, comme témoignant d'un goût douteux voire comme présentant un caractère suggestif inutilement provocateur s'agissant d'éléments disposés par une collectivité dans l'espace public, leur installation ne peut être regardée comme portant au droit au respect de la dignité humaine une atteinte grave et manifestement illégale de nature à justifier l'intervention du juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, dans un délai de quarante-huit heures.
6. Enfin, l'association " Les Effronté-e-s " ne peut sérieusement soutenir que les panneaux litigieux porteraient atteinte à sa liberté d'expression.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de première instance de l'association " Les Effronté-e-s ", que la commune de Dannemarie est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a enjoint à son maire de retirer les cent vingt-cinq panneaux disposés dans ses différents espaces publics. Les conclusions à fin d'injonction présentées par l'association devant le juge des référés du Conseil d'Etat ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Dannemarie, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande à ce titre l'association " Les Effronté-e-s ". Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association " Les Effronté-e-s " la somme que la commune de Dannemarie demande au même titre.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du 9 août 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.
Article 2 : La demande présentée par l'association " Les Effronté-e-s " au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg et les conclusions à fin d'injonction présentées par l'association devant le Conseil d'Etat sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Dannemarie et l'association " Les Effronté-e-s " au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Dannemarie et à l'association " Les Effronté-e-s ".