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19/12/2018 | FRANCE | N°403426

France | France, Conseil d'État, 4ème et 1ère chambres réunies, 19 décembre 2018, 403426


Vu la procédure suivante :

Mme A...D...a porté plainte contre M. C... B...devant la chambre disciplinaire de première instance de Bourgogne de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Par une décision du 10 juin 2015, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté sa plainte.

Par une décision n° 2423 du 13 juillet 2016, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté l'appel formé par Mme D... contre cette décision.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistr

és les 12 septembre et 12 décembre 2016 et les 26 janvier et 14 mars 2018 au secr...

Vu la procédure suivante :

Mme A...D...a porté plainte contre M. C... B...devant la chambre disciplinaire de première instance de Bourgogne de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Par une décision du 10 juin 2015, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté sa plainte.

Par une décision n° 2423 du 13 juillet 2016, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté l'appel formé par Mme D... contre cette décision.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 septembre et 12 décembre 2016 et les 26 janvier et 14 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de mettre à la charge de M. B...la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2014-57 du 27 janvier 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, auditeur,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de Mme D...et à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. B... ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MmeD..., chirurgien-dentiste, a établi le 18 mars 2014 à l'intention d'un patient un devis relatif à la réalisation de soins dentaires ; que ce patient a interrogé son organisme de protection complémentaire en matière de santé sur le niveau auquel ces soins seraient pris en charge ; qu'après avoir délivré cette information, cet organisme lui a fait part de la possibilité de bénéficier d'un " reste à charge " plus limité en s'adressant à un chirurgien-dentiste affilié au " réseau de soins Santéclair " et lui a communiqué les noms de trois praticiens adhérents à cet organisme et installés à proximité de son domicile ; que Mme D...a porté plainte le 31 mars 2014 contre M.B..., qui était l'un de ces trois praticiens, devant la chambre disciplinaire de première instance de Bourgogne de l'ordre des chirurgiens-dentistes ; que Mme D... se pourvoit en cassation contre la décision du 13 juillet 2016 par laquelle la chambre disciplinaire nationale a rejeté sa requête dirigée contre la décision du 10 juin 2015 par laquelle la chambre disciplinaire de première instance a rejeté sa plainte ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du II de l'article L. 4122-3 du code de la santé publique, la chambre disciplinaire nationale qui siège auprès du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes " est présidée par un membre du Conseil d'Etat, en activité ou honoraire, ayant au moins le rang de conseiller d'Etat, désigné conformément à l'article L. 4122-1-1 (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 4122-1-1 du même code : " Le conseil national est assisté par un membre du Conseil d'Etat ayant au moins le rang de conseiller d'Etat et avec voix délibérative, nommé par le ministre de la justice (...) " ;

3. Considérant que, par une décision du 18 janvier 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice, a nommé M. de Vulpillières, conseiller d'Etat honoraire, membre titulaire du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ; que M. de Vulpillières, qui réunit la double condition de grade et de nomination comme membre du Conseil national par l'autorité compétente, est habilité, en application des dispositions citées ci-dessus, à présider la chambre disciplinaire nationale de cet ordre ; qu'ainsi le moyen tiré de ce qu'en statuant sous sa présidence, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes aurait entaché sa décision d'irrégularité n'est pas fondé ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que si Mme D... invoquait devant la chambre disciplinaire nationale le fait que M. B... consentait à un effort tarifaire en contrepartie de la garantie par Santéclair d'un " volume de patients ", ces éléments ne constituaient pas un moyen mais un simple argument développé à l'appui du moyen tiré de ce que le contrat conclu entre Santéclair et M. B... traduisait une relation de compérage, auquel la chambre disciplinaire a répondu ; que, par suite, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que la chambre disciplinaire nationale, qui n'avait pas à répondre à l'ensemble des arguments développés à l'appui des moyens soulevés, a omis de répondre à l'un de ses moyens ;

5. Considérant, en troisième lieu, que si Mme D... a présenté devant la chambre disciplinaire nationale des conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à M. B... de communiquer le nombre de ses patients bénéficiant des services de Santéclair, la chambre disciplinaire nationale, qui a apprécié souverainement la nécessité de telles mesures, n'a méconnu ni son office ni les stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ne faisant pas droit à ces conclusions ;

6. Considérant, en quatrième lieu, que le I de l'article 2 de la loi du 27 janvier 2014 dispose que " Les mutuelles, unions ou fédérations relevant du code de la mutualité, les entreprises d'assurance régies par le code des assurances et les institutions de prévoyance régies par le présent code peuvent, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers, conclure avec des professionnels de santé, des établissements de santé ou des services de santé des conventions comportant des engagements relatifs, pour l'organisme assureur, au niveau ou à la nature des garanties ou, pour le professionnel, l'établissement ou le service, aux services rendus ou aux prestations ainsi qu'aux tarifs ou aux prix " ; que ce même article dispose que ces conventions ne peuvent comporter de clauses d'exclusivité ; qu'enfin, aux termes de l'article R. 4127-224 du code de la santé publique : " Tout compérage entre chirurgien-dentiste, médecin, pharmacien, auxiliaires médicaux ou toutes autres personnes, même étrangères à la médecine, est interdit " ;

7. Considérant, d'une part, que le II de l'article 2 de la loi 27 janvier 2014 cité ci-dessus prévoit que les dispositions de son I s'appliquent aux conventions conclues ou renouvelées à compter de la date de promulgation de la loi du 27 janvier 2014 ; que, dès lors, en jugeant qu'à la date des faits dénoncés par la plainte, ces dispositions n'étaient pas applicables à l'accord de partenariat avec Santéclair signé par M. B...le 13 octobre 2012 et tacitement renouvelé le 13 octobre 2013, auquel Mme D... reprochait de contenir, en méconnaissance de la loi, une clause contingentant le nombre de praticiens susceptibles d'y adhérer, la chambre disciplinaire nationale n'a pas commis d'erreur de droit ;

8. Considérant, d'autre part, qu'il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que la chambre disciplinaire nationale a relevé, par une énonciation dont l'exactitude matérielle n'est pas contestée, que le contrat d'adhésion à Santéclair signé par M. B...ne stipule ni que les honoraires pratiqués par les praticiens adhérents varient selon que le patient est, ou non, bénéficiaire des services de Santéclair ni que Santéclair s'engage à orienter les patients bénéficiaires vers les praticiens adhérents ; qu'elle a estimé, par une appréciation souveraine qui n'est pas entachée de dénaturation, que l'engagement contractuel de Santéclair consiste seulement à communiquer aux patients bénéficiaires de ses services, sur leur demande, les coordonnées des praticiens adhérents à Santéclair et les honoraires qu'ils pratiquent ; que, par suite, en jugeant que M. B...n'a pas méconnu l'interdiction du compérage posée à l'article R. 4127-224 du code de la santé publique en devenant, par la souscription d'un tel contrat, praticien adhérent de Santéclair, la chambre disciplinaire nationale, qui a suffisamment motivé sa décision sur ce point, n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;

9. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article R. 4127-215 du code de la santé publique : " La profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce. / Sont notamment interdits : (...) / 3° Tous procédés directs ou indirects de publicité " ; qu'aux termes de l'article R. 4127-262 du même code : " Le détournement ou la tentative de détournement de clientèle est interdit " aux chirurgiens-dentistes ; que la chambre disciplinaire nationale a pu, sans dénaturer les pièces du dossier dont elle était saisie, estimer qu'il ressortait de celles-ci, notamment du courriel adressé le 18 mars 2014 par Santéclair au patient de Mme D..., que ce dernier avait fait une démarche auprès de Santéclair en vue de se voir communiquer le nom de praticiens adhérents à Santéclair ; qu'en outre, après avoir relevé que Santéclair avait, sur la demande de ce patient, communiqué trois noms de praticiens, dont celui de M.B..., ainsi que des informations objectives sur les honoraires qu'ils pratiquaient, la chambre disciplinaire nationale a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant qu'ils ne révélaient, de la part de M.B..., ni le recours à des procédés publicitaires prohibé par l'article R. 4127-215 du code de la santé publique, ni un détournement ou une tentative de détournement de patientèle prohibés par l'article R. 4127-262 du même code ;

10. Considérant, en dernier lieu, qu'il résulte des termes mêmes de la décision attaquée que le motif par lequel la chambre disciplinaire nationale a jugé que les agissements prêtés à Santéclair ne pouvaient être retenus à l'encontre de M. B...présente un caractère surabondant ; que, dès lors, les moyens du pourvoi dirigés contre ce motif sont inopérants ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de Mme D... doit être rejeté, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D...une somme de 2 000 euros à verser à M. B...au titre du même article ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de Mme D...est rejeté.

Article 2 : Mme D...versera une somme de 2 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A...D..., à M. C... B..., au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et à la ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : 4ème et 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 403426
Date de la décision : 19/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - VOIES DE RECOURS - CASSATION - CONTRÔLE DU JUGE DE CASSATION - BIEN-FONDÉ - QUALIFICATION JURIDIQUE DES FAITS - COMPORTEMENT D'UN CHIRURGIEN-DENTISTE - MÉDECIN - PHARMACIEN OU AUTRE PERSONNE - CONSTITUTIF DE COMPÉRAGE AU SENS DE L'ARTICLE R - 4127-224 DU CSP [RJ1].

54-08-02-02-01-02 Le juge de cassation contrôle la qualification juridique des faits retenus par la chambre disciplinaire nationale d'un ordre pour apprécier l'existence d'un comportement de compérage au sens de l'article R. 4127-224 du code de la santé publique (CSP).

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - DISCIPLINE PROFESSIONNELLE - SANCTIONS - FAITS N'ÉTANT PAS DE NATURE À JUSTIFIER UNE SANCTION - CHIRURGIENS-DENTISTES - PROCÉDÉS PUBLICITAIRES PROHIBÉS (R - 4127-215 DU CSP) - ESPÈCE.

55-04-02-02-02 Courriel adressé le 18 mars 2014 par le réseau de soins Santéclair au patient d'un chirurgien-dentiste faisant ressortir que ce dernier avait effectué une démarche auprès de Santéclair en vue de se voir communiquer le nom de praticiens adhérents à Santéclair. Santéclair ayant, sur la demande de ce patient, communiqué trois noms de praticiens, dont celui contre lequel le chirurgien-dentiste a porté plainte, ainsi que des informations objectives sur les honoraires qu'ils pratiquaient.... ...La chambre disciplinaire nationale a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant qu'ils ne révélaient, de la part de l'intéressé, ni le recours à des procédés publicitaires prohibé par l'article R. 4127-215 du code de la santé publique (CSP), ni un détournement ou une tentative de détournement de patientèle prohibés par l'article R. 4127-262 du même code.


Références :

[RJ1]

Ab. jur., sur ce point, CE, 22 mars 2000,,, n° 195615, pp. 838-1198-1216.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 déc. 2018, n° 403426
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sara-Lou Gerber
Rapporteur public ?: Mme Sophie-Justine Lieber
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:403426.20181219
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