Vu les procédures suivantes :
Par un jugement n° 2016-0031 du 2 novembre 2016, la chambre régionale des comptes d'Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes a constitué MM. A... D..., B... E... et F... C..., anciens comptables de la régie personnalisée de l'opéra national de Bordeaux, débiteurs à titre subsidiaire envers la régie personnalisée des sommes respectives de 238 316,71 euros, 175 453,57 euros et 860 578,71 euros pour avoir payé, entre 2009 et 2012, des mandats de reconstitution d'avances au profit de la régie, sans avoir procédé à une complète vérification des pièces justificatives jointes à ces mandats.
Par un arrêt n° S 2017-3060 du 26 octobre 2017, la Cour des comptes, saisie d'une requête d'appel formée par MM. D... et E..., d'une part, et M. C..., d'autre part, a annulé ce jugement en ce qui concerne la charge n° 1 et, après évocation, a prononcé au profit de la régie personnalisée de l'opéra national de Bordeaux des débets à l'encontre de MM. D..., E... et C... à hauteur respectivement de 238 316,71 euros, de 175 453,57 euros et de 860 578,71 euros.
1° Sous le n° 416814, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 décembre 2017 et 8 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de déclarer la décharge des sommes mises à la charge de MM. D..., E... et C... ;
3°) à titre subsidiaire, d'annuler les articles 2, 3 et 4 du dispositif de l'arrêt attaqué.
2° Sous le n° 416894, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 décembre 2017 et 28 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code des juridictions financières ;
- la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;
- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Laure Durand-Viel, auditeur,
- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de M. C... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 septembre 2019 sous le numéro 416814, présentée par le ministre de l'action et des comptes publics ;
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois de M. C... et du ministre de l'action et des comptes publics sont dirigés contre le même arrêt de la Cour des comptes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour des comptes que des détournements de fonds d'un montant total de plus de 2 millions d'euros ont été commis entre 2002 et 2012 par le régisseur de l'opéra national de Bordeaux. Par un jugement du 2 novembre 2016, la chambre régionale des comptes a déclaré débiteurs de la régie personnalisée de l'opéra MM. D..., E... et C..., en leur qualité de comptables publics, à hauteur respectivement de 238 16,71 €, 175 453,57 € et 860 578,71 € sur le fondement de fautes ou négligences caractérisées commises dans le contrôle de la régie. Par un arrêt du 26 octobre 2017, contre lequel M. C... et le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoient en cassation, la Cour des comptes a annulé ce jugement et, après évocation, a déclaré chacun des trois comptables débiteur de la même somme que celle fixée par les premiers juges sur le fondement de fautes ou négligences caractérisées commises par ces comptables dans le contrôle de la régie.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 242-2 du code des juridictions financières, relatif aux activités juridictionnelles des chambres régionales des comptes : " Les rapports d'examen des comptes à fin de jugement ou ceux contenant des faits soit susceptibles de conduire à une condamnation à l'amende, soit présomptifs de gestion de fait sont communiqués au représentant du ministère public près la chambre régionale des comptes. " Aux termes du premier alinéa de l'article L. 242-4 du même code : " Lorsque le ministère public relève, dans les rapports mentionnés à l'article L. 242-2 ou au vu des autres informations dont il dispose, un élément susceptible de conduire à la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable, ou présomptif de gestion de fait, il saisit la chambre régionale des comptes. " Le deuxième alinéa de l'article R. 212-15 du code des juridictions financières prévoit que le ministère public " saisit par réquisitoire la chambre régionale des comptes en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, sur le fondement des informations portées à sa connaissance. " Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 242-13 du même code, relatif à la phase contentieuse de la procédure juridictionnelle devant les chambres régionales des comptes : " Le jugement, motivé, statue sur chacun des griefs du réquisitoire et sur les observations des parties auxquelles il a été notifié. "
4. En premier lieu, aucune disposition ni aucun principe n'impose que la formation délibérante de la Cour des comptes soit composée d'un nombre impair de membres. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la formation de jugement qui a statué en appel au motif qu'elle était composée de quatre membres ne peut qu'être écarté.
5. En deuxième lieu, si l'article R. 142-10 du code des juridictions financières relatif à la procédure juridictionnelle devant la Cour des comptes prévoit que " A l'audience publique, après l'exposé du rapporteur et les conclusions du représentant du ministère public, les parties à l'instance peuvent formuler, soit en personne, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou un avocat, des observations précisant celles fournies par écrit ", aucune disposition n'impose au juge des comptes de répondre à ces observations. Le moyen tiré de ce que la Cour aurait insuffisamment motivé son arrêt en ne répondant pas aux observations orales formulées par M. C... lors de l'audience publique doit donc être écarté.
6. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que le magistrat rapporteur devant la Cour des comptes a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure en présentant de manière partiale l'un des moyens soulevés à l'encontre du jugement de la chambre régionale des comptes doit, en tout état de cause, être écarté comme inopérant, dès lors que la Cour des comptes a annulé ce jugement pour un autre motif. De même, la circonstance alléguée que la Cour des comptes se serait fondée sur le réquisitoire du ministère public près la chambre régionale des comptes, à supposer même que celui-ci ait été entaché d'irrégularité, n'est pas en elle-même de nature à affecter le caractère contradictoire de la procédure.
7. En quatrième lieu, le moyen tiré de ce que la procédure a été conduite en méconnaissance du monopole des poursuites confié au ministère public, au motif que la chambre régionale des comptes d'Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes a mis en jeu la responsabilité des comptables sur un fondement distinct de celui retenu par le réquisitoire du ministère public, doit également être écarté comme inopérant dès lors, ainsi qu'il a été dit, que la Cour des comptes a annulé le jugement de la chambre régionale.
8. En cinquième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 242-2 du code des juridictions financières, relatif aux activités juridictionnelles des chambres régionales des comptes : " Les rapports d'examen des comptes à fin de jugement ou ceux contenant des faits soit susceptibles de conduire à une condamnation à l'amende, soit présomptifs de gestion de fait sont communiqués au représentant du ministère public près la chambre régionale des comptes. " Aux termes du premier alinéa de l'article L. 242-4 du même code : " Lorsque le ministère public relève, dans les rapports mentionnés à l'article L. 242-2 ou au vu des autres informations dont il dispose, un élément susceptible de conduire à la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable, ou présomptif de gestion de fait, il saisit la chambre régionale des comptes. " Le deuxième alinéa de l'article R. 212-15 du code des juridictions financières prévoit que le ministère public " saisit par réquisitoire la chambre régionale des comptes en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, sur le fondement des informations portées à sa connaissance. " Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 242-13 du même code, relatif à la phase contentieuse de la procédure juridictionnelle devant les chambres régionales des comptes : " Le jugement, motivé, statue sur chacun des griefs du réquisitoire et sur les observations des parties auxquelles il a été notifié. " Il résulte de ces dispositions que le juge des comptes ne peut fonder les décisions qu'il rend dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle que sur les griefs retenus par le ministère public dans son réquisitoire introductif d'instance et, le cas échéant, dans un réquisitoire supplétif, comme susceptibles de fonder une charge à l'encontre du comptable concerné.
9. D'autre part, aux termes du I de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 de finances pour 1963, dans sa version applicable : " Outre la responsabilité attachée à leur qualité d'agent public, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d'un comptable public, désignées ci-après par le terme d'organismes publics, du maniement des fonds et des mouvements de comptes de disponibilités, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité ainsi que de la tenue de la comptabilité du poste comptable qu'ils dirigent. / Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. / La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors (...) qu'une dépense a été irrégulièrement payée (...) " Aux termes du III du même article : " La responsabilité pécuniaire des comptables publics s'étend à toutes les opérations du poste comptable qu'ils dirigent depuis la date de leur installation jusqu'à la date de cessation des fonctions. / Cette responsabilité s'étend aux opérations des comptables publics placés sous leur autorité et à celles des régisseurs (...). / Les sommes allouées en remise gracieuse aux régisseurs ou celles dont ceux-ci ont été déclarés responsables mais qui ne pourraient pas être recouvrées ne peuvent être mises à la charge du comptable assignataire par le juge des comptes ou le ministre, sauf si le débet est lié à une faute ou une négligence caractérisée commise par le comptable public à l'occasion de son contrôle sur pièces ou sur place. (...). " Le décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors applicable, prévoit à son article 12 que le comptable public est tenu de contrôler la validité de la créance, et à son article 13, que " en ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur la justification du service fait et l'exactitude des calculs de liquidation (...) ".
10. Il ressort des termes du réquisitoire du procureur général près la chambre régionale des comptes d'Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes que celui-ci s'est notamment fondé, pour estimer que la responsabilité des comptables en cause serait susceptible d'être engagée en raison de manquements à leurs obligations de contrôle de la validité de la créance pour 24 mandats de reconstitution de l'avance de la régie, sur les dispositions de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 ainsi que sur l'instruction codificatrice n° 06-031-A-B-M du 21 avril 2006 qui prévoit qu'en ce qui concerne les dépenses prises en charge au titre de régies d'avances, les contrôles exercés par le comptable sur les mandats correspondants et les pièces justificatives sont les mêmes que pour les mandats qu'il prend directement en charge. Il en résulte que le fondement légal sur lequel reposait la mise en cause proposée dans ce réquisitoire ne pouvait être que le III de l'article 60 de la loi du 23 février 1963, relatif à la responsabilité du comptable au titre des agissements des régisseurs placés sous son contrôle. Par suite, le moyen tiré de ce que la Cour a entaché son arrêt d'irrégularité et d'erreur de droit en jugeant que la responsabilité pécuniaire et personnelle de M. C... pouvait être retenue sur le fondement du III de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 alors que le ministère public s'était contenté, dans son réquisitoire introductif d'instance, de citer le I de ce même article, doit être écarté.
11. En sixième lieu, les dispositions précitées du III de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 qui précisent à quelles conditions les sommes dont les régisseurs ont été déclarés responsables mais qui ne peuvent être recouvrées peuvent être mises à la charge du comptable assignataire par le juge des comptes ne s'appliquent pas au réquisitoire du ministère public. Par suite, le moyen tiré de ce que le ministère public ne pouvait mettre en jeu la responsabilité des comptables concernés au motif que débet n'était pas lié à une faute ou une négligence caractérisée commise par le comptable public doit, en tout état de cause, être écarté.
12. En septième lieu, en relevant qu'en omettant de procéder à une vérification exhaustive des justifications apportées par la régisseure aux mandats de reconstitution de l'avance, et en particulier en ne vérifiant pas que l'addition des montants figurant sur chacune des lignes correspondait bien à la somme inscrite au mandat de paiement comme étant le total des montants payés à reconstituer, M. C... avait commis une négligence caractérisée dans l'exercice des contrôles élémentaires qui lui incombaient sur les comptes du régisseur, la Cour a suffisamment motivé son arrêt, qui est exempt de contradiction de motifs, et n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. Dès lors, c'est sans erreur de droit que la Cour, après avoir relevé que l'existence d'un préjudice était constituée dès lors que les paiements indus correspondaient à des détournements de la part du régisseur, a engagé la responsabilité de M. C... à hauteur du total des sommes irrégulièrement payées.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... et le ministre de l'action et des comptes publics ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent. Leurs pourvois doivent, par suite, être rejetés, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de M. C... et du ministre de l'action et des comptes publics sont rejetés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. F... C..., au ministre de l'action et des comptes publics et au parquet général près la Cour des comptes.
Copie en sera adressée à M. A... D... et à M. B... E....