Vu la procédure suivante :
Mme O... AL... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Vif (Isère).
Par un jugement n° 2003543 du 8 octobre 2020, ce tribunal a prononcé l'annulation de ces opérations électorales.
Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 novembre et 9 décembre 2020 et 23 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la protestation de Mme AL... ;
3°) de déclarer Mme AL... inéligible en application de l'article L. 118-4 du code électoral ;
4°) de mettre à la charge de Mme AL... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François-René Burnod, auditeur,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. D... et au cabinet Munier-Apaire, avocat de Mme AL... ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue du premier tour, qui s'est déroulé le 15 mars 2020, des élections organisées en vue de la désignation des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Vif (Isère), la liste " L'essentiel pour Vif " conduite par Mme AL... a obtenu 1 103 voix, soit 40,66 % des suffrages exprimés, la liste " Ensemble, soyons Vifs ", conduite par M. D..., maire sortant, a obtenu 782 voix, soit 28,82 % des suffrages exprimés, et deux autres listes, conduites par Mme AN... P... et par Mme AM... AC..., ont recueilli respectivement 729 voix, soit 26,87 % des suffrages exprimés, et 99 voix, soit 3,64 % des suffrages exprimés. A l'issue du second tour de ces mêmes élections, qui s'est déroulé le 28 juin 2020, la liste " Ensemble soyons Vifs " conduite par M. D... a obtenu 940 voix, soit 34,76 % des suffrages exprimés et 20 sièges au conseil municipal, tandis que la liste " L'essentiel pour Vif " conduite par Mme AL... a obtenu 937 voix soit 34,65 % des suffrages exprimés et 5 sièges et la liste " Vif notre territoire pour demain " conduite par Mme AN... P... a obtenu 827 voix, soit 30,58 % des suffrages exprimés et 4 sièges. Sur protestation de Mme AL..., le tribunal administratif de Grenoble a, par un jugement du 8 octobre 2020, annulé les opérations électorales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 dans cette commune.
Sur l'intervention des colistiers de M. D... :
2. M. H..., M. S..., Mme R..., Mme E..., M. AJ..., Mme G..., M. F..., Mme Z..., M. C..., Mme AI..., M. AD..., Mme A... AB..., M. N..., Mme U..., Mme AO... et M. AH... étaient membres de la liste " Ensemble, soyons Vifs " conduite par M. D... et justifient de ce fait d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de sa requête. Ainsi, leur intervention est recevable.
Sur le déroulement de la campagne électorale :
3. Aux termes de l'article L. 48-2 du code électoral : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ".
4. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'un " collectif citoyen " intitulé " Vifois, réveillons-nous " a diffusé au cours de la période du 22 au 25 juin 2020, dans les boîtes aux lettres des habitants de la commune de Vif, 3000 exemplaires d'un tract portant contre Mme AL... une accusation d' " achat de voix " en raison d'un don de 9 800 euros consenti au profit de plusieurs structures associatives œuvrant dans les établissements scolaires à la suite de la dissolution d'une association dont elle était la présidente. Cette accusation, relayée par le media en ligne " Place Gre'Net ", revêtait un caractère diffamatoire dès lors que ce don, en dépit de la publicité qui lui a été donnée par voie de presse dans un article publié dans l'édition du quotidien Le Dauphiné Libéré du 12 juin 2020, ne pouvait être regardé, eu égard à la qualité de ses bénéficiaires, comme un " achat de voix " ou comme une manœuvre destinée à faire pression sur les électeurs.
5. En second lieu, il résulte de l'instruction que M. D... a accordé au quotidien Le Dauphiné Libéré une interview, publiée dans son édition du 24 juin 2020, dans laquelle il comparait Mme AL... et son mari " aux époux T..., en pire ". Un tel rapprochement avait déjà été effectué en mars 2020, Mme AL... ayant alors fait état de son intention de porter plainte pour diffamation. Si M. D... soutient que ces propos ne faisaient pas directement référence à la procédure judiciaire dont faisaient l'objet M. et Mme T... et n'excédaient pas les limites de ce qui peut être tolère´ dans le cadre de la polémique électorale, la réitération en fin de campagne de ces propos polémiques, qui ne reposaient sur aucun élément objectif, était également destinée à frapper les esprits en jetant le doute sur la probité de la candidate qu'ils visaient.
6. Eu égard à la nature des accusations et insinuations contenues dans ce tract et dans cette interview, qui visaient à mettre en doute sa probité, Mme AL... ne pouvait y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale, le 27 juin à minuit. Ainsi, alors même qu'il ne serait pas établi que M. D... ou l'un de ses colistiers seraient à l'origine du tract, sa diffusion dans les tout derniers jours de la campagne électorale ainsi que celle de l'interview de M. D... ont constitué une manœuvre de nature, compte tenu du très faible écart de voix, à altérer la sincérité du scrutin.
Sur les conclusions présentées par M. D... et ses colistiers tendant à l'application des dispositions de l'article L. 118-4 du code électoral :
7. Si, à la suite de la communication qui leur a été donnée de la requête de Mme AL..., M. D... et ses colistiers ont demandé, par la voie d'un appel incident, que Mme AL... soit déclarée inéligible, ces conclusions reconventionnelles ne sont pas recevables en matière électorale.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... et ses colistiers ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les opérations électorales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 dans la commune de Vif.
Sur les frais de l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme AL..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante. Il n'y a par ailleurs pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de M. D... au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de M. L... H... , M. I... S... , Mme AP... R... , Mme AA... E... , M. X... AJ... , Mme Y... G... , M. AK... F... , Mme W... Z... , M. K... C..., Mme AG... AI... , M. AE... AD... , Mme AQ... A... AB... , M. J... N... , Mme V... U... , Mme AF... AO... et de M. M... AH... est admise.
Article 2 : La requête de M. D... est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... D... , M. L... H... , M. I... S... , Mme AP... R... , Mme AA... E... , M. X... AJ... , Mme Y... G... , M. AK... F... , Mme W... Z... , M. K... C..., Mme AG... AI... , M. AE... AD... , Mme AQ... A... AB... , M. J... N... , Mme V... U... , Mme AF... AO... , M. M... AH... , à Mme O... AL... et au ministre de l'intérieur.