Vu la procédure suivante :
La commune de Mouvaux a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement la société CD Architectes, la société Verdi Bâtiment Nord de France, M. F... E... et la société SEC, représentée par Maître Perin, liquidateur judiciaire, à lui verser la somme de 314 431,04 euros au titre des travaux de reprise de l'ensemble des désordres affectant l'école Lucie Aubrac ainsi que la somme de 44 550,99 euros. Par un jugement n° 1403955 du 19 mars 2018, le tribunal administratif de Lille a, en premier lieu, condamné solidairement la société CD Architectes, la société Verdi Bâtiment Nord de France, M. E... et la société SEC à verser à la commune de Mouvaux la somme de 402 292,79 euros au titre de la réparation des désordres autres que ceux provenant des défauts de conception de l'école, en deuxième lieu, condamné solidairement la société CD Architectes, la société Verdi Bâtiment Nord de France et M. E... à verser à la même commune la somme de 2 990 euros au titre de la réparation des désordres provenant des défauts de conception de l'école et, en troisième lieu, mis à la charge solidaire de la société CD Architectes, de la société Verdi Bâtiment Nord de France, de M. E... et de la société SEC les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 17 882,60 euros.
Par un arrêt n° 18DA01006 du 10 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Douai a, en premier lieu, annulé ce jugement en tant qu'il concerne la société CD Architectes, M. E... et la société Verdi Bâtiment Nord de France, en deuxième lieu, rejeté la demande de la commune de Mouvaux présentée devant le tribunal administratif de Lille en tant qu'elle concerne la société CD Architectes, M. E... et la société Verdi Bâtiment Nord de France et, en dernier lieu, rejeté les conclusions d'appel incident et d'appel provoqué présentées par la commune de Mouvaux.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 février et 10 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Mouvaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la société CD Architectes, M. E... et la société Verdi Bâtiment Nord de France et Maître Perin agissant en qualité de liquidateur de la société SEC la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 22 octobre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 5 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la commune de Mouvaux et à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la société Verdi Bâtiment Nord de France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Mouvaux a décidé de construire une école primaire et maternelle dénommée " Ecole Lucie Aubrac " et que par un acte d'engagement du 31 mai 2006, elle a confié le lot n° 3 " couverture - étanchéité - verrières " à la société SEC. La maîtrise d'œuvre a été confiée au groupement conjoint composé de la société CD Architectes et de M. E..., architectes, ainsi que de la société BetR Ingénierie, bureau d'études. Au cours du chantier, la commune de Mouvaux a constaté d'importantes malfaçons dans la réalisation des travaux par la société SEC. A la suite d'une mise en demeure du 26 juillet 2007 par laquelle la commune de Mouvaux a ordonné à la société SEC d'effectuer les travaux de reprise permettant d'assurer l'étanchéité de la toiture du bâtiment en construction et du refus de cette société d'exécuter les travaux demandés, le maître d'ouvrage a engagé la procédure de mise en régie partielle et confié la réalisation des travaux conservatoires à la société VAES. A la demande de la commune de Mouvaux, une expertise a été ordonnée, le 21 mai 2008, par le juge des référés du tribunal administratif de Lille pour constater les désordres. L'expert a déposé son rapport définitif le 3 mars 2011. Par un jugement du 19 mars 2018, le tribunal administratif de Lille a, en premier lieu, condamné solidairement la société CD Architectes, la société Verdi Bâtiment Nord de France, venant aux droits de la société BetR Ingénierie, M. E... et la société SEC à verser à la commune de Mouvaux la somme de 402 292,79 euros au titre de la réparation des désordres autres que ceux provenant des défauts de conception de l'école, en deuxième lieu, condamné solidairement la société CD Architectes, la société Verdi Bâtiment Nord de France et M. E... à verser à la même commune la somme de 2 990 euros au titre de la réparation des désordres provenant des défauts de conception de l'école et, en troisième lieu, mis à la charge solidaire de la société CD Architectes, de la société Verdi Bâtiment Nord de France, de M. E... et de la société SEC les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 17 882,60 euros. Par un arrêt du 10 décembre 2020, contre lequel la commune de Mouvaux se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Douai a annulé ce jugement en tant qu'il concerne la société CD Architectes, M. E... et la société Verdi Bâtiment Nord de France, rejeté la demande de la commune de Mouvaux présentée devant le tribunal en tant qu'elle concerne la société CD Architectes, M. E... et la société Verdi Bâtiment Nord de France et rejeté les conclusions d'appel incident et d'appel provoqué présentées par la commune de Mouvaux.
2. Aux termes de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ".
3. Pour juger que l'action de la commune de Mouvaux tendant à l'engagement de la responsabilité contractuelle des constructeurs était prescrite, la cour administrative d'appel a estimé que cette action était soumise, en application des dispositions de l'article 2224 du code civil citées au point 2, à une prescription d'une durée de cinq ans qui, si elle avait été interrompue par la demande de la commune au juge des référés d'ordonner une expertise, avait recommencé à courir à compter de l'ordonnance décidant de cette mesure et n'avait pas été suspendue pendant la durée des opérations d'expertise.
4. En premier lieu, aux termes de l'article 2244 du code civil dans sa version antérieure à la loi du 17 juin 2008 : " Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir ". Il résulte de ces dispositions que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise n'interrompt le délai de prescription que pendant la durée de l'instance à laquelle il est mis fin par l'ordonnance désignant l'expert. Par suite, en jugeant que l'interruption de la prescription de l'action de la commune de Mouvaux résultant de la demande qu'elle avait adressée au juge des référés d'ordonner une expertise avait pris fin le 21 mai 2008, date à laquelle le juge a ordonné l'expertise, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.
5. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 2239 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 : " La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ". D'autre part, aux termes de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 : " I. - Les dispositions de la présente loi qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. / II. - Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. / III. - Lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation. / (...) ".
6. Les dispositions transitoires prévues par l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 cité au point 5 concernent les dispositions de cette loi qui allongent ou réduisent la durée de la prescription et non celles qui instituent de nouvelles causes d'interruption ou de suspension, comme celle créée par l'article 2239 du code civil. Ainsi, la suspension du délai de prescription jusqu'à l'exécution de la mesure d'instruction ordonnée, résultant de ces dispositions, ne s'applique qu'aux mesures d'instruction, telles les expertises, ordonnées à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi qui l'a instituée. Par suite, en jugeant que ces dispositions n'étaient pas applicables à l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Lille le 21 mai 2008, la cour administrative d'appel de Douai n'a pas commis d'erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la commune de Mouvaux doit être rejeté.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Verdi Bâtiment Nord de France qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Les conclusions de cette société à ce titre ne peuvent qu'être également rejetées, dès lors qu'elles sont dirigées contre l'Etat, qui n'est pas partie à cette instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Mouvaux est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de la société Verdi Bâtiment Nord de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Mouvaux et à la société Verdi Bâtiment Nord de France.
Copie en sera adressée à la société CD Architectes, M. F... E... et Maître Perin agissant en qualité de liquidateur de de la société SEC.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. J... L..., M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. K... N..., Mme A... M..., M. C... I..., M. D... O..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. H... P..., maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 25 novembre 2021.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Thomas Pez-Lavergne
La secrétaire :
Signé : Mme G... B...