Vu la procédure suivante :
La société Allianz Global Corporate et Specialty a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner solidairement les sociétés Ingérop, Ingérop Conseil et Ingénierie et Spie Sud-Ouest à lui verser, en réparation des dommages causés à un aéronef de la compagnie Corsair lors d'un accident survenu sur la piste de l'aéroport de Toulouse Blagnac, la contre-valeur en euros de la somme correspondant à 191 515 dollars américains, augmentée des intérêts capitalisés. Par un jugement n° 1504487 du 31 mai 2018, le tribunal administratif de Toulouse a, d'une part, condamné la société Spie Sud-Ouest et la société Ingérop Conseil et Ingénierie à verser solidairement à la société Allianz Global Corporate et Specialty la somme de 171 273,13 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2015 et de la capitalisation des intérêts et a, d'autre part, condamné ces deux sociétés à se garantir réciproquement à hauteur de 50 % des condamnations mises à leur charge.
Par un arrêt n°s 18BX02944, 18BX02945 du 17 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appels de la société Spie Industrie Tertiaire, venant aux droits de la société Spie Sud-Ouest, et de la société Ingérop Conseil et Ingénierie, annulé ce jugement et rejeté comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître la demande de première instance présentée par la société Allianz Global Corporate et Specialty.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 février et 17 mai 2021 et le 4 janvier 2022, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Allianz Global Corporate et Specialty et la société Aéroport Toulouse Blagnac demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les appels de la société Spie Industrie Tertiaire et de la société Ingérop Conseil et Ingénierie ;
3°) de mettre à la charge de la société Spie Industrie Tertiaire et de la société Ingérop Conseil et Ingénierie la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des assurances ;
- le code de l'aviation civile ;
- le code des transports ;
- l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ;
- la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 ;
- la loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 ;
- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;
- le décret n° 2007-244 du 23 février 2007 ;
- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Allianz Global Corporate et Specialty et de la société Aéroport de Toulouse Blagnac et au cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Ingerop conseil et Ingenierie ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Aéroport Toulouse Blagnac, concessionnaire de l'aérodrome du même nom, a conclu le 11 mai 2009 un contrat de maîtrise d'œuvre avec la société Ingérop Conseil et Ingénierie en vue de la rénovation des approches de pistes de l'aérodrome. Elle a également conclu le 9 juillet 2010 un marché de travaux avec la société Spie Sud-Ouest pour la réalisation de travaux de rénovation du balisage lumineux de l'approche de ces pistes. Pendant l'exécution de ces contrats, le 26 octobre 2010, un aéronef de la compagnie Corsair a heurté au roulage une balise temporaire de la piste, endommageant l'entrée d'air d'un réacteur. La compagnie d'assurance Allianz Global Corporate et Specialty, assureur de la société Aéroport Toulouse Blagnac, a conclu un accord transactionnel avec la compagnie Corsair et son assureur le 23 février 2015 et a indemnisé le préjudice subi par celle-ci à hauteur de 191 515 dollars américains. La société Allianz Global Corporate et Specialty, à titre principal en sa qualité de subrogée dans les droits de la société Aéroport Toulouse Blagnac, a recherché la responsabilité des sociétés Ingérop, Ingérop Ingénierie et Conseil et Spie Sud Ouest devant le tribunal administratif de Toulouse en se prévalant des fautes contractuelles commises par ces sociétés dans l'exécution des marchés de maîtrise d'œuvre et de travaux. A titre subsidiaire, invoquant sa qualité de subrogée dans les droits de la victime, la compagnie Corsair, la société Allianz Global Corporate et Specialty a recherché la responsabilité de ces mêmes entreprises sur le fondement de leur responsabilité extracontractuelle. Par un jugement du 31 mai 2018, le tribunal administratif de Toulouse a, d'une part, condamné la société Spie Sud-Ouest, devenue la société Spie Industrie Tertiaire, et la société Ingérop Conseil et Ingénierie à verser solidairement à la société Allianz Global Corporate et Specialty la somme de 171 273,13 euros au titre de leur responsabilité contractuelle à l'égard de la société Aéroport Toulouse Blagnac et, d'autre part, condamné les mêmes sociétés à se garantir réciproquement à hauteur de 50 % des condamnations mises à leur charge. Par un arrêt du 17 décembre 2020 contre lequel les sociétés Allianz Global Corporate et Specialty et Aéroport Toulouse Blagnac se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement et, statuant par voie d'évocation, rejeté la demande de première instance de la société Allianz Global Corporate et Specialty comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 35 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : " Lorsqu'une juridiction est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence ".
Sur l'action fondée sur la responsabilité contractuelle des sociétés ayant réalisé le balisage litigieux à l'égard du concessionnaire de l'aérodrome :
3. D'une part, aux termes de l'article R. 243-1 du code de l'aviation civile, dont la substance est désormais reprise à l'article L. 6351-6 du code des transports : " Le ministre chargé de l'aviation civile (...) peut prescrire le balisage de jour et de nuit ou le balisage de jour ou de nuit de tous les obstacles qu'il juge dangereux pour la navigation aérienne. / De même il peut prescrire l'établissement de dispositifs visuels (...) d'aides à la navigation aérienne. / Il peut également prescrire la suppression ou la modification de tout dispositif visuel (...) de nature à créer une confusion avec les aides visuelles à la navigation aérienne ". Selon le § 7.3.1 de l'annexe II au chapitre 7 du code de l'aviation civile, les services de la circulation aérienne doivent être " tenus au courant de l'état opérationnel (...) / des aides visuelles suivantes, lorsque l'approche est localisée sur l'aérodrome : balisage d'approche (y compris PAPI), balisage de la piste, balisage de la circulation à la surface (y compris barres d'arrêt et panneaux de signalisation) et balisage d'obstacles indispensables pour l'exécution d'une procédure de départ, d'approche aux instruments ou d'approche à vue ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 17 du cahier des charges type applicable à la concession des aérodromes appartenant à l'État, approuvé par le décret du 23 février 2007 visé ci dessus : " (...) En cas de travaux sur les aires de mouvement et sans préjudice des dispositions de l'article 60 du présent cahier des charges, le concessionnaire organise les chantiers de manière à perturber le moins possible la circulation au sol des aéronefs et des véhicules et se coordonne avec le prestataire de services de navigation aérienne pour la mise en œuvre de procédures de sécurité. / (...) ". Selon le I de l'article 42 du même cahier des charges, relatif au prestataire de services de navigation aérienne : " (...) Sans préjudice des dispositions de l'article 60 du présent cahier des charges, le concessionnaire et le prestataire de services de la navigation aérienne organisent une concertation régulière sur leurs projets de travaux et de la compatibilité de ces travaux avec les contraintes de l'exploitation aéroportuaire et de la fourniture des services de la navigation aérienne. (...) ". L'article 60 du même cahier des charges, relatif au régime des travaux, prévoit que : " Tous travaux de création, d'aménagement de voie ou de réfection de pistes, voies de circulation, (...) doivent, sauf dérogation expresse accordée par le ministre chargé de l'aviation civile, être compatibles : / - avec les servitudes aéronautiques et radioélectriques ; / - avec les surfaces libres d'obstacles ou avec les surfaces d'évaluation d'obstacles relatives aux approches de précision ; / (...). / Ils ne doivent pas dégrader les conditions d'exercice de la navigation aérienne. / Le concessionnaire tient informé le directeur de l'aviation civile, avec un préavis d'au moins trois mois avant leur commencement pouvant être réduit en cas d'urgence, de tous projets de travaux pouvant affecter l'exercice des missions des services de l'Etat, notamment sur les aires de mouvement, ou susceptibles d'avoir des conséquences en matière de sécurité ou de sûreté aéroportuaire. Dans ce délai, le directeur de l'aviation civile peut formuler des propositions et recommandations ou, le cas échéant, exiger des modifications portant sur la nature des travaux, leur calendrier et leur phasage, ainsi que sur les méthodes d'exécution. Le concessionnaire indique au directeur de l'aviation civile, dans un délai de huit jours, les suites qu'il entend donner à ses propositions et recommandations ".
5. Pour estimer que la juridiction administrative n'était pas compétente pour connaître de l'action de la société Allianz Global Corporate et Specialty, subrogée dans les droits de son assurée, la société Aéroport Toulouse Blagnac, contre les sociétés Ingérop, Ingérop Ingénierie et Conseil et Spie Industrie Tertiaire à raison des fautes commises par celles-ci dans l'exécution de travaux réalisés dans le cadre du marché de maîtrise d'œuvre et du marché de travaux en litige, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé que la société Aéroport Toulouse Blagnac ne pouvait être regardée comme agissant pour le compte de l'Etat lorsqu'elle a conclu les marchés avec les sociétés Ingérop Ingénierie et Conseil et Spie Industrie Tertiaire, exclusivement signés par des personnes morales de droit privé.
6. Les sociétés Allianz Global Corporate et Specialty et Aéroport Toulouse Blagnac soutiennent que les marchés en litige conclus par le concessionnaire en vue de la réalisation de travaux de sécurité sur un ouvrage public l'ont été pour le compte de l'Etat et sont en conséquence des contrats administratifs relevant de la compétence de la juridiction administrative.
7. Le litige né de l'action introduite devant la juridiction administrative par la société Allianz Global Corporate et Specialty, à titre principal en sa qualité de subrogée dans les droits de la société Aéroport Toulouse Blagnac, tendant à la réparation, sur le fondement de la responsabilité contractuelle des sociétés Ingérop Ingénierie et Conseil et Spie Industrie Tertiaire, des dommages causés à un aéronef par les travaux de rénovation du balisage lumineux d'une piste d'un aérodrome présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et de nature à justifier le recours à la procédure prévue par l'article 35 du décret du 27 février 2015 cité au point 2. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Tribunal des conflits la question de savoir si cette action relève ou non de la compétence de la juridiction administrative et de surseoir à toute procédure jusqu'à la décision de ce tribunal.
Sur l'action fondée sur la responsabilité extracontractuelle des sociétés ayant réalisé le balisage litigieux à l'égard de la victime du dommage :
8. Aux termes de l'article R. 224-1 du code de l'aviation civile, dans sa version applicable au litige : " Sur les aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique (...), les services publics aéroportuaires donnant lieu à la perception de redevances en application de l'article L. 224-2 sont les services rendus aux exploitants d'aéronefs et à leurs prestataires de service à l'occasion de l'usage de terrains, d'infrastructures, d'installations, de locaux et d'équipements aéroportuaires fournis par l'exploitant d'aérodrome, dans la mesure où cet usage est directement nécessaire, sur l'aérodrome, à l'exploitation des aéronefs ou à celle d'un service de transport aérien. / Ces services ne peuvent donner lieu à la perception d'autres sommes, sous quelque forme que ce soit ". Selon l'article R. 224-2 du même code : " Les dispositions suivantes s'appliquent sur les aérodromes dont le trafic annuel moyen des trois dernières années a dépassé 100 000 passagers : / 1° Les redevances comprennent notamment : / - la redevance d'atterrissage, correspondant à l'usage, par les aéronefs de plus de six tonnes, des infrastructures et équipements aéroportuaires nécessaires à l'atterrissage, au décollage, à la circulation au sol, ainsi que, le cas échéant, aux services complémentaires, tels que le balisage, l'information de vol et les aides visuelles ; les tarifs de cette redevance sont fonction de la masse maximale certifiée au décollage de l'aéronef ; / (...) ".
9. Pour estimer que la juridiction administrative n'était pas compétente pour connaître de l'action de la société Allianz Global Corporate et Specialty, subrogée dans les droits de la victime, la compagnie Corsair, tendant à la réparation des dommages causés à l'aéronef de cette compagnie du fait de l'installation de balises lumineuses provisoires sur les pistes par les sociétés Ingérop Ingénierie et Conseil et Spie Industrie Tertiaire, la cour administrative d'appel a jugé que ces dommages ont été subis par un usager d'un service public industriel et commercial fourni par la société Aéroport Toulouse Blagnac et en a déduit que le litige relevait des juridictions judiciaires.
10. Les sociétés Allianz Global Corporate et Specialty et Aéroport Toulouse Blagnac soutiennent que le service public aéroportuaire en cause dans le présent litige, qui comprend le balisage lumineux de l'approche des pistes, est un service public administratif et qu'en conséquence le litige relève de la compétence de la juridiction administrative.
11. Le litige né de l'action introduite devant la juridiction administrative par la société Allianz Global Corporate et Specialty, à titre subsidiaire, invoquant sa qualité de subrogée dans les droits de la victime, la compagnie Corsair, tendant à la réparation, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle des sociétés Ingérop, Ingérop Ingénierie et Conseil et Spie Industrie Tertiaire, des dommages causés à un aéronef par les travaux de rénovation du balisage lumineux d'une piste d'un aérodrome présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et de nature à justifier le recours à la procédure prévue par l'article 35 du décret du 27 février 2015 cité au point 2. Par suite, il y a lieu de renvoyer également au Tribunal des conflits la question de savoir si cette action relève ou non de la compétence de la juridiction administrative et de surseoir à toute procédure jusqu'à la décision de ce tribunal.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'affaire est renvoyée au Tribunal des conflits.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi des sociétés Allianz Global Corporate et Specialty et Aéroport Toulouse Blagnac jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour y statuer.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Allianz Global Corporate et Specialty, à la société Aéroport Toulouse Blagnac, à la société Ingérop Conseil et Ingénierie et à la société Spie Industrie Tertiaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 mars 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. H... I..., M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. D... L..., Mme A... J..., M. C... G..., M. E... K..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 28 mars 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Thomas Pez-Lavergne
La secrétaire :
Signé : Mme F... B...