Vu la procédure suivante :
M. et Mme J... et N... M... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 octobre 2018 par lequel la maire de Paris a délivré à la société BBR Bizot un permis de construire en vue de la surélévation d'un immeuble situé au 16/20 avenue du Général Michel Bizot et 3 rue des Meuniers dans le 12ème arrondissement, ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours gracieux. Par un jugement n° 1907473 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 août et 3 novembre 2020 et le 14 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme M... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande ;
3°) de mettre à la charge de la ville de Paris et de la société BBR Bizot la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. et Mme M..., à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société BBR Bizot et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, par un arrêté du 16 octobre 2018, la maire de Paris a accordé à la société BBR Bizot un permis de construire en vue de la surélévation d'un immeuble. M. et Mme M... se pourvoient en cassation contre le jugement du 18 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme : " Par dérogation à l'article R. 611-7-1 du code de justice administrative, et sans préjudice de l'application de l'article R. 613-1 du même code, lorsque la juridiction est saisie d'une requête relative à une décision d'occupation ou d'utilisation du sol régie par le présent code, ou d'une demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s'effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article R. 611-3 du code de justice administrative. / Le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu'il désigne à cet effet, peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l'affaire le justifie (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'un moyen nouveau présenté après l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense est, en principe, irrecevable. Lorsqu'est produit un mémoire comportant un tel moyen, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction doit informer les parties de son irrecevabilité, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, sauf s'il décide de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens, postérieure à la production du mémoire en cause. Il est toujours loisible au président de la formation de jugement de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens s'il estime que les circonstances de l'affaire le justifient. Il doit y procéder dans le cas particulier où le moyen est fondé sur une circonstance de fait ou un élément de droit dont la partie concernée n'était pas en mesure de faire état avant l'expiration du délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense et est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la demande de M. et Mme M..., tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire délivré à la société BBR Bizot, a été enregistrée le 15 avril 2019 et que le délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense, prévu par l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme, a commencé de courir le 14 juin 2019. Le tribunal administratif de Paris, par le jugement attaqué, a écarté les moyens tirés de la méconnaissance des articles UG.12.3 du règlement du plan local d'urbanisme, des articles L. 111-7 et R. 111-8 du code de la construction et de l'habitation et de l'article 6 de l'arrêté du 24 décembre 2015 relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées des bâtiments d'habitation collectifs et des maisons individuelles, au motif qu'ils avaient été invoqués par M. et Mme M... dans un mémoire enregistré le 17 octobre 2019, soit après l'expiration du délai prévu par l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme, et étaient, par suite, irrecevables. Il résulte toutefois des pièces du dossier de la procédure que M. et Mme M... avaient sollicité à plusieurs reprises la transmission du dossier du permis de construire, qu'ils n'ont pu en disposer que le 19 septembre 2019 à la suite d'une mesure d'instruction diligentée par le tribunal et qu'ils ont fait valoir devant le tribunal administratif qu'ils n'avaient pu, avant cette date, être à même d'invoquer les moyens nouveaux formulés dans leur mémoire du 17 octobre 2019.
5. En écartant comme irrecevables les moyens invoqués pour la première fois par les demandeurs dans leur mémoire du 17 octobre 2019, au motif que ces moyens étaient nouveaux et présentés postérieurement à l'expiration du délai imparti par les dispositions de l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme, sans rechercher si, ainsi qu'il était soutenu, ces moyens étaient fondés sur des circonstances de fait ou des éléments de droit dont les requérants n'étaient pas, jusqu'alors, en mesure de faire état faute d'accès au dossier de permis de construire, et s'ils étaient susceptibles d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le tribunal a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. et Mme M... sont fondés à demander l'annulation du jugement qu'ils attaquent. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ville de Paris et de la société BBR Bizot le versement d'une somme de 1 500 euros chacune à M. et Mme M... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par la société BBR Bizot.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 18 juin 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Paris.
Article 3 : La Ville de Paris et la société BBR Bizot verseront chacune à M. et Mme M... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société BBR Bizot au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme J... et N... M..., à la société BBR Bizot et à la ville de Paris.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 mars 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. H... G..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme K... D..., Mme A... L..., M. B... C..., M. E... F..., M. Alexandre Lallet, conseillers d'Etat et Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 8 avril 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Myriam Benlolo Carabot
La secrétaire :
Signé : Mme I... O...