Vu la procédure suivante :
M. F... E... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 17 octobre 2018 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile et de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire. Par une décision n°18052477 du 2 février 2021, la Cour nationale du droit d'asile a annulé la décision de l'OFPRA et a reconnu à M. E... la qualité de réfugié.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Arno Klarsfeld, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. E... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article L. 711-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicables que le statut de réfugié n'est pas accordé à une personne dont il existe des raisons sérieuses de penser qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens du a) du F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, ou qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, au sens du c) du même F.
2. Constituent des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies au sens de ces stipulations ceux qui sont susceptibles d'affecter la paix et la sécurité internationale, les relations pacifiques entre Etats ainsi que les violations graves des droits de l'homme. L'exclusion du statut de réfugié sur le fondement du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève est subordonnée à l'existence de raisons sérieuses de penser qu'une part de responsabilité dans de tels agissements peut être imputée personnellement au demandeur d'asile, sans qu'il soit besoin d'établir sa culpabilité. Pour opposer cette clause d'exclusion à un demandeur d'asile qui a appartenu à ou a entretenu des liens avec une organisation ayant commis des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies, il y a lieu de rechercher et d'établir, au cas par cas, les raisons sérieuses qui permettent, autrement que par déduction du contexte dans lequel il a agi, de le regarder comme ayant contribué à ou facilité la commission de tels agissements, sur la base d'éléments matériels et intentionnels précis, tenant compte notamment du rôle qu'il a effectivement joué dans la perpétration des actes en cause, des responsabilités qu'il exerçait au sein de cette organisation, du degré de connaissance qu'il avait ou était censé avoir des activités de celle-ci, des éventuelles pressions auxquelles il aurait été soumis ainsi que de la possibilité effective dont il disposait d'empêcher la commission de ces agissements ou de s'en distancier sans courir de risques personnels graves.
3. Par une décision du 17 octobre 2018, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a refusé à M. E... de nationalité sri-lankaise la qualité de réfugié, en se fondant sur les clauses d'exclusion prévues aux a) et c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. Par la décision contre laquelle l'OFPRA se pourvoit en cassation, la CNDA a annulé cette décision de l'office et reconnu la qualité de réfugié du demandeur.
4. Il ressort en premier lieu des énonciations non contestées de la décision de la Cour nationale du droit d'asile que M. E..., de nationalité sri-lankaise, a rejoint en 1990 les rangs du mouvement des Tigres de libération de l'Eelam Tamoul (LTTE), où il a été brièvement affecté au service de communication du Service de sécurité et de renseignement de l'organisation tigre (TOSIS). Instruit et polyglotte, il est devenu la même année l'unique assistant personnel de M. C... alors que ce dernier se voyait confier la responsabilité des renseignements intérieurs au sein de la TOSIS et devenait l'adjoint de M. D..., chef des services secrets et de l'escadron des " Black tigers " formé aux attentats-suicides, lui-même placé auprès du chef suprême du mouvement. Si la Cour a constaté que la mission de M. E... auprès de M. C..., qui a duré une dizaine d'années, consistait, " pour sa partie principale ", à réaliser des tâches administratives de rédaction, de codage de messages et d'organisation de réunions, il ressort en outre de l'instruction qu'elle a conduite, en particulier des déclarations faites par l'intéressé lui-même, que ce dernier était chargé, sur la base des demandes que lui adressait son supérieur, de collecter des informations détaillées auprès des combattants sur le terrain afin d'organiser efficacement des attentats, comme l'attaque du camp militaire d'entraînement de Diyathawala et l'attaque-suicide de l'aéroport de Katunayake.
5. En deuxième lieu, il ressort également des pièces du dossier soumis au juge du fond et des énonciations non contestées de la décision attaquée qu'en raison de son positionnement et de sa très grande proximité avec M. C..., M. E..., dépositaire de nombreuses informations sensibles, connaissait l'identité de l'ensemble des membres de l'appareil du renseignement des LTTE et disposait d'une connaissance intime du fonctionnement du mouvement et des activités des services de sécurité et de renseignement, ainsi que des " nombreux actes condamnables commis par le TOSIS, constitutifs pour certains de crime de guerre ".
6. En troisième lieu, il ne ressort ni de la décision attaquée, ni des pièces du dossier soumis à la Cour, que M. E..., dont il est constant qu'il a été autorisé par les LTTE à quitter le mouvement après son mariage en 2001, auquel a d'ailleurs assisté M. D..., se serait trouvé, au cours de la période qu'il a passée auprès de M. C... et alors qu'il n'ignorait rien des exactions commises par cette organisation, dans l'impossibilité de s'en désolidariser plus tôt sans risque de représailles, ni qu'il aurait rompu tout lien avec eux par la suite.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la Cour ne pouvait, sans entacher sa décision d'inexacte qualification juridique des faits, déduire des constats auxquels elle a procédé et des éléments ressortant de l'instruction qu'elle a conduite qu'il n'existait pas de raisons sérieuses de penser que M. E... aurait pu prendre une part personnelle de responsabilité dans la commission d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'OFPRA est fondé à demander l'annulation de la décision attaquée.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'OFPRA au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la Cour nationale du droit d'asile du 2 février 2021 est annulée
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. F... E....
Délibéré à l'issue de la séance du 31 mars 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. Arno Klarsfeld, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 29 avril 2022.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
Le rapporteur :
Signé : M. Arno Klarsfeld
La secrétaire :
Signé : Mme A... B...