Vu la procédure suivante :
Mme C... E... a porté plainte contre M. D... B... devant la chambre disciplinaire de première instance de Bretagne de l'ordre des médecins. Le conseil départemental des Côtes-d'Armor de l'ordre des médecins a transmis sa plainte sans s'y associer. Par une décision du 30 avril 2019, la chambre disciplinaire de première instance de Bretagne de l'ordre des médecins a rejeté la plainte de Mme E... et l'a condamnée à verser une amende de 1 000 euros pour recours abusif.
Par une décision n° 14416 du 20 octobre 2020, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel de Mme E..., annulé la décision de première instance en tant qu'elle l'avait condamnée à une amende pour recours abusif mais rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 décembre 2020 et 22 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme E... demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler cette décision en tant qu'elle lui fait grief ;
2°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- le code pénal ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Thalia Breton, auditrice,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de Mme E..., à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. B... et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 juin 2022, présentée par Mme E... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 7 novembre 2017, M. B..., médecin spécialiste, qualifié en psychiatrie, exerçant au centre médico-psychologique pour enfants et adolescents (CMPEA) de Lamballe, a adressé un courrier de signalement à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP) des Côtes-d'Armor, afin de l'alerter sur le comportement de Mme E... vis-à-vis de sa fille Julie E... F... alors âgée de neuf ans, prise en charge par le CMPEA à la suite d'une première information préoccupante adressée à la CRIP en juin 2017. Mme E... a porté plainte contre M. B... devant la chambre disciplinaire de première instance de Bretagne de l'ordre des médecins à raison de ce signalement. Le conseil départemental des Côtes-d'Armor de l'ordre des médecins a transmis sa plainte sans s'y associer. Par une décision du 30 avril 2019, la chambre disciplinaire de première instance de Bretagne de l'ordre des médecins, a rejeté la plainte de Mme E... et l'a condamnée à verser une amende de 1 000 euros pour recours abusif. Par une décision du 20 octobre 2020 contre laquelle Mme E... se pourvoit en cassation, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel de Mme E..., annulé la décision de première instance en tant qu'elle l'avait condamnée à une amende pour recours abusif mais rejeté le surplus de ses conclusions.
Sur la régularité de la décision attaquée :
2. En premier lieu, le moyen tiré du défaut de signature de la minute par la présidente de la formation de jugement et le greffier d'audience manque en fait.
3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes du quatrième alinéa de l'article R. 4126-29 du code de la santé publique : " La décision fait apparaître la date de l'audience et la date à laquelle elle a été rendue publique ". D'autre part, en vertu des dispositions du quatrième alinéa de l'article R. 4126-37 du même code, rendues applicables devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins par l'article R. 4126-43 du même code, la décision de la chambre disciplinaire nationale est " rendue publique par affichage ".
4. Il ressort des mentions de la décision attaquée, qui font foi jusqu'à preuve contraire et correspondent à ce que prévoient les dispositions précitées, que l'audience s'est tenue le 20 juillet 2020 et que la décision a été rendue publique par affichage le 20 octobre 2020. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision attaquée serait irrégulière au motif qu'elle ne mentionne pas la date à laquelle elle a été prononcée et qu'elle ne permet pas de s'assurer qu'elle n'a pas été lue sur le siège ne peuvent qu'être écartés.
5. En troisième lieu, dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.
6. Il ressort des pièces de la procédure suivie devant les juges du fond que la clôture de l'instruction a été fixée au 23 juin 2020 et que Mme E... a produit trois mémoires après cette date. Les deux premiers mémoires, enregistrés les 25 juin et 6 juillet 2020, ne comportaient l'exposé d'aucune circonstance nouvelle imposant la réouverture de l'instruction. Si le dernier mémoire, enregistré également le 6 juillet 2020, était accompagné de la production de pièces, et notamment d'un arrêt du 26 juin 2020 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes dont la requérante ne pouvait faire état avant la clôture de l'instruction, cette pièce, dont la juridiction a en tout état de cause pris connaissance avant de rendre sa décision, se rapportait à des circonstances débattues dans le cours de l'instruction et sa production n'imposait pas la réouverture de l'instruction à peine d'irrégularité de la décision rendue. Il s'ensuit que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision qu'elle attaque est entachée d'irrégularité, faute de réouverture de l'instruction du fait de la production de ces mémoires.
Sur le bien-fondé de la décision attaquée :
7. Aux termes de l'article 226-13 du code pénal : " La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. " Aux termes de l'article 226-14 du même code : " L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable : / (...) 2° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles, les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire ; (...). / Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi. "
8. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un médecin signale au procureur de la République ou à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes des faits laissant présumer qu'un mineur a subi des violences physiques, sexuelles ou psychiques et porte à cet effet à sa connaissance tous les éléments utiles qu'il a pu relever ou déceler dans la prise en charge de ce jeune patient, notamment des constatations médicales, des propos ou le comportement de l'enfant et, le cas échéant, le discours de ses représentants légaux ou de la personne accompagnant l'enfant soumis à son examen médical, sa responsabilité disciplinaire ne peut être engagée à raison d'un tel signalement, s'il a été effectué dans ces conditions, sauf à ce qu'il soit établi que le médecin a agi de mauvaise foi.
9. Il résulte des énonciations de la décision attaquée que la chambre disciplinaire nationale a relevé, en se livrant à une appréciation souveraine des pièces du dossier exempte de dénaturation, que le signalement adressé par M. B... à la CRIP sur le fondement de l'article 226-14 du code pénal procédait des constatations qu'il avait effectuées en recevant en consultation H... E... G... et sa mère et que le praticien avait agi de bonne foi afin de protéger l'enfant. En en déduisant que la responsabilité disciplinaire de M. B... n'était pas susceptible d'être engagée à raison de ce signalement, la chambre disciplinaire nationale n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit. En outre, dès lors que le signalement litigieux a été effectué, comme l'a retenu la chambre disciplinaire nationale, sur le fondement de l'article 226-14 du code pénal, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'erreur de droit au motif qu'il aurait été effectué en méconnaissance des dispositions de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles, qui ne sont pas applicables au litige, ne peut qu'être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 20 octobre 2020 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qu'elle attaque.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font alors obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme E... une somme de 1 000 euros à verser à M. B... au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme E... est rejeté.
Article 2 : Mme E... versera à M. B... la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme C... E... et à M. D... B....
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 juin 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; Mme Carine Soulay, Mme Françoise Tomé, Mme Sophie-Justine Lieber, M. Damien Botteghi, Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat et Mme Thalia Breton, auditrice-rapporteure.
Rendu le 5 juillet 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Thalia Breton
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Alleil