Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 et 29 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 4 mai 2022 de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) lui infligeant la sanction de l'interdiction, pendant une durée d'un an, de participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement de toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, et des manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ou par une ligue sportive professionnelle ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou une ligue professionnelle ou l'un des membres de celles-ci, de prendre part à toute autre activité organisée par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, ou le comité national olympique et sportif français, ainsi qu'aux activités sportives impliquant des sportifs de niveau national ou international et financées par une personne publique, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes ayant pour objet la prévention du dopage, et d'exercer les fonctions de personnel d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou de l'un de leurs membres ;
2°) de mettre à la charge de l'AFLD la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, il est exposé à l'impossibilité d'exercer son activité sportive, qui est sa profession et son unique source de revenus et, d'autre part, il est porté une atteinte à son image et à sa réputation et, par suite à ses perspectives de carrière sportive ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse ;
- cette décision est entachée d'un vice de procédure dès lors que, en premier lieu, tous les membres de la commission des sanctions n'ont pas été régulièrement convoqués dans les délais requis et n'ont pas été informés de l'ordre du jour, en deuxième lieu, l'audience a été organisée dans des conditions irrégulières en visioconférence en recourant à un logiciel ne permettant pas d'assurer la confidentialité des débats et, en dernier lieu, l'ensemble des éléments recueillis par le rapporteur lors de l'instruction du dossier ne lui ont pas été communiqués, en méconnaissance de l'article R. 232-94 du code du sport et du principe du caractère contradictoire de la procédure ;
- les opérations de contrôle sont entachées d'irrégularité dès lors que, en premier lieu, elles ont eu lieu en dehors de la période de temps figurant dans l'ordre de mission délivré par l'AFLD et, en second lieu, les dispositions relatives au stockage et au transport des échantillons ont été méconnues ;
- elle est entachée d'une erreur de droit et méconnaît l'article R. 232-46-3 du code du sport en ce que la commission des sanctions s'est fondée sur la concentration de carboxy-THC mesurée dans l'échantillon à 287 nano grammes par millilitre pour conclure que la présence de cette substance devait être considérée comme la plus susceptible de correspondre à une consommation de cannabis en compétition, alors que la seule présence de carboxy-THC est insuffisante pour établir une consommation récente de cannabis ;
- elle est entachée d'inexactitude matérielle des faits en ce que la consommation de cannabis devait être regardée comme ayant eu lieu hors compétition, au regard des éléments du dossier ;
- la sanction prononcée est disproportionnée eu égard, d'une part, à la faible gravité des faits reprochés et à la personnalité de l'intéressé et, d'autre part, aux conséquences qu'elle emporte dès lors qu'elle compromet ses chances de s'engager avec un nouveau club et fait obstacle à l'exercice de sa profession pendant un an, le privant de tout revenu.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 juin et 1er juillet 2022, l'AFLD conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et, d'autre part, l'AFLD ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 30 juin 2022, à 10 heures 30 :
- Me Tapie, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;
- M. A... ;
- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'AFLD ;
- le représentant de l'AFLD ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au lundi 4 juillet 2022 à 15 heures, puis au mardi 5 juillet 2022 à 10 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du sport ;
- le décret n° 2020-1722 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "
2. Il résulte de l'instruction que M. A..., né le 15 février 1996, pratique le football à un niveau professionnel. Au cours de la saison 2020-2021, alors qu'il évoluait au sein du club AS Beauvais, il a fait l'objet d'un contrôle antidopage à l'occasion de la rencontre des seizièmes de finale de la coupe de France de football opposant Beauvais et Boulogne-sur-Mer. A la suite de ce contrôle, une procédure a été engagée devant la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) qui, par une décision du 4 mai 2022, a condamné l'intéressé à la sanction de l'interdiction, pendant une durée d'un an, de participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement de toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, et des manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ou par une ligue sportive professionnelle ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou une ligue professionnelle ou l'un des membres de celles-ci, de prendre part à toute autre activité organisée par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, ou le comité national olympique et sportif français, ainsi qu'aux activités sportives impliquant des sportifs de niveau national ou international et financées par une personne publique, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes ayant pour objet la prévention du dopage, et d'exercer les fonctions de personnel d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou de l'un de leurs membres. M. A..., qui a demandé au Conseil d'Etat statuant au contentieux l'annulation de cette décision, par une requête enregistrée au secrétariat du contentieux sous le n° 465059, demande au juge des référés du Conseil d'Etat de prononcer sa suspension, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa requête au fond.
Sur l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :
3. Aux termes du I de l'article L. 232-9 du code du sport : " Est interdite la présence, dans l'échantillon d'un sportif, des substances figurant sur la liste mentionnée au dernier alinéa du présent article, de leurs métabolites ou de leurs marqueurs. Il incombe à chaque sportif de s'assurer qu'aucune substance interdite ne pénètre dans son organisme. / L'infraction au présent I est établie par la présence, dans un échantillon fourni par le sportif, d'une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs, sans qu'il y ait lieu de rechercher si l'usage de cette substance a revêtu un caractère intentionnel. " Le dernier alinéa du même article dispose : " La liste des substances et méthodes mentionnées au présent article est celle qui est élaborée en application de la convention internationale mentionnée à l'article L. 230-2 ou de tout autre accord ultérieur qui aurait le même objet et qui s'y substituerait. Elle est publiée au Journal officiel de la République française. " Le décret n° 2020-1722 du 28 décembre 2020 portant publication de l'amendement à l'annexe I de la convention internationale contre le dopage dans le sport, adopté à Paris, le 15 novembre 2020 classe parmi les " substances et méthodes interdites en compétition " et parmi les substances d'abus le " tétrahydrocannabinol " (THC), principale substance psychoactive contenue dans le cannabis. Le même décret précise que : " toutes les substances interdites sont des substances spécifiées sauf mention contraire dans la Liste des interdictions. " Il résulte de l'instruction que l'échantillon d'urine recueilli auprès de M. A... a révélé à l'analyse une concentration de carboxy-THC, qui est un métabolite du THC, de 287 nanogrammes par millilitre, supérieure à la limite de décision fixée en règle générale à 180 nanogrammes par millilitre et ajustée à 252 nanogrammes par millilitre compte tenu de la densité urinaire. Par suite, M. A... doit être regardé comme ayant commis l'infraction prévue à l'article L. 232-9 I du code du sport, ce qu'il ne conteste au demeurant pas.
4. Aux termes de l'article L. 232-21 du code du sport : " L'infraction aux dispositions du présent titre peut emporter pour son auteur une ou plusieurs des conséquences suivantes : / 1° L'interdiction définie au 2° du I de l'article L. 232-23 ; (...) ". Aux termes de l'article L. 232-23 du même code : " I. - La commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage peut prononcer à l'encontre des personnes ayant enfreint les dispositions des articles L. 232-9, L. 232-9-1, L. 232-9-2, L. 232-9-3, L. 232-10, L. 232-14-5 ou L. 232-17 : (...) / 2° Une interdiction temporaire ou définitive : / a) De participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement de toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, et des manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ou par une ligue sportive professionnelle ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou une ligue professionnelle ou l'un des membres de celles-ci ; / b) D'exercer les fonctions définies à l'article L. 212-1 ; / c) D'exercer les fonctions de personnel d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou de l'un de leurs membres ; / d) Et de prendre part à toute autre activité organisée par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, ou le comité national olympique et sportif français, ainsi qu'aux activités sportives impliquant des sportifs de niveau national ou international et financées par une personne publique, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes ayant pour objet la prévention du dopage. / La sanction prononcée à l'encontre d'un sportif peut être complétée par une sanction pécuniaire dont le montant ne peut excéder 45 000 €. Celle prononcée à l'encontre de toute autre personne qui a enfreint les dispositions de l'article L. 232-10 peut être complétée par une sanction pécuniaire dont le montant ne peut excéder 150 000 €. (...) " Aux termes de l'article L. 232-23-3-3 dans sa rédaction applicable à la date des faits incriminés : " I. - La durée des mesures d'interdiction mentionnées au 2° du I de l'article L. 232-23 à raison d'un manquement à l'article L. 232-9 ou au 2° de l'article L. 232-10 : / 1° Est de quatre ans lorsque ce manquement implique une substance non spécifiée. Cette durée est ramenée à deux ans lorsque le sportif démontre qu'il n'a pas eu l'intention de commettre ce manquement ; / 2° Est de deux ans lorsque ce manquement implique une substance spécifiée. Cette durée est portée à quatre ans lorsqu'il est démontré par l'Agence française de lutte contre le dopage que le sportif a eu l'intention de commettre ce manquement. / II. - Les substances spécifiées et les substances non spécifiées mentionnées au I, dont la présence dans l'échantillon d'un sportif, l'usage ou la possession sont prohibés par l'article L. 232-9, sont celles qui figurent à l'annexe I à la convention internationale mentionnée à l'article L. 230-2. " Toutefois, conformément au principe général d'application immédiate de la loi pénale plus douce, dit également principe de la rétroactivité in mitius, il convient de faire application, dès lors que la situation de l'espèce le justifie, du II de ce dernier article dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2021-488 du 21 avril 2021, applicable à compter du 31 mai 2021 : " II.- Lorsque le manquement à l'article L. 232-9 ou au 2° de l'article L. 232-10 implique une substance d'abus : / 1° Si le sportif peut établir que l'ingestion ou l'usage de la substance s'est produit hors compétition et dans un contexte sans rapport avec la performance sportive, la durée des mesures de suspension mentionnées au 2° du I de l'article L. 232-23 est de trois mois. Cette durée peut être ramenée à un mois si le sportif suit un traitement contre l'usage de substances d'abus approuvé par l'Agence française de lutte contre le dopage ; / 2° Si l'ingestion, l'usage ou la possession de la substance s'est produit en compétition, dans un contexte dont il est possible au sportif d'établir qu'il est sans rapport avec la performance sportive, le manquement n'est pas considéré comme intentionnel et les circonstances aggravantes mentionnées au V de l'article L. 232-23-3-10 ne peuvent être retenues. / Lorsqu'il est fait application du 1° du II du présent article, la période de suspension n'est soumise à aucune des réductions prévues à l'article L. 232-23-3-10. "
5. Aux termes de l'article R. 232-46-3 du code du sport : " Sous réserve de la définition qu'en donne chaque fédération mentionnée au 3° de l'article L. 230-2, la période de compétition commence à 23h59 la veille d'une compétition à laquelle le sportif doit participer et se termine à la fin de cette compétition ou, s'il y a lieu, à l'issue du processus de prélèvement le cas échéant lié à cette compétition. " M. A..., qui a admis une consommation régulière de cannabis, dans un but récréatif dont il est constant qu'il est étranger à toute volonté d'améliorer ses performances sportives, a reconnu avoir fumé deux cigarettes de résine de cannabis mélangée à du tabac vers 21h00 la veille de la compétition, juste avant de se coucher, et établit suffisamment, par son récit et par les attestations délivrées par trois de ses co-équipiers et versées au dossier postérieurement à l'audience, n'en avoir pas consommé ensuite jusqu'au match. La concentration de carboxy-THC relevée dans l'échantillon n'apparaît pas incompatible avec une dernière consommation intervenue hors période de compétition. Dans ces conditions, et dans les circonstances de l'espèce, le requérant apparaît pouvoir bénéficier de l'application des dispositions citées ci-dessus du II. de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2021-488 du 21 avril 2021. Par suite, la durée maximale de l'interdiction susceptible d'être infligée était, en application du I. du même article, de trois mois. Dès lors, le moyen pris de ce que la durée de l'interdiction infligée par la décision attaquée est supérieure au plafond fixé par les dispositions du code du sport peut être regardé comme de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision dont la suspension est demandée.
Sur l'urgence :
6. Il résulte de l'instruction que M. A... a pour seule activité professionnelle la pratique du football sous couvert d'un contrat à durée déterminée de joueur fédéral. La mesure d'interdiction qu'il conteste devrait, si elle était mise à exécution, le priver de sa seule source de revenus et l'empêcher de participer au championnat de National 3 dont la première journée aura lieu, selon la requête, le 12 août 2022. Elle porterait un préjudice évident à la carrière de ce jeune sportif. Dès lors, la condition d'urgence prévue par les dispositions visées ci-dessus de l'article L. 521-1 du code de justice administrative peut être regardée comme remplie.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à demander la suspension de la décision qu'il conteste.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'AFLD une somme de 3 000 euros à verser, à ce titre, à M. A.... Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution de la décision du 4 mai 2022 de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage est suspendue.
Article 2 : L'Agence française de lutte contre le dopage versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
Article 3 : Les conclusions de l'Agence française de lutte contre le dopage tendant au remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... ainsi qu'à l'Agence française de lutte contre le dopage.
Fait à Paris, le 6 juillet 2022
Signé : Alain Seban