Vu la procédure suivante :
Le conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes a porté plainte contre M. A... B... devant la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Par une décision du 25 février 2019, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. B... la sanction du blâme.
Par une décision du 24 février 2020, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a, sur les appels du conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes et de M. B..., réformé cette décision et infligé à M. B... la sanction de l'interdiction d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant une durée de deux mois, assortie du sursis.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 mai et 9 juillet 2020 et le 13 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge du conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Françoise Tomé, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de M. B... et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes du Rhône ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes a porté plainte contre M. B..., qui est inscrit au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes en France ainsi qu'en Roumanie. M. B... exerce son activité professionnelle en France dans un cabinet situé à Lyon, et en Roumanie dans un établissement de soins dentaires, exploité par la société " Medical Tours Company ". Par une décision du 25 février 2019, la chambre disciplinaire de première instance de la région Rhône-Alpes de l'ordre des chirurgiens-dentistes a infligé à M. B... la sanction du blâme. Par une décision du 24 février 2019, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a, sur les appels du conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes et de M. B..., réformé la décision de la chambre disciplinaire de première instance et prononcé la sanction de l'interdiction d'exercice de la profession de chirurgien-dentiste pour une durée de deux mois, assortie du sursis. M. B... se pourvoit en cassation contre cette décision.
Sur la décision attaquée, en tant qu'elle retient un manquement à l'interdiction d'exercer la profession dentaire comme un commerce :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 4127-215 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " La profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce ".
3. Il résulte des énonciations de la décision attaquée que la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a relevé que M. B... participait à l'activité de la société " Medical Tours Company ", consistant à assurer la prise en charge de patients, résidant en France, souhaitant se rendre en Roumanie pour se faire poser des implants dentaires à moindre coût, d'une part, dans son cabinet à Lyon, en élaborant des plans de traitement pour ces patients et en assurant leurs visites préopératoires et postopératoires, d'autre part, en assurant chaque mois la pose d'une quarantaine d'implants en Roumanie dans l'établissement géré par cette société et en étant rémunéré par cette dernière sous la forme de la rétrocession d'une part de ses bénéfices.
4. En retenant ceux des éléments mentionnés au point précédent qui, s'ils avaient été obtenus à l'insu de M. B... par un délégué du conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes ayant contacté par courriel la société sous un nom d'emprunt, avaient seulement permis de constater la nature et la fréquence des liens existants entre M. B... et cette société, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes n'a pas commis d'erreur de droit et a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation.
5. En déduisant de l'ensemble de ces éléments, qui traduisent l'existence de liens d'intérêts entre M. B... et cette société, que M. B... manquait à son obligation professionnelle de ne pas exercer sa profession en France comme un commerce, la chambre disciplinaire nationale n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce. M. B... n'est, en outre, pas fondé à soutenir que le droit de l'Union européenne ferait obstacle, au motif qu'il est inscrit à l'ordre des chirurgiens-dentistes de Roumanie et qu'il est habilité à y exercer une partie de son activité en vertu de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, à ce qu'il soit tenu compte de son activité d'implantologie en Roumanie pour appréhender le respect des dispositions de droit interne applicables en matière de déontologie professionnelle des chirurgiens-dentistes.
Sur la décision attaquée, en tant qu'elle retient un manquement à l'obligation de transmission du contrat conclu entre M. B... et la société Medical Tours Company :
6. Aux termes de l'article L. 4113-9 du code de la santé publique : " Les (...) chirurgiens-dentistes (...) en exercice (...) doivent communiquer au conseil départemental de l'ordre dont ils relèvent les contrats et avenants ayant pour objet l'exercice de leur profession (...). / La communication prévue ci-dessus doit être faite dans le mois suivant la conclusion du contrat ou de l'avenant, afin de permettre l'application des articles L. 4121-2 et L. 4127-1. / (...) les chirurgiens-dentistes (..) exerçant en société doivent communiquer au conseil de l'ordre dont ils relèvent, outre les statuts de cette société et leurs avenants, les conventions et avenants relatifs à son fonctionnement ou aux rapports entre associés. Ces communications doivent être faites dans le mois suivant la conclusion de la convention ou de l'avenant (...) ". Aux termes de L. 4113- 10 du même code : " Le défaut de communication des contrats ou avenants ou, lorsqu'il est imputable au praticien, le défaut de rédaction d'un écrit constitue une faute disciplinaire susceptible d'entraîner une des sanctions prévues à l'article L. 4124-6 (...) ". En application de ces dispositions, ainsi que, le cas échéant, de celles qui figurent aux articles L. 4113- 0 et L. 4113-11 du code de la santé publique, les chirurgiens-dentistes inscrits au tableau de l'ordre qui s'abstiennent de communiquer à l'instance ordinale compétente les contrats, avenants et conventions qu'elles mentionnent ou qui les lui communiquent au-delà du délai d'un mois qu'elles prévoient commettent une faute disciplinaire, peu importe à cet égard que l'activité qui est l'objet du contrat soit exercée en tout ou partie à l'étranger.
7. En jugeant que la collaboration entre M. B... et la société " Medical Tours Company ", telle que décrite aux points précédents, présentait un caractère contractuel sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que l'activité de M. B... était exercée en France ou en Roumanie, et en en déduisant que cette collaboration aurait dû donner lieu à l'établissement d'un contrat écrit devant être communiqué aux instances ordinales, la chambre disciplinaire nationale n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
Sur la décision attaquée en en tant qu'elle inflige une sanction :
8. Eu égard aux manquements reprochés, en infligeant à M. B... l'interdiction d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant une durée de deux mois, assortie du sursis, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes n'a pas prononcé une sanction hors de proportion avec les fautes commises.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque, qui est suffisamment motivée. Par suite, son pourvoi ne peut qu'être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme que demande le conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes au même titre.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par le conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes.
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 juin 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; Mme Carine Soulay, Mme Sophie-Justine Lieber, M. Laurent Cabrera, M. Damien Botteghi et Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat. Mme Françoise Tomé, conseillère d'Etat-rapporteure
Rendu le 27 juillet 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Françoise Tomé
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Alleil