Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 décembre 2021, 7 mars et 12 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté interministériel du 12 octobre 2021 homologuant le cahier des charges de l'indication géographique protégée " Lorraine " ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant et à la SARL Didier-Pinet, avocat de l'institut national de l'origine et de la qualité ;
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 12 octobre 2021, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le ministre délégué chargé des comptes publics ont homologué le cahier des charges de l'indication géographique protégée " Lorraine ", proposé par l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO). La Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.
Sur les interventions de la Confédération des vins IGP de France et de l'association des vignerons de Lorraine :
2. La Confédération des vins IGP de France et l'association des vignerons de Lorraine ont intérêt au maintien de l'arrêté attaqué. Leurs interventions sont donc recevables.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
3. Pour le secteur vitivinicole, le b) du paragraphe 1 de l'article 93 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, définit l'indication géographique protégée comme : " une indication renvoyant à une région, à un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, à un pays, qui sert à désigner un produit (...) : / i) possédant une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques particulières attribuables à cette origine géographique (...) ". Selon le 2 de l'article 94 du même règlement : " Le cahier des charges permet aux parties intéressées de vérifier le respect des conditions de production associées à l'appellation d'origine ou à l'indication géographique. / Il comporte au minimum les éléments suivants : / b) (...) ii) pour un vin bénéficiant d'une indication géographique, ses principales caractéristiques analytiques ainsi qu'une évaluation ou une indication de ses caractéristiques organoleptiques ; (...) g) les éléments qui corroborent le lien visé (...) à l'article 93, paragraphe 1, point b) i) ".
4. Il résulte clairement de ces dispositions que l'homologation d'un cahier des charges d'une indication géographique protégée, qui n'est pas une simple indication de provenance géographique, ne peut légalement intervenir que si ce cahier précise les éléments qui permettent d'attribuer à une origine géographique déterminée une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques particulières du produit qui fait l'objet de l'indication et met en lumière de manière circonstanciée le lien géographique et l'interaction causale entre la zone géographique et la qualité, la réputation ou d'autres caractéristiques du produit. Il découle en outre nécessairement de ces mêmes dispositions qu'elles ne permettent de reconnaître un lien avec une origine géographique que pour une production existante, attestée dans la zone géographique à la date de l'homologation et depuis un temps suffisant pour établir ce lien. Enfin, celui-ci doit être établi pour un produit déterminé et ne peut donc procéder d'une analogie avec un autre produit, même voisin.
5. En premier lieu, il ressort des éléments figurant au cahier des charges, tels qu'étayés par les pièces du dossier, que la production de vins mousseux de qualité dans la zone de l'indication géographique protégée " Lorraine ", qui avait quasiment disparu après la Première guerre mondiale, s'est développée notamment à partir des années 1980-1990 et consolidée depuis le début du XXIème siècle. Par suite, le moyen de la fédération requérante tiré de ce que l'antériorité de la production de vins mousseux de qualité dans la zone géographique considérée ne serait pas établie doit être écarté.
6. En second lieu, il ressort du cahier des charges de l'indication géographique protégée " Lorraine " qu'il comporte, dans ses points 8.1, 8.2 et 8.3, des développements sur les caractéristiques organoleptiques spécifiques aux vins mousseux concernés qui résultent des spécificités de la zone géographique et de ses conditions climatiques, de l'usage de cépages majoritairement issus de la région et adaptés à ce terroir, et des techniques employés par les producteurs de la région, notamment leur savoir-faire en matière de seconde fermentation alcoolique en bouteille. Ainsi, l'existence d'un lien avec l'origine géographique doit être regardée comme établie pour les " vins mousseux de qualité blancs, rosés et rouges " par ce cahier des charges. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'homologation du cahier des charges par l'arrêté attaqué procèderait d'une erreur d'appréciation en l'absence d'un tel lien doit être écarté.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et la Confédération des vins IGP de France, que la fédération requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de la Confédération des vins IGP de France et de l'association des vignerons de Lorraine sont admises.
Article 2 : La requête de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la Confédération des vins IGP de France et à l'association des vignerons de Lorraine.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2022 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Stéphane Verclytte, conseiller d'Etat et Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 23 décembre 2022.
Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
La rapporteure :
Signé : Mme Rose-Marie Abel
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova