Vu la procédure suivante :
M. B... C... A... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile, à titre principal, d'annuler la décision du 4 novembre 2020 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à son statut de réfugié, de déclarer qu'il n'y avait pas lieu de mettre fin à son statut et, à titre subsidiaire, d'annuler cette décision et de renvoyer l'examen de sa demande devant l'OFPRA.
Par une décision n° 20046331 du 21 juillet 2021, la Cour nationale du droit d'asile a annulé la décision attaquée et maintenu M. A... dans son statut de réfugié.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 septembre et 22 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OFPRA demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de renvoyer l'affaire à la Cour nationale du droit d'asile.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Sébastien Gauthier, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard-Froger, avocat de l'Office de protection des réfugiés et apatrides et à la SCP Zribi, Texier, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour nationale du droit d'asile que M. B... C... A..., de nationalité russe et d'origine tchétchène, s'est vu reconnaître le statut de réfugié par une décision de la Commission de recours des réfugiés du 24 novembre 2003. M. A... a été condamné par la cour d'assises de la Drôme, par un jugement devenu définitif en date du 26 septembre 2014, à une peine de quinze ans de réclusion criminelle pour un meurtre commis le 4 juin 2012. Par une décision du 4 novembre 2020, prise sur le fondement du 2° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu le 2° de l'article L. 511-7 du même code, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin au statut de réfugié dont il bénéficiait. Par une décision n° 20046331 du 21 juillet 2021 contre laquelle l'OFPRA se pourvoit en cassation, la Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision, maintenu M. A... dans son statut de réfugié.
2. Aux termes de l'article L. 511-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " Le statut de réfugié est refusé ou il y est mis fin dans les situations suivantes : (...) / 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France, dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un Etat tiers figurant sur la liste, fixée par décret en Conseil d'Etat, des Etats dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou une apologie publique d'un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société française. "
3. Il résulte de ces dispositions que la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d'y mettre fin, qui est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié dès lors qu'il en remplit les conditions, est subordonnée à deux conditions cumulatives. Il appartient à l'OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile, d'une part, de vérifier si l'intéressé a fait l'objet de l'une des condamnations que visent les dispositions précitées et, d'autre part, d'apprécier si sa présence sur le territoire français est de nature à constituer, à la date de leur décision, une menace grave pour la société au sens des dispositions précitées, c'est-à-dire si elle est de nature à affecter un intérêt fondamental de la société, compte tenu des infractions pénales commises - lesquelles ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision refusant le statut de réfugié ou y mettant fin - et des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, mais aussi du temps qui s'est écoulé et de l'ensemble du comportement de l'intéressé depuis la commission des infractions ainsi que de toutes les circonstances pertinentes à la date à laquelle ils statuent.
4. Pour annuler la décision de l'OFPRA, la Cour nationale du droit d'asile, après avoir relevé que la première des deux conditions fixées par le 2° de l'article L. 511-7, tenant à l'existence d'une condamnation en dernier ressort pour un crime, était en l'espèce remplie, a estimé que la présence en France de M. A... ne constituait pas une menace grave pour la société, dès lors que les condamnations pénales prononcées à son encontre l'avaient été pour des faits anciens, survenus entre son arrivée sur le territoire français en 2001 et le 4 juin 2012, qu'il avait exprimé des remords sincères concernant les faits ayant justifié sa condamnation pour meurtre, que le rapport rédigé par sa conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation concluait à un risque de récidive réduit, que l'avis de la commission départementale d'expulsion de la Charente-Maritime le concernant relevait que son comportement et son projet de réinsertion ne permettaient pas de présumer d'une dangerosité criminelle, que ses efforts en vue de lutter contre son addiction à l'alcool étaient réels et sérieux depuis plusieurs années, de même que son projet de réinsertion, comme l'attestaient les diplômes et titres obtenus en détention.
5. Si, ainsi qu'il a été dit au point 3, les infractions pénales commises par un réfugié ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision mettant fin au statut de réfugié, il appartient à l'OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile, d'examiner la gravité de la menace que constitue la présence de l'intéressé en France en tenant compte, parmi d'autres éléments, de la nature des infractions commises, des atteintes aux intérêts fondamentaux de la société auxquels la réitération de ces infractions exposerait celle-ci et du risque d'une telle réitération. La seule circonstance qu'un réfugié, condamné pour des faits qui, lorsqu'ils ont été commis, établissaient que sa présence constituait une menace grave pour la société, se soit abstenu, postérieurement à sa libération, de tout comportement répréhensible, n'implique pas, par elle-même, du moins avant l'expiration d'un certain délai, et en l'absence de tout autre élément positif significatif en ce sens, que cette menace ait disparu. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour, que M. A... a été condamné le 6 octobre 2006 à trois mois d'emprisonnement pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique, sans assurance et refus de se soumettre aux contrôles de la force publique, le 3 mai 2007 à quatre mois de prison pour faits de violence aggravée, commis sous l'empire d'un état alcoolique, ayant entraîné pour la victime une interruption temporaire de travail supérieure à huit jours et, le
26 septembre 2014, à quinze ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son voisin, commis sous l'empire d'un état alcoolique, dans des circonstances dont la Cour relève le caractère particulièrement violent. Dans ces conditions, les formations suivies et les qualifications obtenues par l'intéressé en vue de sa réinsertion, et le suivi médical dont il fait l'objet concernant son addiction à l'alcool, ne permettent pas de tenir pour acquis que sa présence en France ne constituait plus, à la date de la décision attaquée, une menace grave pour la société française. L'OFPRA est, par suite, fondé à soutenir que la Cour nationale du droit d'asile a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, que l'OFPRA est fondé à demander l'annulation de la décision de la Cour nationale du droit d'asile qu'il attaque.
7. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'OFPRA, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 21 juillet 2021 de la Cour nationale du droit d'asile est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. B... C... A....