Vu la procédure suivante :
La société GEMCO a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, d'une part, de prononcer la réception sans réserve des travaux résultant du marché de dragage de la rivière Kouaoua conclu avec la province Nord le 6 novembre 2013, d'autre part, de fixer le décompte général et définitif de ce marché à la somme de 163 101 400 francs CFP HT, majorée des intérêts moratoires à compter du 6 juillet 2014, date de l'achèvement du chantier, enfin, de condamner la province Nord à lui verser une somme de 50 000 000 francs CFP en réparation de l'atteinte qui a été portée à sa réputation et du ralentissement de ses autres activités, avec capitalisation des intérêts et sous astreinte. Par un jugement n° 1800217 du 16 mai 2019, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a prononcé la réception définitive des travaux de dragage de la rivière Kouaoua fixée à la date du 5 juin 2015 et a condamné la province Nord à verser une somme de 63 780 000 francs CFP HT à la société GEMCO en règlement du solde du marché, assortie des intérêts moratoires à compter du 30 octobre 2015.
Par un arrêt n°s 19PA02362, 19PA02373, 19PA02866 du 19 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la société GEMCO et de la province Nord, annulé ce jugement, condamné cette province à verser à la société GEMCO la somme de 26 695 000 francs CFP TTC, assortie des intérêts moratoires à compter du 30 octobre 2015 capitalisés à compter du 19 juillet 2019, en règlement du marché en litige et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 20 décembre 2021 et les 21 mars et 28 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société GEMCO demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de la province Nord la somme de 2 000 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,
- les conclusions de Mme Cécile Raquin, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de la société GEMCO et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la province Nord de Nouvelle-Cadélonie ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la province Nord de Nouvelle-Calédonie a conclu le 6 novembre 2013 avec la société GEMCO un marché de gré à gré consistant en des travaux de dragage et d'évacuation de la rivière Kouaoua et de création d'un chenal pour un prix forfaitaire de 38 850 000 F CFP TTC, que la province Nord a refusé de réceptionner. Après qu'une médiation a été ordonnée le 22 novembre 2018, laquelle n'a pas abouti à un accord entre les parties, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, par un jugement du 16 mai 2019, a prononcé la réception définitive des travaux à la date du 5 juin 2015, a condamné la province Nord à verser à la société GEMCO une somme de 63 780 000 F CFP HT en règlement du solde du marché, assortie des intérêts moratoires à compter du 30 octobre 2015, et a rejeté le surplus des conclusions de cette dernière, ainsi que les conclusions reconventionnelles de la province Nord. Sur appel de la société GEMCO et de la province Nord, la cour administrative d'appel de Paris, par l'arrêt attaqué du 19 octobre 2021, a annulé le jugement, condamné cette province à verser à la société GEMCO la somme de 26 695 000 francs CFP TTC, assortie des intérêts moratoires à compter du 30 octobre 2015 capitalisés à compter du 19 juillet 2019, en règlement du marché de dragage et d'évacuation de la rivière Kouaoua et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. C'est par une motivation suffisante que la cour administrative d'appel de Paris a écarté le moyen de la société GEMCO tiré de ce que l'imprécision dans la caractérisation par la province Nord de la nature des sédiments à extraire aurait entraîné des retards, imprécision dont elle a considéré qu'il n'était pas établi qu'elle aurait eu des répercussions sur le délai ou les modalités d'exécution de ces travaux, pour ne faire droit à ses conclusions sur ce point qu'en ce qui concerne les surcoûts d'adaptation des équipements de dragage aux particularités des sédiments à extraire.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
En ce qui concerne l'annulation du jugement de première instance :
3. Aux termes de l'article L. 213-1 du code de justice administrative : " La médiation régie par le présent chapitre s'entend de tout processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction ". Selon son article L. 213-2 : " Le médiateur accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence. / Sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité. Les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d'une instance juridictionnelle ou arbitrale sans l'accord des parties (...) ".
4. Eu égard aux conditions d'intervention du médiateur prévues par les dispositions citées au point précédent, le principe d'impartialité s'oppose à ce qu'un magistrat administratif choisi ou désigné comme médiateur, en application de l'article L. 213-1 du code de justice administrative, participe à la formation de jugement chargée de trancher le différend soumis à la médiation ou conclue comme rapporteur public sur celui-ci. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit que la cour administrative d'appel de Paris a annulé pour irrégularité le jugement du 16 mai 2019 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie au motif qu'un magistrat de ce tribunal avait exercé successivement les fonctions de médiateur et de rapporteur public dans l'affaire en cause.
En ce qui concerne les motifs par lesquels la cour, statuant par la voie de l'évocation, s'est prononcée sur la demande présentée par la société GEMCO devant le tribunal administratif :
5. En premier lieu, en estimant que la société GEMCO n'établissait pas l'existence d'un lien de causalité entre la faute résultant, selon cette société, du choix par le pouvoir adjudicateur du lieu d'implantation de la base technique et le préjudice qu'elle estimait avoir subi de ce fait, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas dénaturé les faits.
6. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 2 et contrairement à ce que soutient la société GEMCO, la cour a recherché si l'erreur commise par la collectivité territoriale contractante dans la définition de ses besoins et dans la conception des pièces du marché avait eu des répercussions sur la durée d'exécution du marché et donc sur les dépenses qu'elle avait engagées, s'agissant de la nature des sédiments à extraire. Le moyen tiré de ce qu'elle aurait commis une erreur de droit faute de l'avoir fait ne peut, par suite, qu'être écarté.
7. En troisième lieu, la cour administrative d'appel de Paris, d'une part, a estimé par une appréciation souveraine des faits et des pièces du dossier dépourvue d'erreur de droit que les défauts de conception des pièces contractuelles n'avaient pas eu de répercussion sur les délais ou les modalités d'exécution des travaux. D'autre part, elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en se fondant, pour établir la non-conformité de l'ouvrage aux prescriptions du marché, sur des relevés qui n'ont pas été réalisés de manière contradictoire et selon une norme différente de celle prévue au contrat, aucune de ces caractéristiques n'étant, en l'espèce, de nature à empêcher la cour d'en tenir compte dans le cadre de son appréciation souveraine des faits, qui est exempte de dénaturation. Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu, la cour n'a fait aucun lien entre l'imprudence dont elle a estimé que la société GEMCO avait fait preuve en immobilisant son matériel sur le chantier pendant 7 mois après l'arrêt des travaux, circonstance relevée au demeurant par la cour à titre surabondant, et la conformité des travaux. La cour n'a, enfin, pas dénaturé les faits en estimant, au regard notamment de ses constatations sur les deux premiers points, et à supposer même que les travaux en litige répondraient aux attentes de la province Nord, qu'ils n'étaient pas conformes aux prescriptions contractuelles et que, par suite, c'était à bon droit que la Province Nord avait refusé d'en prononcer la réception.
8. Il résulte de ce qui précède que la société GEMCO n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société GEMCO la somme de 3 000 euros à verser à la province Nord au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font obstacle à ce qu'une somme soit mise sur ce fondement à la charge de la province Nord, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société GEMCO est rejeté.
Article 2 : La société GEMCO versera la somme de 3 000 euros à la province Nord de Nouvelle-Calédonie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société GEMCO et à la province Nord de Nouvelle-Calédonie.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 décembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, Mme Anne Courrèges, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Alexis Goin, auditeur-rapporteur.
Rendu le 29 décembre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Alexis Goin
La secrétaire :
Signé : Mme Nadine Pelat