Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 16 juin, 5 août, 24 octobre et 30 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Gaz'up, la société Primagaz, la société Proviridis et la société Endesa Energia demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 11 avril 2022 modifiant l'arrêté du 21 juin 2016 établissant la nomenclature des véhicules classés en fonction de leur niveau d'émission de polluants atmosphériques en application de l'article R. 318-2 du code de la route ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution et son Préambule ;
- le code de la route ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Trémoliere, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions à la SCP Piwnica, Molinie, avocat de la société Gaz'up, la société Primagaz, la société Proviridis et la société Endesa Energia, et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Saipol ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales : " Pour lutter contre la pollution atmosphérique, des zones à faibles émissions mobilité peuvent être créées dans les agglomérations et dans les zones pour lesquelles un plan de protection de l'atmosphère est adopté, en cours d'élaboration ou en cours de révision en application de l'article L. 222-4 du code de l'environnement (...) ". Conformément aux deuxième et troisième alinéas du même I, la mise en place d'une telle zone est obligatoire, d'une part, depuis le 1er janvier 2021, lorsque les normes de qualité de l'air mentionnées à l'article L. 221-1 du code de l'environnement ne sont pas respectées de manière régulière sur le territoire de la commune ou de l'établissement public compétent et d'autre part, avant le 31 décembre 2024, sur le territoire des agglomérations de plus de 150 000 habitants situées sur le territoire métropolitain. Aux termes du II de l'article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales : " Les zones à faibles émissions mobilité sont délimitées par un arrêté qui fixe les mesures de restriction de circulation applicables, détermine les catégories de véhicules concernés et précise les motifs légitimes pour lesquels des dérogations individuelles peuvent être accordées. (...) Les véhicules circulant dans une zone à faibles émissions mobilité font l'objet de l'identification fondée sur leur contribution à la limitation de la pollution atmosphérique prévue à l'article L. 318-1 du code de la route (...) ".
2. Aux termes de l'article L. 318-1 du code de la route : " (...) Les véhicules à moteur font l'objet d'une identification fondée sur leur contribution à la limitation de la pollution atmosphérique et sur leur sobriété énergétique. / (...) / Des décrets en Conseil d'Etat déterminent les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article R. 318-2 du même code : " I. - Les véhicules à moteur (...) sont identifiés, lorsque les conditions de leur utilisation le nécessitent, au moyen d'une vignette sécurisée appelée "certificat qualité de l'air". / Le certificat qualité de l'air atteste de la conformité des véhicules à différentes classes établies en tenant compte du niveau d'émission de polluants atmosphériques et de leur sobriété énergétique. Le classement des véhicules tient compte notamment de leur catégorie au sens de l'article R. 311-1, de leur motorisation, des normes techniques applicables à la date de réception des véhicules ou de leur date de première immatriculation ainsi que des éventuels dispositifs de traitement des émissions polluantes installés postérieurement à la première mise en circulation des véhicules. (...) / II. - Un arrêté des ministres chargés de l'environnement, des transports et de l'intérieur précise les critères de classement des véhicules et fixe les modalités d'application du présent article ".
3. En application de ces dispositions, un arrêté du 21 juin 2016 a établi la nomenclature des véhicules classés en fonction de leur niveau d'émission de polluants atmosphériques, à partir de laquelle sont délivrés les certificats de qualité de l'air. Cet arrêté classe les véhicules en cinq classes en fonction des catégories définies à l'article R. 311-1 du code de la route, telles que " véhicules utilitaires légers " et " poids lourds, autobus et autocars ", de la nomenclature des sources d'énergie figurant à l'annexe VI de l'arrêté du 9 février 2009 relatif aux modalités d'immatriculation des véhicules, de la norme " Euro " figurant sur leur certificat d'immatriculation et de la date de première immatriculation du véhicule, les véhicules les plus anciens n'étant pas classés. En application de cet arrêté, dans sa rédaction antérieure à l'arrêté attaqué, les " véhicules essence " bénéficient d'un classement plus favorable que les " véhicules diesel ". Ainsi, parmi les poids lourds, autobus et autocars de norme EURO VI ou immatriculés pour la première fois à partir du 1er janvier 2014, les " véhicules essence " relèvent, comme les " véhicules gaz " et les véhicules hybrides rechargeables, d'un certificat de qualité de l'air de classe 1, et les " véhicules diesel " d'un certificat de classe 2.
4. L'arrêté attaqué du 11 avril 2022 modifie les dispositions de l'arrêté du 21 juin 2016 afin, d'une part, de définir la catégorie des " véhicules biodiesel ", qui ont pour source d'énergie le biogazole de type B100, dont les caractéristiques sont définies par un arrêté du 29 mars 2018, et d'en fixer la classification dans cette nomenclature et, d'autre part, de modifier la définition des véhicules à essence. Les véhicules biodiesel de la catégorie des poids lourds, autobus et autocars bénéficient, lorsqu'ils sont soumis à la norme EURO VI ou immatriculés pour la première fois à partir du 1er janvier 2014, d'un certificat de qualité de l'air de classe 1. Les sociétés Gaz'up, Primagaz, Proviridis et Endesa Energia demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.
5. La société Saipol justifie d'un intérêt suffisant au maintien de l'arrêté attaqué. Par suite, son intervention en défense est recevable.
6. En premier lieu, les dispositions du II de l'article R. 318-2 du code de la route, citées au point 2, prévoient que les critères de classement des véhicules comme les conditions d'application de cet article sont fixés par arrêté des ministres chargés de l'environnement, des transports et de l'intérieur. Par suite, alors même qu'il ne procédait qu'à certaines modifications de l'arrêté du 21 juin 2016, l'arrêté attaqué, pris sur le fondement de ces dispositions, ne pouvait être compétemment pris par la seule ministre de la transition écologique, chargée de l'environnement et des transports. L'arrêté attaqué est donc entaché d'incompétence.
7. En second lieu, aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". Le respect du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement s'apprécie au regard des dispositions législatives prises afin de préciser, pour ce type de décisions, les conditions et les limites de l'applicabilité de ce principe. Ainsi, aux termes du I de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent les décisions mentionnées à l'alinéa précédent soumises à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif (...) ".
8. L'arrêté attaqué a pour objet de modifier la classification des véhicules pour l'attribution des certificats de qualité de l'air, à partir de laquelle les autorités mentionnées à l'article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales définissent les mesures de restriction de la circulation des véhicules automobiles applicables dans les zones à faibles émissions mobilité qu'elles ont délimitées afin de lutter contre la pollution atmosphérique. Eu égard à sa finalité et à sa portée, cet arrêté, en accordant aux véhicules biodiesel une classification équivalente à celle des " véhicules essence " et plus favorable que celle des " véhicules diesel ", facilite, quelles que soient les restrictions de circulation définies dans chacune des zones à faibles émissions mobilité, la circulation d'une catégorie de véhicules, dont il n'est pas contesté qu'ils émettent des polluants atmosphériques. Dans ces conditions, il doit être regardé comme ayant une incidence directe et significative sur l'environnement, au sens des dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement précédemment citées. Son adoption devait, dès lors, être précédée, à peine d'illégalité, d'une consultation préalable du public conformément à ces dispositions. Par suite, les sociétés requérantes sont fondées à soutenir que l'arrêté attaqué a été pris au terme d'une procédure irrégulière, dès lors que ses dispositions n'ont pas fait l'objet d'une consultation du public préalablement à leur adoption.
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 8 que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, les sociétés requérantes sont fondées à demander l'annulation de l'arrêté attaqué. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 750 euros à verser à chacune des sociétés requérantes, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la société Saipol est admise.
Article 2 : L'arrêté du 11 avril 2022 modifiant l'arrêté du 21 juin 2016 établissant la nomenclature des véhicules classés en fonction de leur niveau d'émission de polluants atmosphériques en application de l'article R. 318-2 du code de la route est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à chacune des sociétés Gaz'up, Primagaz, Proviridis et Endesa Energia une somme de 750 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Gaz'up, première requérante dénommée, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée à la société Saipol.