Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle la Ville de Paris a refusé de lui communiquer la copie des documents retraçant les frais de restauration de la maire et des membres de son cabinet et les autres frais de représentation de la maire, au titre de l'année 2017, d'enjoindre à la ville de lui communiquer l'ensemble des documents demandés sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de condamner la ville à lui verser une somme de 8 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du refus illégal de lui communiquer ces documents.
Par un jugement n° 1910674/5-1, 1910661/5-1 du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de la Ville de Paris, lui a enjoint de communiquer ces documents non anonymisés à M. A..., et a condamné la Ville de Paris à verser à ce dernier la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice matériel et moral subi en raison de ce refus.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 mai et 12 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ville de Paris demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un courrier du 8 janvier 2018, M. A... a demandé à la commune de Paris la communication des notes de frais et des reçus des déplacements, des notes de frais de restauration ainsi que des reçus des autres frais de représentations engagés par la maire de Paris ainsi que par les membres de son cabinet au titre de l'année 2017. A la suite du refus implicite qui lui a été opposé, M. A... a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs qui, par un avis en date du 12 juillet 2018, a déclaré sans objet la demande de communication des reçus de frais de représentation des membres du cabinet et a émis un avis favorable à la communication des autres documents demandés, mais la commune a maintenu son refus de communiquer les documents demandés dans leur intégralité. La Ville de Paris se pourvoit en cassation contre le jugement du 11 mars 2021 par lequel le tribunal administratif a annulé la décision de refus de communication, a enjoint à la Ville de Paris de communiquer ces documents non anonymisés dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement et a condamné la Ville de Paris à verser à M. A... la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice matériel et moral résultant du retard à lui communiquer les documents demandés.
Sur le pourvoi :
2. D'une part, l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. (...) ". Aux termes de l'article L. 311-1 du même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 311-6 de ce code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires (...) ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ". Conformément à l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".
3. D'autre part, le premier alinéa de l'article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales, qui institue un régime spécial de communication, dispose que : " Toute personne physique ou morale a le droit de demander communication (...) des budgets et des comptes de la commune (...) ".
4. Si l'avant-dernier alinéa de l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration fait obligation à l'administration et à la Commission d'accès aux documents administratifs, lorsqu'elles sont saisies d'une demande de communication d'un document administratif susceptible de relever de plusieurs des régimes d'accès mentionnés aux articles L. 342-1 et L. 342-2 de ce code, notamment celui qui est prévu par l'article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales, de procéder d'office à l'examen de cette demande au regard de l'ensemble de ces régimes, à l'exception du régime organisé par l'article L. 213-3 du code du patrimoine, il n'appartient, en revanche, pas au juge de l'excès de pouvoir, saisi de conclusions tendant, sur le fondement du seul code des relations entre le public et l'administration, à l'annulation d'un refus de communiquer un document administratif, d'examiner d'office si ce refus méconnaît les dispositions régissant un autre régime d'accès aux documents administratifs.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation du refus de communication des documents qu'il demande, M. A... s'est borné à se prévaloir du régime général d'accès aux documents administratifs organisé par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration. Pour annuler la décision de refus de communication litigieuse, le tribunal administratif s'est cependant fondé sur ce que ces documents étaient relatifs aux comptes de la commune au sens de l'article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales, pour juger que les dispositions de ce dernier article ouvraient au demandeur le droit d'en obtenir communication. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en se plaçant d'office sur le fondement de l'article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, son jugement doit être annulé, y compris en ce qu'il fait droit aux conclusions indemnitaires fondées sur l'illégalité fautive du refus de communication.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur les conclusions à fins d'annulation et d'injonction :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la Ville de Paris :
7. Contrairement à ce que soutient la Ville de Paris, les conclusions de M. A... tendent non pas à l'exécution de l'avis de la Commission d'accès aux documents administratifs, mais à l'annulation de la décision de l'autorité municipale confirmant le refus de communication, postérieurement à l'avis émis par la Commission. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la Ville de Paris ne peut qu'être écartée.
En ce qui concerne le bien-fondé du refus de communication :
8. En premier lieu, le droit de communication qu'instituent les dispositions de l'article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales s'agissant des " budgets " et des " comptes " des communes ne s'étend pas aux pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité qu'il appartient à l'ordonnateur et au comptable public de conserver, en vertu des dispositions de l'article 52 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, lesquelles constituent des documents distincts des " comptes " visés par le droit de communication spécial établi par cet article du code général des collectivités territoriales. Par suite, ces dispositions, dont M. A... se prévaut devant le Conseil d'Etat, ne peuvent être utilement invoquées à l'appui des conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus de communication des documents demandés.
9. En second lieu, toutefois, des notes de frais et reçus de déplacements ainsi que des notes de frais de restauration et reçus de frais de représentation d'élus locaux ou d'agents publics constituent des documents administratifs, communicables à toute personne qui en fait la demande dans les conditions et sous les réserves prévues par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration citées au point 2.
10. Sur le fondement de ces dispositions, la communication des documents demandés, qui ont trait à l'activité de la maire de Paris dans le cadre de son mandat et des membres de son cabinet dans le cadre de leurs fonctions, ne saurait être regardée comme mettant en cause la vie privée de ces personnes. En outre, contrairement à ce que soutient la Ville de Paris, la communication des mentions faisant le cas échéant apparaître l'identité et les fonctions des personnes invitées ne porte pas davantage atteinte, par principe, à la protection de vie privée de ces autres personnes. Il appartient à l'autorité administrative d'apprécier au cas par cas, à la date à laquelle elle se prononce sur une demande de communication, si, eu égard à certaines circonstances particulières tenant au contexte de l'évènement auquel un document se rapporte, la communication de ces dernières informations ou celle du motif de la dépense serait de nature, par exception, à porter atteinte aux secrets et intérêts protégés par les articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, justifiant alors leur occultation.
11. Il résulte de ce qui précède que la décision de la Ville de Paris refusant la communication des documents demandés doit être annulée. Il y a lieu d'enjoindre à la Ville de Paris de réexaminer la demande de M. A... dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions indemnitaires :
12. Il résulte de l'instruction que M. A..., qui se borne à faire état d'une part, de l'entrave à la liberté de la presse qu'a constitué le refus de communication des documents administratifs litigieux en raison de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de publier un article relatif à la gestion des dépenses budgétaires de la ville de Paris au titre de l'année 2017 et, d'autre part, de la multiplication des démarches qu'il a dû entreprendre aux fins d'obtenir la communication des documents administratifs en litige, n'établit pas avoir subi un préjudice matériel et moral en raison du refus fautif de l'administration de procéder à leur communication. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la Ville de Paris, ses conclusions indemnitaires doivent être rejetées.
Sur les frais non compris dans les dépens :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 3 000 euros à verser à M. A... à ce même titre.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 11 mars 2021 est annulé.
Article 2 : La décision implicite par laquelle la maire de Paris a refusé de communiquer à M. A... la copie des notes de frais et des reçus des déplacements, des notes de frais de restauration ainsi que des reçus des autres frais de représentations engagés par la maire de Paris ainsi que par les membres de son cabinet au titre de l'année 2017 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint à la maire de Paris de réexaminer la demande de M. A... dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 4 : La Ville de Paris versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par la Ville de Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la Ville de Paris et à M. B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 23 janvier 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Arno Klarsfeld, conseillers d'Etat et Mme Christelle Thomas, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 8 février 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Christelle Thomas
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana