Vu la procédure suivante :
La société Sapiens a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 4 octobre 2016 par laquelle le préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, a, sur son recours administratif préalable, confirmé sa décision du 8 juillet 2016 mettant à sa charge, d'une part, sur le fondement des articles L. 6362-7-1 du code du travail, le versement au Trésor public des sommes perçues du Fonds d'assurance formation ingénierie et conseil, pour un montant de 67 096,30 euros, au motif de l'absence de preuve de la réalisation des actions de formation de contrats de professionnalisation et de préparations opérationnelles à l'emploi individuelles, et, sur le fondement de l'article L. 6362-7-2 du même code, le versement au Trésor public d'une somme de 67 096,30 euros pour avoir établi et fait usage de documents destinés à obtenir indûment la prise en charge de formations non réalisées et, à titre subsidiaire, de réformer la décision du 4 octobre 2016 en ramenant les sommes à verser au Trésor public à 43 557,30 euros au titre de l'article L. 6362-7-1 du code du travail et, par voie de conséquence, à 43 557,30 euros au titre de l'article L. 6362-7-2 du même code. Par un jugement n° 1611529 du 9 décembre 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 20VE00390 du 24 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce jugement ainsi que la décision du 4 octobre 2016.
Par un pourvoi, enregistré le 23 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de la société Sapiens ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 février 2023, présentée par la société Sapiens ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un contrôle en 2015 de la réalité des actions de formation professionnelle dispensées par la société Sapiens, le préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, a, par une décision du 8 juillet 2016 prise sur le fondement des articles L. 6362-7-1 et L. 6362-7-2 du code du travail, mis à la charge de cette société le reversement au Trésor public de la somme de 67 096,30 euros au titre des fonds de la formation professionnelle indûment perçus pour les années 2013 à 2015 et lui a ordonné de verser au Trésor public la somme de 67 096,30 euros au titre des manœuvres frauduleuses pour percevoir ces sommes. Sur le recours administratif préalable de la société Sapiens, le préfet a confirmé, par une décision du 4 octobre 2016, les sommes mises à sa charge. Par un jugement du 9 décembre 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de la société Sapiens tendant à l'annulation de la décision du 4 octobre 2016 ou, à titre subsidiaire, à sa réformation. Par un arrêt du 24 janvier 2022 contre lequel le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Versailles, saisie de l'appel de la société Sapiens, a annulé le jugement du 9 décembre 2019 et la décision du 4 octobre 2016.
2. Aux termes de l'article L. 6362-8 du code du travail : " Les contrôles en matière de formation professionnelle continue peuvent être opérés soit sur place, soit sur pièces. " Aux termes de l'article L. 6362-9 du même code : " Les résultats du contrôle sont notifiés à l'intéressé. / Cette notification interrompt la prescription courant à l'encontre du Trésor public, au regard des versements dus et des pénalités fiscales correspondantes. " Enfin, aux termes de l'article L. 6362-10 du même code : " Les décisions de rejet de dépenses et de versement mentionnées au présent livre prises par l'autorité administrative ne peuvent intervenir, après la notification des résultats du contrôle, que si une procédure contradictoire a été respectée. "
3. Le caractère contradictoire des contrôles menés conformément aux dispositions précitées des articles L. 6362-8 à L. 6362-10 du code du travail impose à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de prendre connaissance du dossier le concernant. Si l'administration entend se fonder sur des renseignements obtenus auprès de tiers, il lui incombe alors d'informer l'intéressé de l'origine et de la teneur de ces renseignements, avec une précision suffisante pour lui permettre, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander, le cas échéant, la communication des documents qui les contiennent. Toutefois, lorsque l'accès à ces renseignements serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui en sont à l'origine, l'administration doit se limiter à informer l'intéressé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur. Il revient au juge d'apprécier, au vu des échanges entre les parties et en ordonnant, le cas échéant, toute mesure d'instruction complémentaire, si le caractère contradictoire de la procédure a été respecté.
4. Il ressort des termes mêmes de la décision du 4 octobre 2016 du préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, qu'elle se fonde notamment, pour apprécier l'exécution effective des actions de formation, parmi un ensemble d'indices concordants, sur des témoignages obtenus auprès de tiers, dont la teneur a été communiquée, de façon circonstanciée, à la société requérante et que l'administration a décidé de ne pas communiquer à cette dernière l'identité des témoins " en considérant que la révélation de cet élément était de nature à porter préjudice à leurs auteurs et notamment à leur avenir professionnel dans la société ou la branche d'activité dans laquelle ils évoluent ". Par suite, en retenant, pour juger que la décision du 4 octobre 2016 avait été prise au terme d'une procédure irrégulière, que l'administration n'établissait ni même n'alléguait en défense que l'accès à ces renseignements aurait été de nature à porter gravement préjudice aux auteurs de ces témoignages, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'arrêt attaqué doit être annulé.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 24 janvier 2022 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Sapiens au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société Sapiens.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 février 2023 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Damien Botteghi, conseiller d'Etat et Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 16 mars 2023.