Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 juin 2022 et 13 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'avis non conforme émis le 14 avril 2022 par le Conseil supérieur de la magistrature sur sa candidature aux fonctions de magistrate exerçant à titre temporaire, ainsi que la décision du 26 avril 2022 du garde des sceaux, ministre de la justice, refusant de la nommer dans ces fonctions ;
2°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder à sa nomination dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous une astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. L'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature prévoit, au chapitre V bis, des possibilités d'intégration provisoire et à temps partiel dans le corps judiciaire, parmi lesquelles figure le recrutement de magistrats exerçant à titre temporaire. Aux termes de l'article 41-10 de cette ordonnance : " Peuvent être nommées magistrats exerçant à titre temporaire, pour exercer des fonctions de juge des contentieux de la protection, d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux judiciaires, de juge du tribunal de police ou de juge chargé de valider les compositions pénales, les personnes âgées d'au moins trente-cinq ans que leur compétence et leur expérience qualifient particulièrement pour exercer ces fonctions./ (...) / Elles doivent soit remplir les conditions prévues au 1°, 2° ou 3° de l'article 22, soit être membre ou ancien membre des professions libérales juridiques et judiciaires soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et justifier de cinq années au moins d'exercice professionnel (...) ". Aux termes de l'article 22 de l'ordonnance : " Peuvent être nommés directement aux fonctions du second grade de la hiérarchie judiciaire, à condition d'être âgés de trente-cinq ans au moins : / 1° Les personnes remplissant les conditions prévues à l'article 16 et justifiant de sept années au moins d'exercice professionnel les qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires ; (...) ". Aux termes de l'article 41-12 de cette même ordonnance : " Les magistrats recrutés au titre de l'article 41-10 sont nommés pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois, dans les formes prévues pour les magistrats du siège. / (...) / Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions de dépôt et d'instruction des dossiers de candidature, les modalités d'organisation et la durée de la formation ". Aux termes de l'article 28 de l'ordonnance : " / Les décrets portant promotion de grade ou nomination aux fonctions de magistrat autres que celles mentionnées à l'alinéa précédent sont pris par le Président de la République sur proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, après avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature pour ce qui concerne les magistrats du siège (...) ". Enfin, aux termes de l'article 35-1 du décret du 7 janvier 1993 pris pour l'application de cette ordonnance : " Tout candidat aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire (...) doit transmettre sa demande, adressée au garde des sceaux, aux chefs de la cour d'appel dans le ressort de laquelle il réside, qui procèdent à l'instruction de sa candidature ". Aux termes de l'article 35-2 de ce décret : " Le dossier de candidature, assorti de l'avis motivé des chefs de cour, est transmis au garde des sceaux, ministre de la justice, qui procède, le cas échéant, à une instruction complémentaire. / Le garde des sceaux, ministre de la justice, saisit la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège des projets de nomination aux fonctions de magistrats exerçant à titre temporaire (...) ".
2. Il ressort des pièces du dossier que, saisi par Mme A... de sa candidature aux fonctions de magistrate exerçant à titre temporaire et en dépit de l'avis défavorable rendu le 29 septembre 2021 par les chefs de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le garde des sceaux, ministre de la justice, a proposé au Conseil supérieur de la magistrature de nommer Mme A... en qualité de magistrate exerçant à titre temporaire au tribunal judiciaire de Nice. Le Conseil supérieur de la magistrature, dans sa formation compétente à l'égard des magistrats du siège, a rendu le 14 avril 2022 un avis non conforme sur cette proposition de nomination, au motif que les expériences professionnelles de la candidate ne permettaient pas d'établir avec suffisamment de fiabilité ses compétences juridiques. La requérante demande l'annulation de cet avis et de la décision du 26 avril 2022 du garde des sceaux, ministre de la justice, refusant de la nommer en qualité de magistrate exerçant à titre temporaire.
3. Il résulte des dispositions rappelées au point 1 que le recrutement de magistrats exerçant à titre temporaire au titre de l'article 41-10 et du 1° de l'article 22 de l'ordonnance portant statut de la magistrature est subordonné notamment à la condition que les intéressés justifient de sept années au moins d'exercice professionnel les qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires. Le législateur organique a entendu investir l'autorité de nomination, ainsi que la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature, d'un large pouvoir dans l'appréciation de l'aptitude des candidats à exercer ces fonctions. Les dispositions rappelées au point 1 ne créent, pour les candidats remplissant les conditions qu'elles énumèrent, aucun droit d'être nommés dans les fonctions de magistrat à titre temporaire.
4. Mme A..., titulaire d'une maîtrise de droit, d'un DEA de droit privé et du doctorat en droit de l'université de Nice, fait valoir qu'elle a enseigné entre 1995 et 1999 et qu'elle a exercé comme avocate pendant neuf ans, puis comme juriste-consultant au sein du même cabinet pendant quatre ans, de sorte que ses compétences juridiques seraient établies. Elle fait également valoir que le stage probatoire prévu pour les candidats retenus est destiné à garantir la fiabilité de ces compétences. Si Mme A... a produit certains témoignages attestant des qualités qu'elle a démontrées dans l'exercice de ces fonctions, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier, notamment au vu de l'avis défavorable rendu par les chefs de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, que le Conseil supérieur de la magistrature ait entaché son avis d'une erreur manifeste d'appréciation sur l'aptitude de la candidate à exercer les fonctions de magistrate exerçant à titre temporaire au tribunal judiciaire de Nice.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'avis qu'elle attaque. Ses conclusions présentées sur le fondement des articles L. 911-1 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être également rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Madame B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 avril 2023 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 24 mai 2023.
Le président :
Signé : M. Cyril Roger-Lacan
La rapporteure :
Signé : Mme Nathalie Destais
La secrétaire :
Signé : Mme Laïla Kouas