Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 10 août 2022 par laquelle la directrice du centre hospitalier d'Erdre-et-Loire a refusé de lui accorder le bénéfice de l'aide au retour à l'emploi (ARE). Par une ordonnance n° 2213359 du 21 octobre 2022, prise par application des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 et 22 novembre 2022 et le 12 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Erdre-sur-Loire la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n°2019-828 du 6 août 2019 ;
- le décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019
- le décret n°2020-731 du 16 juin 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de Mme B... et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du centre hospitalier d'Erdre-et-Loire.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ".
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nantes que, par une décision du 10 août 2022, la directrice du centre hospitalier d'Erdre-et-Loire, saisie par Mme B... d'une demande relative au versement de l'allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE), lui a proposé un poste d'auxiliaire de vie sociale à temps partiel en lui indiquant qu'en cas de refus de cette offre, elle ne pourrait être regardée comme ayant été involontairement privée d'emploi et, par suite, bénéficier de l'ARE. Mme B... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 21 octobre 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a, par application des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de cette décision.
3. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence.
4. Il ressort des termes de l'ordonnance attaquée que, pour estimer que la condition d'urgence requise n'était pas remplie, le juge des référés s'est fondé, pour apprécier si cette décision préjudiciait de manière suffisamment grave et immédiate à la situation de l'intéressée, sur les circonstances que Mme B... avait quitté de sa propre initiative en octobre 2021 le poste qu'elle occupait au centre hospitalier d'Erdre-et-Loire, qu'elle n'établissait ni même n'alléguait être dans l'impossibilité d'exercer une autre activité professionnelle et qu'elle s'était vue proposer un poste d'auxiliaire de vie à temps partiel par le centre hospitalier. En se fondant sur ces circonstances sans prendre en considération la situation financière de Mme B... alors qu'elle en invoquait la précarité, le juge des référés a, eu égard à la nature et aux effets d'une décision qui la privait du bénéfice de l'aide au retour à l'emploi, entaché son ordonnance d'une erreur de droit.
5. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé.
7. La décision contestée refusant à Mme B... le versement de l'ARE a pour effet de placer cette dernière, qui ne bénéficie que de prestations sociales à hauteur d'environ 1 100 euros par mois, dont 300 au titre du revenu de solidarité active, alors qu'elle supporte des charges de l'ordre de 2 300 euros par mois, liées notamment à la garde de ses deux enfants, dans une situation financière précaire. Dès lors, eu égard à la nature et aux effets de la décision de refus d'octroi de l'ARE dont elle fait l'objet, Mme B... doit être regardée comme justifiant d'une atteinte suffisamment grave et immédiate à sa situation. Par suite, la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.
8. D'une part, aux termes de l'article L. 5422-1 du code du travail : " I.- Ont droit à l'allocation d'assurance les travailleurs aptes au travail et recherchant un emploi qui satisfont à des conditions d'âge et d'activité antérieure, et dont : / 1° Soit la privation d'emploi est involontaire, ou assimilée à une privation involontaire par les accords relatifs à l'assurance chômage mentionnés à l'article L. 5422-20 (...) ". Aux termes de l'article 2 de l'annexe A du décret du 26 juillet 2019 relatif au régime d'assurance chômage : " Ont droit à l'allocation d'aide au retour à l'emploi les salariés dont la perte d'emploi est involontaire. Remplissent cette condition les salariés dont la perte d'emploi résulte (...) d'une fin de contrat de travail à durée déterminée ".
9. D'autre part, aux termes de l'article L. 5424-1 du même code : " Ont droit à une allocation d'assurance, lorsque leur privation d'emploi est involontaire ou assimilée à une privation involontaire ou en cas de cessation d'un commun accord de leur relation de travail avec leur employeur, et lorsqu'ils satisfont à des conditions d'âge et d'activité antérieure, dans les conditions prévues aux articles L. 5422-2 et L. 5422-3 : / 1° Les agents fonctionnaires et non fonctionnaires de l'Etat et de ses établissements publics administratifs, les agents titulaires des collectivités territoriales ainsi que les agents statutaires des autres établissements publics administratifs ainsi que les militaires ; / 2° Les agents non titulaires des collectivités territoriales et les agents non statutaires des établissements publics administratifs autres que ceux de l'Etat et ceux mentionnés au 4° ainsi que les agents non statutaires des groupements d'intérêt public (...) ". Le IV de l'article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ainsi que les articles 2 et 3 du décret du 16 juin 2020 relatif au régime particulier d'assurance chômage applicable à certains agents publics et salariés du secteur public précisent les conditions dans lesquelles une personne peut être regardée comme ayant été involontairement privée d'emploi. L'article 2 de ce décret dispose notamment que : " Sont considérés comme ayant été involontairement privés d'emploi : / 2° Les personnels de droit public ou de droit privé dont le contrat est arrivé à son terme et n'est pas renouvelé à l'initiative de l'employeur (...) ".
10. Enfin, aux termes de l'article R. 5424-2 du code du travail : " Lorsque, au cours de la période retenue pour l'application de l'article L. 5422-2, la durée totale d'emploi accomplie pour le compte d'un ou plusieurs employeurs affiliés au régime d'assurance a été plus longue que l'ensemble des périodes d'emploi accomplies pour le compte d'un ou plusieurs employeurs relevant de l'article L. 5424-1, " au nombre desquels les établissements publics administratifs de l'Etat, " la charge de l'indemnisation incombe à Pôle emploi pour le compte de l'organisme mentionné à l'article L. 5427-1. Dans le cas contraire, cette charge incombe à l'employeur relevant de l'article L. 5424-1, ou à celui des employeurs relevant de cet article qui a employé l'intéressé durant la période la plus longue. "
11. Il résulte des dispositions citées aux points 8 à 10, d'une part, que lorsqu'une personne, après avoir été employée par contrat à durée déterminée par un employeur public qui n'est pas affilié au régime d'assurance, a travaillé pour un employeur qui y est affilié, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée venu à échéance, cet employeur public est redevable du versement de l'aide au retour à l'emploi lorsqu'il a employé l'intéressé sur une plus longue période. Il en résulte également que l'employeur public ne peut soutenir que, dans une telle situation, l'intéressé ne peut être regardé comme n'ayant pas été involontairement privé d'emploi au motif qu'il aurait refusé son offre d'un nouvel emploi en contrepartie du non versement de l'aide au retour à l'emploi.
12. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le moyen tiré de ce que le centre hospitalier d'Erdre et Loire ne pouvait légalement se fonder sur ce que Mme B..., dont le dernier employeur était la résidence privée " Les Ligériennes ", n'avait pas accepté la proposition d'emploi qu'il lui avait faite pour rejeter sa demande d'indemnisation est propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à demander la suspension de l'exécution de la décision du 10 août 2022 de la directrice du centre hospitalier d'Erdre-et-Loire.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Erdre-et-Loire, pour l'ensemble de la procédure, la somme de 4 000 euros à verser à Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit à la demande présentée à ce titre par le centre hospitalier d'Erdre-et-Loire.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 21 octobre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision du 10 août 2022 de la directrice du centre hospitalier d'Erdre-et-Loire est suspendue.
Article 3 : Le centre hospitalier d'Erdre-et-Loire versera à Mme B... une somme de 4 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour l'ensemble de la procédure.
Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier d'Erdre-et-Loire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au centre hospitalier d'Erdre-et-Loire.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 mai 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 20 juin 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Sara-Lou Gerber
La secrétaire :
Signé : Mme Anne-Lise Calvaire