Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 avril et 15 juillet 2022 et le 8 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Union Parisienne ", l'association Villette Village, l'association Vivre ! Bd de Strasbourg - Fg St-Denis St-Martin, l'association " Demain La Chapelle ", l'association Vivre Gares du Nord et Est, l'Association pour la renaissance du quartier Arts et Métiers (ARCAM), l'association Vivre le Marais !, l'association Place Frenay ; Gare de Lyon ; Diderot BASTA COSI !, M. D... A... et Mme C... B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 janvier 2022 portant approbation du cahier des charges national relatif aux " haltes " soins addictions " " ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2016-441 du 26 janvier 2016 ;
- la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 ;
- la décision du 14 avril 2023 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association " Union Parisienne " et autres ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin, Gougeon, avocat de l'association " Union Parisienne " et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 43 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dans sa rédaction issue de la loi du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022 : " I.-A titre expérimental et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2025, les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogue mentionnés à l'article L. 3411-9 du code de la santé publique et les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie mentionnés à l'article L. 3411-6 du même code, désignés par arrêté du ministre chargé de la santé après avis du directeur général de l'agence régionale de santé et en concertation avec le maire de la commune concernée et, à Paris, Lyon et Marseille, en concertation avec le maire d'arrondissement ou de secteur concerné, ouvrent une halte " soins addictions ", qui est un espace de réduction des risques par usage supervisé et d'accès aux soins, dans le respect d'un cahier des charges national arrêté par le ministre chargé de la santé. / L'expérimentation porte sur des espaces situés dans les locaux du centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogue et du centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie ou dans des locaux distincts. Ils peuvent également être situés dans des structures mobiles. / II. - Ces espaces sont destinés à accueillir des personnes majeures usagers de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants qui souhaitent bénéficier de conseils en réduction de risques dans le cadre d'usages supervisés mentionnés à l'article L. 3411-8 du même code. Dans ces espaces, ces usagers sont uniquement autorisés à détenir les produits destinés à leur consommation personnelle et à les consommer sur place dans le respect des conditions fixées dans le cahier des charges mentionné au I du présent article et sous la supervision d'une équipe pluridisciplinaire comprenant des professionnels de santé et du secteur médico-social, également chargée de faciliter leur accès aux soins (...) ".
2. Sur le fondement de ces dispositions, l'article 1er de l'arrêté du 26 janvier 2022 portant approbation du cahier des charges national relatif aux " haltes " soins addictions " " approuve ce cahier des charges. Ses articles 2 et 3 reportent au 31 décembre 2025 le terme de la désignation, initialement décidée pour six ans par deux arrêtés du 25 mars 2016, des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues Ithaque et Gaia pour la mise en place d'un espace de réduction des risques par usage supervisé, respectivement à Strasbourg et à Paris. L'association " Union Parisienne " et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.
Sur l'intervention de la copropriété du 28, boulevard de Bonne-Nouvelle :
3. La copropriété du 28, boulevard de Bonne Nouvelle justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêté attaqué. Par suite, son intervention est recevable.
Sur l'article 1er de l'arrêté attaqué :
En ce qui concerne les moyens tirés de l'invocation des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
4. Il résulte des dispositions de l'article 43 de la loi du 26 janvier 2016 citées au point 1 que les espaces de réduction des risques par usage supervisé et d'accès aux soins dénommés " haltes " soins addictions " ", dont l'ouverture est prévue à titre expérimental, sont destinés à accueillir, dans le respect d'un cahier des charges national arrêté par le ministre chargé de la santé, des personnes majeures usagers de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants qui souhaitent bénéficier de conseils en réduction de risques dans le cadre " d'usages supervisés " tels qu'ils sont prévus à l'article L. 3411-8 du code de la santé publique. La supervision ainsi prévue consiste, sans comporter aucune participation active aux gestes de consommation de ces substances, à mettre en garde les usagers contre les pratiques à risques, à les accompagner et à leur prodiguer des conseils relatifs aux modalités de consommation afin de prévenir ou de réduire les risques de transmission des infections et les autres complications sanitaires. Les usagers sont uniquement autorisés, dans ces espaces, à détenir les produits destinés à leur consommation personnelle et à les consommer, dans le respect des conditions fixées dans le cahier des charges, sous la supervision d'une équipe pluridisciplinaire comprenant des professionnels de santé et du secteur médico-social, également chargée de faciliter leur accès aux soins, sans que, s'ils agissent dans les conditions ainsi prévues, l'usager ne puisse être poursuivi pour usage illicite et détention illicite de stupéfiants ou le professionnel pour complicité d'usage illicite de stupéfiants et facilitation de l'usage illicite de stupéfiants.
5. Il ressort des pièces du dossier que l'ouverture de ces espaces a pour objet de réduire les risques sanitaires liés à la consommation de substances psychoactives ou stupéfiantes, d'inciter les usagers de drogues à s'orienter vers des modes de consommation à moindre risque et de les mener vers des traitements de substitution ou de sevrage. Elle se rattache, à ce titre, à la politique de réduction des risques et des dommages en direction des usagers de drogue prévue à l'article L. 3411-8 du code de la santé publique et définie par celui-ci comme visant à prévenir les dommages sanitaires, psychologiques et sociaux, la transmission des infections et la mortalité par surdose liés à la consommation de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants. Elle a également pour objet d'ouvrir aux usagers de drogue un accès aux soins, que l'équipe pluridisciplinaire assurant la supervision est chargée de leur faciliter, ce à quoi participe la possibilité d'ouvrir ces espaces dans les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie.
6. Dans ces conditions, les dispositions de l'article 43 de la loi du 26 janvier 2016 ne sauraient être regardées comme incompatibles avec les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au motif qu'elles auraient pour effet, du fait du recours à la supervision et de l'absence de mesures qui seraient propres à permettre le sevrage, d'encourager l'addiction aux substances en cause au lieu de permettre d'en sortir.
7. Les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les mêmes stipulations pour les mêmes motifs. Ils ne peuvent en outre utilement soutenir que l'arrêté aurait dû prévoir un contrôle de la qualité des produits consommés, ce que ces stipulations n'impliquent pas par elles-mêmes, pas plus que des modalités particulières de prise en charge des usagers dans les suites immédiates de leur consommation, le cahier des charges approuvé par l'arrêté attaqué prévoyant à cet égard que les espaces composant la " halte " soins addictions " " doivent comprendre un lieu de repos dans lequel les usagers sont encouragés à rester un moment après la consommation, avant de quitter la structure.
En ce qui concerne l'accès aux soins :
8. Les dispositions de l'article 43 de la loi du 26 janvier 2016 prévoient en particulier que les " haltes " soins addictions " " sont des espaces d'accès aux soins et que l'équipe pluridisciplinaire est chargée de faciliter cet accès aux usagers qu'ils accueillent. Le cahier des charges annexé à l'arrêté attaqué mentionne, au nombre des objectifs généraux de ces structures, qu'elles doivent " contribuer à faire entrer les usagers de drogues ou de médicaments détournés de leur usage dans un parcours de santé incluant notamment : / - la connaissance et l'adoption de pratiques de réduction des risques et des dommages ; / - la possibilité de bénéficier d'un suivi psychiatrique ; / - la possibilité d'entrer dans un processus de sevrage et/ou de substitution ; / - l'aide à la recherche d'un médecin traitant " et, au nombre de leurs objectifs spécifiques : " Atteindre les usagers actifs à haut risque et les faire entrer dans un parcours de réduction des risques et de soins ; / (...) Encourager et faciliter l'accès aux soins des troubles somatiques et psychologiques et l'accès aux traitements des dépendances des usagers ". Il précise en outre, s'agissant des " partenariats et conventionnement ", notamment, que " l'objectif est de formaliser des partenariats " avec des structures, notamment médico-sociales, sanitaires de proximité ou intervenant dans le cadre de prestations de soins somatiques, addictologiques et psychiatriques pour " renforcer l'orientation et la prise en charge médico-psycho-sociale afin d'améliorer le parcours de soin des usagers (traitement somatique et/ou psychiatrique, traitement de substitution, naloxone, etc.) ".
9. En mentionnant ces différents éléments au titre des objectifs assignés à ces structures, le cahier des charges ne méconnaît pas les dispositions de l'article 43 de la loi du 26 janvier 2016, dont il ne résulte pas qu'il devrait les assortir d'obligations quant à l'entrée effective des usagers dans une démarche de soins et de traitement de leur addiction. Il n'a pas davantage illégalement subdélégué sa compétence en laissant chaque " halte " soins addictions " " préciser, lors des partenariats et conventionnements à conclure, lesquels doivent l'être en vue d'améliorer le parcours de soin des usagers, les modalités selon lesquelles seront renforcées l'orientation et la prise en charge médico-psycho-sociale.
En ce qui concerne l'implantation d'une " halte " soins addictions " " :
10. Le cahier des charges annexé à l'arrêté attaqué indique, au point 7 des " éléments généraux et cadre national ", que : " Le projet d'une HSA tient compte des réalités et des besoins spécifiques de son territoire d'implantation. / Le choix du lieu d'implantation doit dépendre de données locales spécifiques relatives au nombre d'usagers actifs, aux produits, aux modes et à la fréquence de consommation ainsi qu'aux habitudes des usagers, en tenant compte de l'environnement social dans lequel la HSA a vocation à s'intégrer. Il conviendrait ainsi de le situer à proximité des lieux de consommation afin d'être proches des usagers et de réduire les nuisances publiques là où elles sont les plus tangibles ".
11. En faisant figurer au sein du cahier des charges les éléments devant, pour satisfaire à l'objectif poursuivi par le législateur, présider au choix, qui au demeurant lui incombe, du lieu d'implantation d'une " halte " soins addictions " ", le ministre chargé de la santé n'a entaché son arrêté d'aucune incompétence. Les différents éléments qu'il a retenus à ce titre, qui sont en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur, ne sont, eu égard à cet objectif, entachés d'aucune erreur manifeste d'appréciation, en particulier en ce que le cahier des charge préconise une implantation à proximité des lieux de consommation et en ce que, s'il indique qu'il doit être tenu compte de l'environnement social dans lequel la " halte " soins addictions " " a vocation à s'intégrer, il ne prévoit aucun lieu ou périmètre dans lequel une telle implantation serait exclue. Il n'a pas davantage commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne prévoyant pas, préalablement au choix du lieu d'implantation, une consultation du public ou, le cas échéant, du préfet de police, qu'aucun texte ni aucun principe n'imposait.
12. Enfin, il était loisible au ministre de la santé, compétent comme il a été dit en vertu de la loi tant pour fixer le cahier des charges national que pour décider de l'ouverture d'une " halte " soins addictions " ", de prévoir que, préalablement à la mise en place d'une telle structure et pour toute la durée de l'expérimentation, serait créé un comité de pilotage local, coprésidé par le maire de la commune d'implantation, le directeur général de l'agence régionale de santé, le préfet de département territorialement compétent et le procureur de la République, notamment chargé de vérifier la conformité du projet au contenu du cahier des charges. Ce faisant, il n'a ni entaché son arrêté d'incompétence, ni méconnu l'article 43 de la loi du 26 janvier 2016, ni confié à ce comité de pilotage le pouvoir de s'opposer à l'implantation d'une " halte " soins addictions " ".
Sur les articles 2 et 3 de l'arrêté attaqué :
13. Si la désignation, pour l'ouverture d'une " halte " soins addictions " ", d'un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogue ou d'un centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie doit, en vertu des dispositions citées au point 1, être précédée d'un avis du directeur général de l'agence régionale de santé et d'une concertation menée avec le maire de la commune concernée et, à Paris, Lyon et Marseille, avec le maire d'arrondissement ou de secteur concerné, les articles 2 et 3 de l'arrêté attaqué ne procèdent pas à la désignation du centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues Ithaque à Strasbourg, non plus qu'à celle du centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues Gaia à Paris, lesquelles résultent de deux arrêtés du 25 mars 2016, mais se bornent à prolonger la durée de l'expérimentation mise en place par ces arrêtés. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que l'arrêté attaqué serait illégal faute d'avoir été précédé de ces diverses consultations et concertations.
14. Il résulte de tout ce qui précède que l'association " Union parisienne " et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté qu'ils attaquent.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la copropriété du 28, boulevard de Bonne-Nouvelle est admise.
Article 2 : La requête de l'association " Union parisienne " et autres est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association " Union parisienne ", première dénommée, pour l'ensemble des requérants, au ministre de la santé et de la prévention et à la copropriété du 28, boulevard de Bonne-Nouvelle.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 septembre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, Mme Anne Lazar Sury, conseillers d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 2 octobre 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Agnès Pic
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber