Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 470577, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 12 avril 2016 par laquelle le grand chancelier de la Légion d'honneur a refusé de proposer au Président de la République de retirer la distinction de la Légion d'honneur accordée au général Francisco Franco par des décrets des 22 février 1928 et 26 octobre 1930, ainsi que la décision du 28 novembre 2016 rejetant son recours gracieux formé contre cette décision. Par un jugement n° 1706301 du 16 février 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 18PA01266 du 18 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a jugé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de ce jugement et des décisions en litige du grand chancelier de la Légion d'honneur, et à ce qu'il soit enjoint à ce dernier de réexaminer sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 janvier et 18 avril 2023 et 12 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'Ordre national de la Légion d'honneur la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 477513, par une requête, enregistrée le 3 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision née le 25 juillet 2023 par laquelle la Première ministre a implicitement rejeté sa demande tendant à l'abrogation des dispositions de l'article R. 135-6 du code de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre national du Mérite issues de l'article 19 du décret du 21 novembre 2018 modifiant ce code ;
2°) d'enjoindre à la Première ministre d'abroger ces dispositions dans un délai de trois mois à compter de la décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre national du Mérite ;
- le décret n° 2018-1007 du 21 novembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de M. B... et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'ordre national de la légion d'honneur ;
Considérant ce qui suit :
1. Le pourvoi et la requête de M. B... visés ci-dessus présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a adressé le 6 avril 2016 au grand chancelier de la Légion d'honneur une demande tendant à ce que celui-ci, en application des dispositions de l'article R. 135-2 du code de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire, devenu le code de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre national du Mérite, propose au Président de la République de retirer les distinctions accordées aux grades d'officier puis de commandeur de la Légion d'honneur à M. Francisco Franco Bahamonde, alors qu'il était directeur de l'académie générale militaire de Saragosse, par des décrets du Président de la République des 22 février 1928 et 26 octobre 1930. Sa demande ayant été rejetée par une décision du 12 avril 2016, confirmée par une décision du 28 novembre 2016 rejetant son recours gracieux, M. B... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de ces deux décisions, assortie de conclusions à fin d'injonction de réexamen de sa demande. Par un jugement du 16 février 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sous le n° 470577, M. B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 novembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a jugé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur ses conclusions. Sous le n° 477513, M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision née le 25 juillet 2023 par laquelle la Première ministre a implicitement rejeté sa demande tendant à l'abrogation des dispositions de l'article R. 135-6 du code de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre national du Mérite issues de l'article 19 du décret du 21 novembre 2018 modifiant ce code.
Sur la requête :
3. Aux termes de l'article R. 135-2 du code de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre national du Mérite : " Peut être retirée à un étranger la distinction de la Légion d'honneur qui lui a été accordée si celui-ci a commis des actes ou eu un comportement susceptibles d'être déclarés contraires à l'honneur ou de nature à nuire aux intérêts de la France à l'étranger ou aux causes qu'elle soutient dans le monde. / Le retrait est prononcé, sur proposition du grand chancelier, et après avis du ministre des affaires étrangères et du conseil de l'ordre, par décret du Président de la République ". Aux termes de l'article R. 135-6 du même code, issu de l'article 19 du décret du 21 novembre 2018 modifiant ce code : " Aucune action en retrait ne peut être poursuivie ou engagée contre une personne décédée ".
4. Contrairement à ce que soutient M. B..., il ne ressort pas des pièces du dossier que les dispositions de l'article R. 135-6 du code de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre national du Mérite citées au point précédent, introduites dans ce code par un décret le modifiant sur de nombreux autres points, qui prévoient que la Légion d'honneur attribuée à un étranger ne peut lui être retirée après son décès, auraient eu pour but de priver d'objet son recours alors pendant devant la cour administrative d'appel de Paris en méconnaissance de son droit à un recours effectif. Par suite, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi. Ces dispositions n'ont pas davantage pour objet ou pour effet de soustraire des décisions administratives au recours pour excès de pouvoir ouvert même sans texte contre tout acte administratif conformément aux principes généraux du droit.
5. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. B... doit être rejetée.
Sur le pourvoi :
En ce qui concerne la régularité de l'arrêt attaqué :
6. En premier lieu, contrairement à ce que soutient M. B..., il ressort des pièces de la procédure devant la cour administrative d'appel de Paris que le mémoire présenté par l'Ordre national de la Légion d'honneur, enregistré le 4 décembre 2018 au greffe de cette cour, a été communiqué le 28 septembre 2022 à son avocat, lequel a d'ailleurs fait référence à cette communication dans ses observations enregistrées le 13 octobre 2022. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ne peut qu'être écarté.
7. En second lieu, contrairement à ce que soutient M. B..., la cour a visé son moyen tiré du caractère inexistant des décrets des 22 février 1928 et 26 octobre 1930 attribuant la Légion d'honneur à M. Franco et elle n'était pas tenue d'y répondre compte tenu du non-lieu à statuer sur ses conclusions qu'elle a prononcé. Par ailleurs, contrairement à ce qu'il allègue, il ne ressort pas de ses écritures devant la cour qu'il aurait soulevé un moyen tiré de ce que les décrets attribuant la Légion d'honneur à M. Franco auraient été caducs. Par suite, la cour n'a ni méconnu la portée de ses écritures ni insuffisamment motivé son arrêt en ne visant ni, en tout état de cause, en ne répondant à un tel moyen.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".
9. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus du grand chancelier de la Légion d'honneur, opposé à un tiers, de proposer au Président de la République, en application des dispositions de l'article R. 135-2 du code de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre national du Mérite citées au point 3, de retirer à un étranger la distinction de la Légion d'honneur qui lui a été accordée réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, pour le grand chancelier, de réexaminer la demande qui lui a été soumise tendant à ce qu'il formule une telle proposition au Président de la République, en tenant compte des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de sa nouvelle décision. La légalité de ce refus doit, dès lors, être appréciée par ce juge au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.
10. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que les dispositions de l'article R. 135-6 du code de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre national du Mérite, issues de l'article 19 du décret du 21 novembre 2018 modifiant ce code, entrées en vigueur en cours d'instance, faisaient obstacle, à la date à laquelle elle a statué, à toute action tendant au retrait des distinctions accordées à M. Franco dès lors que celui-ci est décédé, pour en déduire que la demande de M. B... tendant à un tel retrait était devenue sans objet et qu'il n'y avait, dès lors, plus lieu de statuer sur ses conclusions tendant à l'annulation du jugement et des décisions en litige et à ce que soit enjoint le réexamen d'une demande devenue impossible à satisfaire, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit.
11. En deuxième lieu, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que, dès lors que le litige ne portait ni sur une obligation à caractère civil, ni sur une accusation en matière pénale, au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les stipulations de cet article ne faisaient pas obstacle à ce qu'elle prononce un non-lieu à statuer sur les conclusions de M. B.... Il en est de même, s'agissant de l'invocation par le requérant de son droit à un recours effectif, compte tenu de ce qui a été dit au point 4.
12. En dernier lieu, le requérant ne peut utilement soutenir que la cour administrative d'appel de Paris aurait commis une erreur de droit en ne recherchant pas si l'annulation des décisions contestées ne devait pas être prononcée à raison de l'inexistence ou, subsidiairement, de la caducité des décrets des 22 février 1928 et 26 octobre 1930 attribuant la Légion d'honneur à M. Franco, dès lors que la cour n'était saisie ni d'un recours en déclaration d'inexistence dirigé contre ces actes, ni d'un moyen tiré de leur caducité.
13. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de M. B... doit être rejeté.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de l'Ordre national de la Légion d'honneur, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'Ordre national de la Légion d'honneur au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête et le pourvoi de M. B... sont rejetés.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'Ordre national de la Légion d'honneur au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au Premier ministre et à l'Ordre national de la Légion d'honneur.