Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 juillet et 2 octobre 2023 et 8 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) de vérifier si des techniques de renseignement ont été irrégulièrement mises en œuvre à son égard ;
2°) en cas d'irrégularité, de l'informer qu'une illégalité a été commise, d'annuler toute autorisation de mise en œuvre d'une technique de renseignement illégale et d'ordonner la destruction de tout renseignement illégalement collecté à son encontre ;
3°) mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la SCP Zribi, Texier, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 ;
- la décision n° 2015-713 DC du Conseil constitutionnel du 23 juillet 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une séance à huis-clos, d'une part, M. A... et la SCP Zribi, Texier, son avocat, et, d'autre part, le Premier ministre et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui ont été mis à même de prendre la parole avant les conclusions ;
Et après avoir entendu en séance :
- le rapport de Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat,
- et, hors la présence des parties, les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a saisi la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement afin de vérifier qu'aucune technique de renseignement n'était irrégulièrement mise en œuvre à son égard. Par lettre du 19 décembre 2022, le président de la Commission l'a informé qu'il avait été procédé à l'ensemble des vérifications requises. M. A... demande au Conseil d'Etat de vérifier si des techniques de renseignement ont été mises en œuvre pour le surveiller.
Sur le cadre juridique :
2. D'une part, en application de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure : " Pour le seul exercice de leurs missions respectives, les services spécialisés de renseignement peuvent recourir aux techniques mentionnées au titre V du présent livre pour le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation suivants : / 1° L'indépendance nationale, l'intégrité du territoire et la défense nationale ; / 2° Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l'exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d'ingérence étrangère ; / 3° Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ; / 4° La prévention du terrorisme ; / 5° La prévention : / a) Des atteintes à la forme républicaine des institutions ; / b) Des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous en application de l'article L. 212-1 ; / c) Des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ; / 6° La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ; / 7° La prévention de la prolifération des armes de destruction massive ". Parmi les techniques de renseignement susceptibles d'être mises en œuvre, figurent les accès administratifs aux données de connexion prévus aux articles L. 851-1 à L. 851-7 du même code.
3. En vertu des articles L. 821-1 à L. 821-8 du code de la sécurité intérieure, la mise en œuvre des techniques de renseignement, y compris, le cas échéant, leur renouvellement, est soumise à l'autorisation préalable du Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, laquelle contrôle notamment le respect du principe de proportionnalité de l'atteinte à la vie privée qu'entrainent ces techniques, en vertu de l'article L. 801-1 du code. Lorsque l'autorisation est délivrée après avis défavorable de la Commission, le Conseil d'État est immédiatement saisi et statue dans un délai de vingt-quatre heures et la décision d'autorisation du Premier ministre ne peut être exécutée avant que le Conseil d'État ait statué, sauf en cas d'urgence dûment justifiée lorsque le Premier ministre a ordonné sa mise en œuvre immédiate. L'autorisation, qui est délivrée sur demande écrite et motivée du ministre de la défense, du ministre de l'intérieur ou des ministres chargés de l'économie, du budget ou des douanes, l'est pour une durée maximale de quatre mois. Enfin, l'article L. 822-2 du code précise les délais dans lesquels les renseignements collectés doivent être détruits.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 833-1 du même code : " La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement veille à ce que les techniques de recueil de renseignement soient mises en œuvre sur le territoire national conformément au présent livre ". L'article L. 833-4 du même code précise que : " De sa propre initiative ou lorsqu'elle est saisie d'une réclamation de toute personne souhaitant vérifier qu'aucune technique de renseignement n'est irrégulièrement mise en œuvre à son égard, la commission procède au contrôle de la ou des techniques invoquées en vue de vérifier qu'elles ont été ou sont mises en œuvre dans le respect du présent livre. Elle notifie à l'auteur de la réclamation qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires, sans confirmer ni infirmer leur mise en œuvre ".
5. L'article L. 841-1 du code de la sécurité intérieure dispose que : " Sous réserve des dispositions particulières prévues à l'article L. 854-9 du présent code, le Conseil d'Etat est compétent pour connaître, dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative, des requêtes concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement mentionnées au titre V du présent livre. / Il peut être saisi par : / 1° Toute personne souhaitant vérifier qu'aucune technique de renseignement n'est irrégulièrement mise en œuvre à son égard et justifiant de la mise en œuvre préalable de la procédure prévue à l'article L. 833-4 (...) ". Ces dispositions s'appliquent aux techniques de renseignement mises en œuvre à compter de la date de leur entrée en vigueur, y compris celles qui, initiées avant cette date, ont continué à être mises en œuvre après.
6. Aux termes de l'article L. 773-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat examine les requêtes présentées sur le fondement des articles L. 841-1 et L. 841-2 du code de la sécurité intérieure conformément aux règles générales du présent code, sous réserve des dispositions particulières du présent chapitre ". Aux termes de l'article L. 773-2 du même code : " Sous réserve de l'inscription à un rôle de l'assemblée du contentieux ou de la section du contentieux qui siègent alors dans une formation restreinte, les affaires relevant du présent chapitre sont portées devant une formation spécialisée (...). Dans le cadre de l'instruction de la requête, les membres de la formation de jugement et le rapporteur public sont autorisés à connaître de l'ensemble des pièces en possession de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ou des services mentionnés à l'article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure et ceux désignés par le décret en Conseil d'Etat mentionné à l'article L. 811-4 du même code et utiles à l'exercice de leur office, y compris celles protégées au titre de l'article 413-9 du code pénal ". Aux termes de l'article L. 773-3 du même code : " Les exigences de la contradiction mentionnées à l'article L. 5 du présent code sont adaptées à celles du secret de la défense nationale (...) /. La formation chargée de l'instruction entend les parties séparément lorsqu'est en cause le secret de la défense nationale ". Aux termes de l'article L. 773-4 du même code : " Le président de la formation de jugement ordonne le huis-clos lorsque est en cause le secret de la défense nationale ". Aux termes de l'article L. 773-6 du même code : " Lorsque la formation de jugement constate l'absence d'illégalité dans la mise en œuvre d'une technique de recueil de renseignement, la décision indique au requérant ou à la juridiction de renvoi qu'aucune illégalité n'a été commise, sans confirmer ni infirmer la mise en œuvre d'une technique ". Aux termes de l'article L. 773-7 : " Lorsque la formation de jugement constate qu'une technique de recueil de renseignement est ou a été mise en œuvre illégalement ou qu'un renseignement a été conservé illégalement, elle peut annuler l'autorisation et ordonner la destruction des renseignements irrégulièrement collectés. / Sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale, elle informe la personne concernée ou la juridiction de renvoi qu'une illégalité a été commise. Saisie de conclusions en ce sens lors d'une requête concernant la mise en œuvre d'une technique de renseignement ou ultérieurement, elle peut condamner l'Etat à indemniser le préjudice subi (...) ". L'article R. 773-20 du même code précise que : " Le défendeur indique au Conseil d'Etat, au moment du dépôt de ses mémoires et pièces, les passages de ses productions et, le cas échéant, de celles de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui sont protégés par le secret de la défense nationale. / Les mémoires et les pièces jointes produits par le défendeur et, le cas échéant, par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sont communiqués au requérant, à l'exception des passages des mémoires et des pièces qui, soit comportent des informations protégées par le secret de la défense nationale, soit confirment ou infirment la mise en œuvre d'une technique de renseignement à l'égard du requérant, soit divulguent des éléments contenus dans le traitement de données, soit révèlent que le requérant figure ou ne figure pas dans le traitement (...) ". L'article R. 773-24 de ce code prévoit que : " Dans les cas où les débats sont susceptibles de porter sur des informations protégées par le secret de la défense nationale, ou de confirmer ou infirmer la mise en œuvre d'une technique de renseignement à l'égard du requérant, ou de révéler des éléments contenus dans le traitement de données, ou si le requérant figure ou non dans le traitement, le requérant est invité à présenter ses observations avant les conclusions du rapporteur public et, après les avoir formulées, à se retirer. Le défendeur, les représentants de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et les autres personnes présentes se retirent également. / Les conclusions du rapporteur public ne peuvent être ni communiquées au requérant ni publiées. (...) ".
7. Il appartient à la formation spécialisée, créée par l'article L. 773-2 du code de justice administrative, saisie de conclusions tendant à ce qu'elle s'assure qu'aucune technique de renseignement n'est irrégulièrement mise en œuvre à l'égard du requérant, de vérifier, au vu des éléments qui lui ont été communiqués hors la procédure contradictoire, si le requérant fait ou non l'objet d'une telle technique. Lorsqu'il apparaît soit qu'aucune technique de renseignement n'est mise en œuvre à l'égard du requérant, soit que cette mise en œuvre n'est entachée d'aucune illégalité, la formation de jugement informe le requérant de l'accomplissement de ces vérifications, sans indiquer si une technique de recueil de renseignement a été mise en œuvre à son égard. Dans le cas où une technique de renseignement est mise en œuvre dans des conditions entachées d'illégalité, elle en informe le requérant, sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Elle peut, par ailleurs, annuler l'autorisation et ordonner la destruction des renseignements irrégulièrement collectés.
Sur la demande de M. A... :
8. En premier lieu, les techniques de renseignement prévues aux articles L. 851-1 à L. 851-7 du code de la sécurité intérieure sont mises en œuvre dans les conditions et avec les garanties rappelées aux points 3 à 7 et pour les finalités énumérées à l'article L. 811-3 citées au point 2, dont les dispositions doivent être combinées avec celles de l'article L. 801-1, dont il résulte que les atteintes au droit au respect de la vie privée doivent, sous l'entier contrôle de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et du Conseil d'État, être proportionnées à l'objectif poursuivi. Contrairement à ce qui est allégué, les règles encadrant les données de connexion concernées, ainsi que les finalités susceptibles d'être poursuivies, qui relèvent de la défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation, ont été définies avec suffisamment de précision par le législateur. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que ces dispositions législatives méconnaitraient le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale.
9. En deuxième lieu, les conditions, décrites notamment aux points 4 à 7, dans lesquelles la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement exerce sa mission de contrôle et la formation spécialisée remplit son office juridictionnel ne portent pas, contrairement à ce qui est soutenu, une atteinte excessive au caractère contradictoire de la procédure et à l'égalité des armes garantis notamment par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les dérogations apportées, par les dispositions de l'article R. 773-20 et, en tout état de cause, de l'article R. 773-24 du code de justice administrative, au caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle, qui a pour seul objet de porter à la connaissance des juges des éléments couverts par le secret de la défense nationale et qui ne peuvent, dès lors, être communiqués au requérant alors même qu'il allèguerait savoir avoir fait l'objet d'une surveillance administrative, permet à la formation spécialisée, qui entend les parties, de statuer en toute connaissance de cause. Les pouvoirs dont elle est investie, pour instruire les requêtes, relever d'office toutes les illégalités qu'elle constate et enjoindre à l'administration de prendre toutes mesures utiles afin de remédier aux illégalités constatées garantissent l'effectivité du contrôle juridictionnel qu'elle exerce. Il n'en résulte, par suite, aucune méconnaissance du droit au recours effectif garanti par les stipulations de l'article 13 de la même convention, ni du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de cette convention.
10. En troisième lieu, eu égard, d'une part, aux attributions de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, autorité administrative indépendante à laquelle il appartient de vérifier, sous l'entier contrôle du juge, que les techniques de recueil de renseignement sont mises en œuvre, sur le territoire national, conformément aux exigences découlant du code de la sécurité intérieure, et d'autre part, au recours effectif ouvert, dans les conditions décrites aux points précédents, devant la formation spécialisée du Conseil d'Etat, la seule circonstance que la personne concernée ne reçoit pas notification des mesures de surveillance dont elle est susceptible de faire l'objet n'est, en tout état de cause et par elle-même, pas susceptible de caractériser une méconnaissance des stipulations des articles 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Enfin, la formation spécialisée a examiné, selon les modalités décrites au point 7 et dans les limites de sa compétence portant sur les mesures mises en œuvre sur le territoire national, les éléments fournis par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui a précisé l'ensemble des vérifications auxquelles elle a procédé, et par le Premier ministre. A l'issue de cet examen, il y a lieu de répondre à M. A... que la vérification qu'il a sollicitée a été effectuée et que, n'ayant révélé, en tout état de cause, aucune irrégularité ni illégalité, notamment au regard des dispositions de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle n'appelle aucune mesure de la part du Conseil d'Etat. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : Il a été procédé à la vérification demandée par M. A..., qui n'appelle aucune mesure de la part du Conseil d'Etat.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au Premier ministre.
Copie en sera adressée à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 mars 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président de la formation spécialisée, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 22 mars 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Anne Courrèges
Le secrétaire :
Signé : M. Valéry Cérandon-Merlot