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25/07/2024 | FRANCE | N°495220

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 25 juillet 2024, 495220


Vu la procédure suivante :



Par une requête, enregistrée le 18 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association de défense des libertés fondamentales (ADLF) demande au Conseil d'Etat :



1°) à titre principal, d'annuler sur un moyen de légalité interne l'arrêté du 2 mai 2011 du ministre de l'intérieur relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " fichiers des résidents des zones de sécurité " créés à l'occasion d'un événement majeur, l'arrêté du 3 mai 20

24 du ministre de l'intérieur et des outre-mer modifiant l'arrêté du 2 mai 2011 précité, le communiq...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 18 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association de défense des libertés fondamentales (ADLF) demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler sur un moyen de légalité interne l'arrêté du 2 mai 2011 du ministre de l'intérieur relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " fichiers des résidents des zones de sécurité " créés à l'occasion d'un événement majeur, l'arrêté du 3 mai 2024 du ministre de l'intérieur et des outre-mer modifiant l'arrêté du 2 mai 2011 précité, le communiqué de presse du 10 mai 2024 du préfet de police de Paris mettant en ligne la plateforme de délivrance du laissez-passer numérique " pass jeux " dans le cadre des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, l'arrêté n° 2024-00707 du 28 mai 2024 du préfet de police de Paris instituant des périmètres de sécurité et de protection et fixant différentes mesures de police à Paris en vue de la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de Paris, la décision de rejet de sa demande d'annulation des arrêtés du 2 mai 2011 et du 3 mai 2024 précités, le tableau des justificatifs nécessaires pour accéder aux zones réglementées, ainsi que l'annexe 5 de l'arrêté du 28 mai 2024 précité ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler les mêmes actes et décisions ;

3°) d'enjoindre au Premier ministre de mettre fin dans les plus brefs délais au " pass jeux " dans tous les lieux où celui-ci est applicable dans le cadre des dispositions attaquées, de procéder à la suppression des données collectées sans base légale avant l'arrêté du 28 mai 2024, de préciser les conditions de réalisation des enquêtes administratives, à défaut de les supprimer, de mettre en œuvre une analyse d'impact sur le " pass jeux " et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les dispositions contestées :

- méconnaissent les articles 34 et 37 de la Constitution ;

- méconnaissent l'article 21 de la Constitution en ce que, d'une part, elles n'ont pas été adoptées par le Premier ministre et, d'autre part, elles ont été adoptées en l'absence d'habilitation expresse du législateur ;

- sont entachées d'erreur de droit dès lors qu'aucune analyse d'impact n'a été réalisée sur le dispositif du " pass jeux ", en méconnaissance de l'article 35.1 du règlement général relatif à la protection des données (RGPD) ;

- sont entachées d'erreur de droit en ce qu'elles méconnaissent l'article 5 du RGPD ;

- sont entachées de détournement de pouvoir dès lors notamment qu'elles instaurent une généralisation du contrôle administratif à l'ensemble de la population ;

- instaurent une rupture d'égalité devant la loi tirée, en premier lieu, de la fracture numérique, en deuxième lieu, de la situation géographique et, en dernier lieu, de la différence de situation ;

- portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale dès lors que, en premier lieu, les données collectées sont extrêmement nombreuses et intrusives, en deuxième lieu, la période de conservation des données, qui s'étend jusqu'au 3 décembre 2024, est trop longue, en troisième lieu, les autorités chargées de mettre en œuvre le dispositif du " pass jeux " sont trop nombreuses et, en dernier lieu, la zone géographique d'application du dispositif est trop large ;

- portent une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir ;

- portent atteinte au droit au recours effectif et aux droits de la défense dès lors que le " pass jeux " n'offre pas la possibilité de se déplacer dans une zone visée par le périmètre de sécurité afin de rencontrer un avocat ;

- sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la requête est irrecevable et que les moyens soulevés ne sont, en tout état de cause, pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE ;

- la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 ;

- l'ordonnance n° 2022-207 du 20 mars 2019 ;

- le décret n° 2019-536 du 29 mai 2019 ;

- le décret n° 2021-1397 du 27 octobre 2021 ;

- le décret n° 2024-431 du 14 mai 2024 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. L'Association de défense des libertés fondamentales (ADLF) demande au Conseil d'Etat d'annuler, d'une part, l'arrêté du 2 mai 2011 du ministre l'intérieur relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " fichiers des résidents des zones de sécurité " créés à l'occasion d'un événement majeur, l'arrêté modificatif du 3 mai 2024 et la décision de rejet de sa demande d'annulation de ces deux arrêtés, d'autre part, le communiqué de presse du 10 mai 2024 du préfet de police de Paris mettant en ligne la plateforme de délivrance du laissez-passer numérique " pass jeux " dans le cadre des jeux Olympiques et Paralympiques 2024, l'arrêté n° 2024-00707 du 28 mai 2024 du préfet de police de Paris instituant des périmètres de sécurité et de protection et fixant différentes mesures de police à Paris en vue de la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de Paris, y compris son annexe 5, ainsi que le tableau des justificatifs nécessaires pour accéder aux périmètres bleus et rouges pendant les jeux Olympiques, en dehors de la cérémonie d'ouverture.

2. Il ressort des pièces du dossier que les arrêtés ministériels attaqués sont des textes à vocation pérenne et de portée générale, et que les décisions du préfet de police attaquées ne portent que sur les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Parmi ces dernières, d'une part, l'arrêté du 28 mai 2024, y compris son annexe 5, ne traite que de la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques ; d'autre part, le tableau des justificatifs nécessaires pour accéder aux périmètres bleus et rouges pendant les jeux Olympiques, qui constitue l'annexe 2 de l'arrêté n° 2024-00894 du 2 juillet 2024 du préfet de police réglementant la circulation, le stationnement et les permis de stationnement sur les voies réservées, les voies de délestage et les voies concourantes parisiennes du 1er juillet au 15 septembre 2024, ne porte que sur les possibilités de circulation des véhicules à moteur, hors cérémonie d'ouverture, dans les zones rouges et les périmètres rouges des épreuves sur route ; enfin, le communiqué de presse du 10 mai 2024 porte sur la mise en place de la plateforme numérique de délivrance des laissez-passer numériques appelés " pass jeux " nécessaires, d'une part, pour accéder au périmètre le plus sécurisé, dit périmètre gris, de la cérémonie d'ouverture, d'autre part, aux zones rouges des sites de compétition et périmètre rouges des épreuves sur route.

Sur la recevabilité de certaines conclusions aux fins d'annulation :

3. D'une part, le délai de recours contentieux contre l'arrêté du 2 mai 2011 du ministre l'intérieur relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " fichiers des résidents des zones de sécurité " créés à l'occasion d'un événement majeur est expiré, y compris dans sa version antérieure à l'adoption de l'arrêté du 3 mai 2024, issue en dernier lieu de l'adoption de l'arrêté du 29 avril 2019. Par suite, les conclusions aux fins d'annulation de cet arrêté sont irrecevables.

4. D'autre part, à supposer même que le courrier adressé par l'ADLF au ministre de l'intérieur et des outre-mer le 18 juin 2024 puisse être interprété comme une demande d'abrogation de l'arrêté du 2 mai 2011, les conclusions dirigées contre le refus de faire droit à une telle demande sont, à la date de la présente décision, irrecevables, en l'absence de décision explicite ou implicite de refus.

Sur le cadre juridique :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure : " Sont désignés par décret les grands événements (...) exposés à un risque d'actes de terrorisme en raison de leur nature et de l'ampleur de leur fréquentation. Ce décret désigne également les établissements et les installations qui les accueillent ainsi que leur organisateur. / L'accès de toute personne, à un autre titre que celui de spectateur, à tout ou partie des établissements et des installations désignés par le décret mentionné au premier alinéa est soumis, pendant la durée de l'événement (...) et de leur préparation, à une autorisation de l'organisateur délivrée sur avis conforme de l'autorité administrative. Cette autorité administrative rend son avis à la suite d'une enquête administrative qui peut donner lieu à la consultation, selon les règles propres à chacun d'eux du bulletin no 2 du casier judiciaire et de certains traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l'article 31 de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, à l'exception des fichiers d'identification. Un avis défavorable ne peut être émis que s'il ressort de l'enquête administrative que le comportement ou les agissements de la personne sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État. / Un décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés fixe les modalités d'application du présent article, notamment la liste des fichiers mentionnés au deuxième alinéa pouvant faire l'objet d'une consultation, les catégories de personnes concernées et les garanties d'information ouvertes à ces personnes ". L'article R. 211-32 du même code dispose : " Avant d'autoriser l'accès d'une personne physique à un autre titre que celui de spectateur à tout ou partie des établissements et des installations mentionnés à l'article L. 211 -11-1, l'organisateur saisit par écrit, pour avis conforme, selon le lieu de déroulement ou l'importance de l'événement ou du rassemblement, le ministre de l'intérieur, le préfet de département, à Paris le préfet de police ou dans le département des Bouches du Rhône le préfet de police des Bouches-du-Rhône. / (...) / Le décret prévu au premier alinéa de l'article L. 211-11-1 précise, parmi les autorités mentionnées au premier alinéa, celle compétente pour rendre l'avis. (...) / L'avis est rendu à la suite d'une enquête administrative, diligentée par le ministre de l'intérieur à la demande de l'autorité administrative saisie par l'organisateur. L'enquête est destinée à vérifier que le comportement ou les agissements de la personne ne sont pas de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État. / (...) / Seul le sens de l'avis est transmis à l'organisateur ". Le même article énumère également les treize traitements automatisés de données à caractère personnel, outre le bulletin n° 2 du casier judiciaire, susceptibles d'être consultés dans le cadre de l'enquête administrative, selon les règles propres à chaque traitement et dans la seule mesure où elles le permettent.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés : " I - Sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État et : / Qui intéressent la sûreté de l'État, la défense ou la sécurité publique ; / Ou qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté. / L'avis de la commission est publié avec l'arrêté autorisant le traitement. / (...) / IV - Pour l'application du présent article, les traitements qui répondent à une même finalité, portent sur des catégories de données identiques et ont les mêmes destinataires ou catégories de destinataires peuvent être autorisés par un acte réglementaire unique. Dans ce cas, le responsable de chaque traitement adresse à la commission un engagement de conformité de celui-ci à la description figurant dans l'autorisation ".

7. En troisième lieu, l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure dispose : " Afin d'assurer la sécurité d'un lieu ou d'un événement exposé à un risque d'actes de terrorisme à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation, le représentant de l'État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut instituer par arrêté motivé un périmètre de protection au sein duquel l'accès et la circulation des personnes sont réglementés. / (...) / L'arrêté définit ce périmètre, limité aux lieux exposés à la menace et à leurs abords, ainsi que ses points d'accès. (...). L'arrêté prévoit les règles d'accès et de circulation des personnes dans le périmètre, en les adaptant aux impératifs de leur vie privée, professionnelle et familiale, ainsi que les vérifications, parmi celles mentionnées aux quatrième et sixième alinéas et à l'exclusion de toute autre, auxquelles elles peuvent être soumises pour y accéder ou y circuler, et les catégories d'agents habilités à procéder à ces vérifications. / L'arrêté peut autoriser les agents mentionnés aux 2o à 4o de l'article 16 du code de procédure pénale et, sous la responsabilité et le contrôle effectif de ces agents, ceux mentionnés à l'article 20 et aux 1o, 1o bis et 1o ter de l'article 21 du même code à procéder, au sein du périmètre de protection, avec le consentement des personnes faisant l'objet de ces vérifications, à des palpations de sécurité ainsi qu'à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages. (...) / (...) / Lorsque, compte tenu de la configuration des lieux, des véhicules sont susceptibles de pénétrer au sein de ce périmètre, l'arrêté peut également en subordonner l'accès à la visite du véhicule, avec le consentement de son conducteur. Ces opérations ne peuvent être accomplies que par les agents mentionnés aux 2o à 4o de l'article 16 du code de procédure pénale et, sous la responsabilité de ces agents, par ceux mentionnés à l'article 20 et aux 1o, 1o bis et 1o ter de l'article 21 du même code. / Les personnes qui refusent de se soumettre, pour accéder ou circuler à l'intérieur de ce périmètre, aux palpations de sécurité, à l'inspection visuelle ou à la fouille de leurs bagages ou à la visite de leur véhicule s'en voient interdire l'accès ou sont reconduites d'office à l'extérieur du périmètre par les agents mentionnés au sixième alinéa du présent article. (...) ".

8. En quatrième et dernier lieu, d'une part, le décret du 27 octobre 2021 portant application de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure aux jeux Olympiques et Paralympiques a désigné ceux-ci en qualité de grand événement et défini les établissements et installations accueillant les épreuves sportives, ainsi que les périodes pendant lesquelles l'accès à ces établissements et installations est soumis à autorisation, d'autre part, le décret du 14 mai 2024 portant application de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure à la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de 2024 a désigné cette cérémonie en qualité de grand événement organisé par le préfet de police, la Ville de Paris et l'association " PARIS 2024-Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques " et défini le périmètre à l'intérieur duquel l'accès aux établissements et installations est soumis à autorisation pendant le déroulement de la cérémonie et sa période de préparation.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 21 de la Constitution et de l'incompétence des auteurs des décisions attaquées :

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7, d'une part, que l'arrêté du 3 mai 2024 attaqué a été compétemment pris par le ministre de l'intérieur sur le fondement du I et du IV de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978, à des fins de protection de la sûreté de l'Etat, de la défense et de la sécurité publique et, d'autre part, que l'arrêté du 28 mai 2024 du préfet de police, qui porte sur la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques qui se déroulera à Paris, a été compétemment pris sur le fondement, notamment, du décret du 14 mai 2024 portant application de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure à la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de 2024 et de l'arrêté du 2 mai 2011 du ministre de l'intérieur.

10. Par ailleurs, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que le tableau attaqué des justificatifs nécessaires pour accéder aux périmètres bleus et rouges pendant les jeux Olympiques, en dehors de la cérémonie d'ouverture, est une annexe de l'arrêté n° 2024-00894 du 2 juillet 2024 du préfet de police. Cet arrêté a été pris sur le fondement de l'article 2 de l'ordonnance du 20 mars 2019 relative aux voies réservées et à la police de la circulation pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, elle-même prise en vertu de l'habilitation résultant de l'article 24 de la loi du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. L'article 2 de l'ordonnance du 20 mars 2019 donne compétence au préfet de police pour prendre un tel arrêté dans la région d'Ile-de-France.

11. Par suite, les moyens tirés, d'une part, de ce que les actes attaqués méconnaîtraient l'article 21 de la Constitution en ce qu'ils n'ont pas été adoptés par le Premier ministre et, d'autre part, auraient été adoptés en l'absence d'habilitation du législateur, doivent être écartés.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des articles 34 et 37 de la Constitution :

12. En dehors des cas et conditions où il est saisi sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, il n'appartient pas au Conseil d'Etat, statuant au contentieux, de se prononcer sur un moyen tiré de la non-conformité de la loi à une norme de valeur constitutionnelle. En l'espèce, le moyen soulevé par l'association requérante tiré de ce que les décisions attaquées, en ce qu'elles relèveraient pour partie du domaine de la loi, méconnaîtraient les articles 34 et 37 de la Constitution, tend à l'appréciation de la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 211-11-1 et L. 226-1 du code de la sécurité intérieure et de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

Sur les moyens tirés de la méconnaissance des articles 5 et 35.1 du RGPD :

13. Il ressort des pièces du dossier que le dispositif " pass jeux " constitue un fichier des résidents de zones de sécurité, au sens et pour l'application de l'arrêté du 2 mai 2011, dont la finalité est de concourir à la prévention des troubles à l'ordre public et à la garantie de la sécurité des événements majeurs que constituent la cérémonie d'ouverture et les épreuves des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. En outre, pour les personnes souhaitant obtenir un " pass jeux " afin d'accéder, à un titre autre que celui de spectateur, aux établissements et installations accueillant les grands événements désignés par les décrets des 27 octobre 2021 et 14 mai 2024 portant application de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure respectivement aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et à la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de 2024, les données à caractère personnel collectées sont également utilisées pour la réalisation de l'enquête administrative préalable à la délivrance du laissez-passer électronique, prévue par les articles L. 211-11-1 et R. 211-32 du code de la sécurité intérieure cités au point 5, permettant de vérifier que le comportement ou les agissements de la personne ne sont pas de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État.

14. Il résulte de ce qui a été dit au point 13 qu'eu égard à son objet et à ses finalités, le dispositif " pass jeux " ne relève pas du règlement général sur la protection des données, mais de la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil. Par suite, l'association requérante ne peut utilement soutenir que le responsable de traitement a méconnu les dispositions de l'article 5 du RGPD traitant des principes relatifs au traitement des données à caractère personnel, ni qu'il aurait dû produire une analyse d'impact sur la protection des données en application de l'article 35.1 du même règlement.

Sur le moyen tiré de l'atteinte disproportionnée portée au droit au respect à la vie privée et familiale :

15. La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 implique le droit au respect de la vie privée, tout comme les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif, ainsi que le rappellent d'ailleurs les articles 4 et 87 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

16. En premier lieu, l'arrêté du 3 mai 2024, qui modifie l'arrêté du 2 mai 2011 relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " fichiers des résidents des zones de sécurité " créés à l'occasion d'un événement majeur, substitue à l'enregistrement de plein droit des catégories de données à caractère personnel et informations mentionnées dans l'arrêté du 2 mai 2011 une simple faculté pour les autorités compétentes qu'il désigne, qu'il ajoute à la liste des données à caractère personnel pouvant être collectées définie par l'arrêté du 2 mai 2011, pour les personnes physiques, une photographie, la copie du titre d'identité et un justificatif du motif d'accès à la zone de sécurité et, pour les véhicules, la copie du certificat d'immatriculation. En deuxième lieu, la durée de conservation des données collectées, déjà limitée par l'arrêté du 2 mai 2011 à trois mois après l'achèvement de l'événement majeur à l'occasion duquel est créé le fichier des résidents des zones de sécurité, est réduite, en ce qui concerne la copie du titre d'identité, à la seule période précédant la délivrance du titre d'accès. En troisième lieu, l'article 4 de l'arrêté du 3 mai 2024 attaqué ajoute aux trois catégories de personnes pouvant avoir accès aux données collectées déjà prévues par l'arrêté du 2 mai 2011, c'est-à-dire les personnes chargées de l'enregistrement des données, des contrôles des accès aux zones de sécurité et de la fabrication des titres d'accès, chacune à raison de ses attributions et dans la limite de son besoin d'en connaître, une quatrième catégorie, uniquement dans le cas où la mise en place d'un fichier des résidents des zones de sécurité coïncide avec l'organisation d'un grand événement au sens de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure. Dans ce cas, l'organisateur du grand événement peut avoir accès aux seules données concernant les personnes soumises à autorisation d'accès de sa part. En dernier lieu, l'article 7 de l'arrêté du 3 mai 2024 attaqué introduit dans l'arrêté du 2 mai 2011 un article 8-1, étendant la possibilité de création de fichiers des résidents des zones de sécurité à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et, à l'exception du dernier alinéa de l'article 4 relatif aux grands événements au sens de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure, à Wallis-et-Futuna et aux Terres australes et antarctiques françaises.

17. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 16 qu'eu égard, notamment, aux finalités de protection de l'ordre public et de la sécurité à l'occasion d'un événement majeur poursuivies lors de la création d'un fichier des résidents des zones de sécurité, à la brièveté de la durée de conservation des données collectées, à l'utilité de l'accès des différentes catégories de personnes autorisées aux données collectées et à la stricte limitation de cet accès à leur seul besoin d'en connaître, le moyen tiré de l'atteinte disproportionnée portée par cet arrêté au droit au respect de la vie privée et familiale doit être écarté.

Sur le moyen tiré de l'atteinte disproportionnée portée à la liberté d'aller et venir :

En ce qui concerne la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de 2024 :

18. Ainsi qu'il a été dit au point 5, les dispositions de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure imposent au pouvoir réglementaire la désignation des établissements et installations qui accueillent un grand événement et dont l'accès est soumis à autorisation. Ces dispositions excluent, en principe, que soient soumis à un tel régime tout autre local que ceux accueillant ces établissements et installations, non plus que les voies publiques permettant d'y accéder.

19. Il ressort cependant des pièces du dossier que la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de 2024 se déroulera le 26 juillet 2024, pendant plusieurs heures, en différents tableaux comprenant un défilé nautique d'une centaine de bateaux sur un parcours de 6 kilomètres environ sur la Seine, allant du pont d'Austerlitz au pont d'Iéna, des spectacles et autres animations festives, ainsi qu'une séquence finale au Trocadéro. Sa préparation, à partir du 18 juillet 2024, notamment le pré-positionnement des bateaux des délégations, s'effectuera en amont du parcours, depuis le niveau du pont Nelson Mandela entre les communes de Charenton le-Pont sur la rive droite et d'Ivry-sur-Seine sur la rive gauche de la Seine. Le débarquement des délégations se réalisera en aval du parcours, entre le pont d'Iéna et le pont du Garigliano. Il en résulte que, dans le cas très particulier de la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de 2024, la Seine elle-même, les voies publiques, et en particulier les quais bas, les quais hauts et les ponts doivent être regardés comme les établissements et installations accueillant ce grand événement au sens et pour l'application de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure.

20. Il ressort également des pièces du dossier que la cérémonie devrait réunir plus de 10 000 athlètes représentant plus de 200 nations, des centaines de chefs d'Etat et de gouvernement, d'artistes et d'autres personnalités, plus de 300 000 spectateurs munis de billets, positionnés sur les quais bas (100 000), les quais hauts (200 000) et certains ponts, 20 000 journalistes et des milliers de bénévoles. En outre, la retransmission de la cérémonie devrait être suivie par plus d'un milliard de téléspectateurs. Cette cérémonie présente ainsi, en raison de sa nature, de sa visibilité internationale, du risque particulier qu'implique notamment la présence de chefs d'Etat et de gouvernement, de l'ampleur attendue de sa fréquentation et de la configuration des lieux qui l'accueillent, un caractère exceptionnel et sans précédent. Dans ces conditions, en estimant que la prévention des actes de terrorisme justifiait, en l'espèce, la définition d'un périmètre incluant les immeubles qui, soit ne sont accessibles qu'en passant par les établissements et installations mentionnés au point 6, soit disposent d'ouvertures donnant un accès visuel à ces établissements et installations, ainsi le cas échéant que les voies et accès les desservant, le pouvoir réglementaire n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 211-11-1.

21. Toutefois, si le dispositif ainsi mis en place permet de soumettre à une autorisation et à une enquête administrative préalable les personnes souhaitant accéder, à un titre autre que celui de spectateur, au périmètre défini par le décret attaqué, la délivrance d'une telle autorisation est de droit pour les personnes qui résident ou travaillent habituellement dans ce périmètre et qui en font la demande. Il appartient à l'autorité administrative compétente, s'il apparaît que le comportement ou les agissements d'une de ces personnes pourrait être de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État, de prendre, le cas échéant, des mesures de police administrative sur le fondement des textes l'y autorisant, notamment celles prévues au titre II du livre II du code de la sécurité intérieure, ou, si les conditions sont remplies, d'engager une procédure judiciaire.

22. Sous la condition posée au point 21 et eu égard aux enjeux et aux risques exposés au point 20, l'arrêté du 28 mai 2024, y compris son annexe 5, ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir des personnes soumises à la procédure d'autorisation d'accès. Il en va de même, en tout état de cause, pour le communiqué de presse du préfet de police du 10 mai 2024, en tant qu'il prévoit la mise en place du dispositif " pass jeux " pour la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de 2024.

En ce qui concerne la circulation dans les zones bleues et rouges en dehors de la cérémonie d'ouverture :

23. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'intérieur des zones bleues et rouges, la circulation des piétons, des cyclistes et des trottinettes est libre, que, sauf exception, la circulation des véhicules à moteur est possible dans les zones bleues, sans autorisation, et que, sauf exception, la circulation de ces véhicules n'est possible dans les zones rouges et dans les périmètres rouges des épreuves sur route lorsqu'ils sont activés qu'avec un " pass jeux ", qui ne peut être délivré que pour l'un des motifs énumérés dans le tableau des modalités d'accès et de circulation dans les périmètres bleus et rouges.

24. Il résulte de ce qui a été dit au point 23 qu'eu égard, premièrement, à la finalité de la mise en place des zones bleues et rouges, qui est de permettre la circulation en sécurité des athlètes, des délégations, des spectateurs et autres piétons et la déviation sécurisée de la circulation motorisée, deuxièmement, au fait que la circulation des piétons et des cyclistes n'est soumise à aucune restriction, ni autorisation dans ces zones, que la circulation des véhicules est possible en zone bleue et qu'elle reste possible en zone rouge en cas de motif légitime, défini dans le tableau attaqué, troisièmement que ces zones ne seront activées que deux heures et demi avant le début des épreuves et jusqu'à une heure après leur achèvement, la régulation de la circulation automobile et le dispositif de " pass jeux " mis en place ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir des personnes soumises à la procédure d'autorisation d'accès.

Sur les autres moyens de la requête :

25. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les difficultés liées à la fracture numérique et à l'éloignement de certains demandeurs ont été pris en compte dans la conception du dispositif " pass jeux ", le préfet de police ayant, en lien avec la maire de Paris, prévu deux modalités de présentation des demandes de " pass jeux ", soit de façon dématérialisée sur la plateforme " www.pass-jeux.gouv.fr ", soit auprès des services dédiés des mairies d'arrondissement de Paris. Par ailleurs, au regard de l'objectif de sécurité publique poursuivi, le préfet de police n'était pas tenu de traiter différemment les personnes souhaitant accéder aux zones, établissements et installations protégés et celles ne souhaitant que transiter par ces zones, établissements et installations. Par suite, le moyen tiré de ruptures d'égalité devant la loi induite par le dispositif " pass jeux " ne peut qu'être écarté.

26. En deuxième lieu, il ne saurait être sérieusement soutenu que les restrictions apportées à la circulation, du 18 au 27 juillet 2024, par l'arrêté du 28 mai 2024, du seul fait qu'elles pourraient empêcher certaines personnes, notamment celles qui se verraient refuser un " pass jeux ", de rencontrer leur avocat dans son cabinet si celui-ci se trouve dans la zone concernée, porteraient atteinte au droit au recours effectif ou aux droits de la défense, compte tenu des solutions alternatives susceptibles d'être mises en œuvre.

27. En troisième lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est établi par aucune des circonstances relevées par l'association requérante.

28. En dernier lieu, pour les motifs mentionnés aux points précédents, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation ne peut qu'être écarté.

29. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'Association de défense des libertés fondamentales doit être rejetée, y compris les conclusions qu'elle présente à fin d'injonction et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'Association de défense des libertés fondamentales est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association de défense des libertés fondamentales, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 495220
Date de la décision : 25/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 jui. 2024, n° 495220
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Philippe Bachschmidt
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:495220.20240725
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