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30/07/2024 | FRANCE | N°495201

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 30 juillet 2024, 495201


Vu la procédure suivante :



Le fonds de dotation Apogée, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 19 octobre 2022 par laquelle le préfet de la

Seine-Saint-Denis a suspendu son activité pour une durée de six mois, a produit un mémoire, enregistré le 26 mars 2024 au greffe du tribunal administratif de Montreuil, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.



Par un jugemen

t n° 2218064 du 13 juin 2024, enregistré le 17 juin 2024 au secrétariat du contentieux du C...

Vu la procédure suivante :

Le fonds de dotation Apogée, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 19 octobre 2022 par laquelle le préfet de la

Seine-Saint-Denis a suspendu son activité pour une durée de six mois, a produit un mémoire, enregistré le 26 mars 2024 au greffe du tribunal administratif de Montreuil, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un jugement n° 2218064 du 13 juin 2024, enregistré le 17 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, ce tribunal, avant qu'il soit statué sur la demande fonds de dotation Apogée, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du VII de l'article 140 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ;

- la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat du fonds de dotation Apogée ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du

7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du I de l'article 140 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie : " Le fonds de dotation est une personne morale de droit privé à but non lucratif qui reçoit et gère, en les capitalisant, des biens et droits de toute nature qui lui sont apportés à titre gratuit et irrévocable et utilise les revenus de la capitalisation en vue de la réalisation d'une œuvre ou d'une mission d'intérêt général ou les redistribue pour assister une personne morale à but non lucratif dans l'accomplissement de ses œuvres et de ses missions d'intérêt général. / Le fonds de dotation est créé par une ou plusieurs personnes physiques ou morales pour une durée déterminée ou indéterminée. "

3. Aux termes du premier alinéa du VII de cet article, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : " L'autorité administrative s'assure de la conformité de l'objet du fonds de dotation aux dispositions du I et de la régularité de son fonctionnement. A cette fin, elle peut se faire communiquer tous documents et procéder à toutes investigations utiles. ". Aux termes du quatrième alinéa de ce VII, dans sa rédaction issue de la même loi : " Si l'autorité administrative constate que l'objet du fonds de dotation méconnaît les dispositions du I, que des dysfonctionnements affectent la réalisation de son objet, que l'une de ses activités ne relève pas d'une mission d'intérêt général ou qu'il méconnaît les obligations prévues au deuxième alinéa du VI, elle peut, après une mise en demeure non suivie d'effet dans un délai de deux mois, suspendre, par décision motivée, l'activité du fonds pendant une durée pouvant aller jusqu'à six mois, renouvelable deux fois, et, le cas échéant, saisir l'autorité judiciaire aux fins de sa dissolution. Les décisions de suspension et de levée de suspension font l'objet d'une publication au Journal officiel dans un délai d'un mois. " Enfin, aux termes du dernier alinéa de ce VII : " Les modalités d'application du présent VII sont fixées par décret en Conseil d'Etat. ".

4. A l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision du

19 octobre 2022 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a suspendu son activité pour une durée de six mois en raison d'un dysfonctionnement, que cette autorité a qualifié de grave, résultant du défaut de constitution d'une dotation initiale de 15 000 euros, le fonds de dotation Apogée soutient que les dispositions du quatrième alinéa du VII de l'article 140 de la loi du

4 août 2008, citées au point 3, méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines ainsi que l'étendue de la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution et l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi dans des conditions affectant la liberté d'association et le droit de propriété.

5. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

6. La mesure de suspension temporaire, pour une durée de six mois, renouvelable deux fois, de l'activité d'un fonds de dotation, que les dispositions contestées du quatrième alinéa du VII de l'article 140 de la loi du 4 août 2008 citées au point 3 autorisent l'autorité administrative à prononcer, a pour finalité d'éviter, dans l'attente, le cas échéant, d'une dissolution judiciaire, la poursuite de l'activité de fonds de dotation dont l'objet serait contraire à la loi, qui connaitraient des dysfonctionnements affectant la réalisation de leur objet, dont l'activité ne relèverait pas d'une mission d'intérêt général ou qui méconnaitraient certaines obligations légales. Elle constitue dès lors une mesure de police administrative, et non une sanction ayant le caractère d'une punition. Par suite, le fonds de dotation requérant ne peut utilement contester ces dispositions au regard du principe de légalité des délits et des peines.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 34 de la Constitution : " (...) La loi détermine les principes fondamentaux : / (...) - du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ; / (...) ". La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. De même, si l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article

61-1 de la Constitution.

8. En autorisant l'autorité administrative à suspendre l'activité d'un fonds de dotation lorsque " des dysfonctionnements affectent la réalisation de son objet ", le législateur a défini avec une précision suffisante les cas dans lesquels une telle suspension peut être prononcée. Si, comme le fait valoir le requérant, la loi renvoie au pouvoir réglementaire la fixation des modalités d'application de ces dispositions, elle a toutefois encadré suffisamment ce renvoi dès lors que l'existence d'un dysfonctionnement doit nécessairement s'apprécier au regard des règles de fonctionnement du fonds, dont il n'est pas contesté qu'elles sont déterminées avec précision par l'article 140 de la loi du 4 août 2008. Les dispositions contestées ajoutent, au demeurant, que seuls les dysfonctionnements qui affectent la réalisation de l'objet du fonds peuvent conduire à la suspension de son activité. Par suite, les griefs tirés d'une méconnaissance par le législateur de l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution et de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne peuvent qu'être écartés.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Montreuil.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au fonds de dotation Apogée, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au Conseil Constitutionnel, au Premier ministre ainsi qu'au tribunal administratif de Montreuil.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,

Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge,

Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire, M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes et M. Bastien Lignereux, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 30 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Bastien Lignereux

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 495201
Date de la décision : 30/07/2024
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 30 jui. 2024, n° 495201
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bastien Lignereux
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP DELAMARRE, JEHANNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 01/08/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:495201.20240730
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