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12/09/2024 | FRANCE | N°488328

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 12 septembre 2024, 488328


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1802835 du 5 novembre 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 19NT04896 du 27 mai 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusi

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Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1802835 du 5 novembre 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19NT04896 du 27 mai 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles M. B... a été assujetti au titre de l'année 2014, ainsi que des pénalités correspondantes, et, en son article 2, a rejeté le surplus des conclusions de l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

Par une décision n°454288 du 31 mai 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, sur le pourvoi de M. B..., annulé l'article 2 de cet arrêt et, dans cette mesure, renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nantes.

Par un arrêt n°22NT01702 du 18 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête à hauteur d'un dégrèvement d'impôt sur le revenu intervenu en cours d'instance au titre de l'année 2013, ainsi que des pénalités correspondantes, a rejeté le surplus des conclusions de l'appel formé par M. B... contre le jugement du 5 novembre 2019.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 septembre et 18 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Guermonprez-Tanner, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... est associé de la société à responsabilité limitée (SARL) CVA Europe Holding. Il a apporté à cette société, le 2 avril 2013, 500 parts de la société CV Associés Engineering et a reçu en contrepartie 72 728 nouvelles parts de la société CVA Europe Holding, d'une valeur nominale de 10 euros, ainsi qu'une soulte de 72 720 euros. Il a également apporté à cette société, le 15 novembre 2013, 20 000 parts de la société CV Associés et a reçu en contrepartie 34 910 nouvelles parts de la société CVA Europe Holding, également d'une valeur nominale de 10 euros, ainsi qu'une soulte de 34 900 euros. Les soultes ont été inscrites au crédit du compte courant d'associé de M. B... dans les écritures de la société CVA Europe Holding. Ces soultes étant inférieures à 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de chacun des apports, M. B... a estimé pouvoir placer les plus-values réalisées à l'occasion de ces apports, y compris les soultes, sous le régime du report d'imposition prévu par l'article 150-0 B ter du code général des impôts. L'administration a toutefois estimé que la rémunération des apports au moyen de soultes était constitutive, en l'espèce, d'un abus de droit et a soumis les sommes en cause à l'impôt sur le revenu entre les mains de M. B... dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ainsi qu'aux prélèvements sociaux sur les produits de placement au titre de l'année 2013 pour la première de ces soultes et de l'année 2014 pour la seconde. Elle a assorti ces impositions supplémentaires de la majoration de 80 pourcents pour abus de droit prévue au b de l'article 1729 du code général des impôts. M. B... se pourvoit en cassation contre l'article 2 de l'arrêt du 18 juillet 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat et après avoir constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur ses demandes à hauteur d'un dégrèvement intervenu en cours d'instance au titre de l'année 2013, a rejeté le surplus des conclusions de l'appel qu'il avait formé contre le jugement du 5 novembre 2019 du tribunal administratif d'Orléans ayant, en ce qui concerne cette même année, rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge ainsi que des pénalités correspondantes.

2. En faisant droit à la demande de l'administration tendant à ce que soient substituées aux dispositions du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts celles de l'article 150-0 B ter du même code, alors que ces dernières ne prévoient qu'un mécanisme de report d'imposition et ne sauraient dès lors fonder l'assujettissement de la plus-value en litige à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières, la cour administrative d'appel a méconnu le champ d'application de la loi. Par suite, M. B... est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de l'article 2 de l'arrêt qu'il attaque.

3. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

4. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ".

5. Aux termes du I de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa rédaction issue du B du I de l'article 18 de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 : " L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170. Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 pourcents de la valeur nominale des titres reçus. (...) ".

6. En instituant un mécanisme de report d'imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échange de titres en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value constatée à l'occasion d'une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Si, dans la version du texte applicable au litige, le report d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 pourcents de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport, le but ainsi poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans ce cas, l'administration est fondée, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, à considérer qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées.

7. Il résulte de l'instruction que les soultes en litige ne pouvaient être regardées comme ayant été stipulées dans l'intérêt économique de la société bénéficiaire de l'apport dans le but de permettre le dénouement de l'opération, que cette dernière ne disposait pas des liquidités nécessaires pour procéder aux remboursements de la totalité des sommes inscrites à ce titre au crédit du compte courant d'associé de M. B... et que ces remboursements avaient été effectués au moyen des dividendes qui lui avaient été versés, sous le bénéfice du régime des sociétés mères, par les sociétés dont les titres lui avaient été apportés par ce dernier.

8. Par suite et alors même que les opérations d'apport n'étaient pas elles-mêmes constitutives d'abus de droit, l'administration doit être regardée comme établissant que le versement des soultes litigieuses, caractérisant en l'espèce une appréhension par M. B..., en franchise immédiate d'impôt, des liquidités des sociétés dont il avait apporté les titres à la société CVA Europe Holding, qu'il contrôlait, au travers du versement de dividendes par les premières à cette dernière, poursuivait un but exclusivement fiscal consistant à rechercher le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et était ainsi constitutif d'un abus de droit.

9. Toutefois, dans la mesure où l'administration n'a pas regardé comme constitutive d'un abus de droit l'opération d'apport elle-même mais seulement le choix de rémunérer l'apport au moyen d'une soulte, la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit doit avoir pour seule conséquence la remise en cause, à concurrence du montant de la soulte, du bénéfice du report d'imposition de la plus-value d'apport et la soumission immédiate de celle-ci à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales sur les revenus de patrimoine. Il en résulte que les sommes en litiges ne pouvaient légalement être soumises à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers et aux contributions sociales sur les produits de placement.

10. L'administration peut, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition, sous réserve que cette substitution n'ait pas pour effet de priver le contribuable des garanties de procédures attachées à la nouvelle base légale.

11. En l'espèce, le ministre demande de substituer à la base légale erronée du 2° de l'article 109 du code général des impôts les dispositions du 1 du I de l'article 150-0 A du même code permettant de maintenir l'assujettissement des sommes en litige à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des plus-values de valeurs mobilières. Or, il résulte de qui a été dit au point 9 que l'imposition, sur le fondement de ces nouvelles bases légales, des sommes mentionnées à ce point est fondée. Par ailleurs, la substitution demandée ne prive le requérant d'aucune garantie. Il y a lieu en conséquence d'y faire droit.

12. Le ministre formule également une demande de substitution de base légale afin d'assujettir les sommes en litige, initialement soumises aux contributions sociales sur les revenus de placement, aux contributions sociales sur les revenus du patrimoine. Toutefois, dès lors que les contributions sociales sur les revenus du patrimoine constituent des impositions distinctes des contributions sociales sur les revenus de placement, une telle demande ne peut qu'être rejetée.

13. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander, au-delà des sommes dont il a obtenu le dégrèvement en cours d'instance, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôts sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2013. Il est en revanche fondé à demander, au-delà des sommes dont il a obtenu le dégrèvement en cours d'instance, la décharge des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de la même année.

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. B... tendant au versement d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 2 de l'arrêt du 18 juillet 2023 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.

Article 2 : M. B... est déchargé des cotisations supplémentaires de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2013.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. B... est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de M. B... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 488328
Date de la décision : 12/09/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 sep. 2024, n° 488328
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Prévot
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : GUERMONPREZ-TANNER

Origine de la décision
Date de l'import : 19/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:488328.20240912
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