Vu les procédures suivantes :
M. B... F..., M. A... C... et M. E... D... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Besançon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 30 avril 2024 portant déclaration d'intérêt général et valant accord sur déclaration au titre du code de l'environnement de l'arasement du barrage des Pipes, en deuxième lieu, d'enjoindre au préfet du Doubs de faire cesser immédiatement les travaux et, en dernier lieu, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 2401559 du 23 août 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Besançon a, en premier lieu, suspendu l'exécution de l'arrêté du 30 avril 2024 portant déclaration d'intérêt général et valant accord sur déclaration au titre du code de l'environnement de l'arasement du barrage des Pipes, en deuxième lieu, enjoint au préfet du Doubs de faire cesser immédiatement les travaux entrepris sur le barrage des Pipes, en troisième lieu, condamné l'Etat à verser à M. F..., M. C... et M. D... une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions de la demande.
I. Sous le n° 497441, par une requête enregistrée le 2 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'établissement public d'aménagement et de gestion des eaux Doubs Dessoubre demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance du 23 août 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Besançon ;
2°) de rejeter la demande de M. F..., M. C... et M. D... ;
3°) de mettre à la charge de M. F..., M. C... et M. D... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité dès lors qu'il n'a pas disposé d'un délai suffisant pour produire une défense écrite ou organiser sa présence à l'audience, en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- c'est à tort que la juge des référés a estimé qu'il était porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale alors que, en premier lieu, les travaux ne sont pas réalisés sur les propriétés de M. F..., M. C... et M. D... et que, en second lieu, d'une part, le droit fondé en titre dont ils se prévalent n'est pas un droit de propriété dont la méconnaissance constituerait une atteinte à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'autre part, et en tout état de cause, ce droit fondé en titre a disparu en 1897 au moment de la transformation du moulin en logement.
Par des observations, enregistrées le 6 septembre 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires s'associe aux conclusions présentées par l'établissement public d'aménagement et de gestion des eaux Doubs Dessoubre, et soutient en outre que la condition d'urgence requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie en l'espèce.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 septembre 2024, M. F..., M. C... et M. D... concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'établissement public d'aménagement et de gestion des eaux Doubs Dessoubre la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent, d'une part, que les moyens soulevés ne sont pas fondés et, d'autre part, qu'ils sont propriétaires de la moitié du barrage dont l'arasement est autorisé par l'arrêté contesté, cet arasement portant dans ces conditions une atteinte grave et manifestement illégale, non seulement à leur droit d'usage de l'eau fondé en titre, mais aussi à leur droit de propriété sur cet ouvrage.
II. Sous le n° 497630, par une requête enregistrée le 6 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance du 23 août 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Besançon ;
2°) de rejeter la demande de M. F..., M. C... et M. D....
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est insuffisamment motivée dès lors que la juge des référés n'a pas répondu au moyen tiré de la disparition du droit fondé en titre ;
- c'est à tort que la juge des référés a estimé qu'il était porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors que, d'une part, le droit fondé en titre dont ils se prévalent n'est pas un droit de propriété dont la méconnaissance constituerait une atteinte à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, et que, d'autre part, et en tout état de cause, ce droit fondé en titre a disparu en 1897 au moment de la transformation du moulin en logement.
- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que, d'une part, les requérants ont eux-mêmes créé cette urgence en tardant à contester l'arrêté du 30 avril 2024 et que, d'autre part, la poursuite de l'exécution des travaux d'arasement est commandée par l'intérêt public, compte tenu des risques causés par le maintien en l'état des lieux.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 septembre 2024, M. F..., M. C... et M. D... concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent, d'une part, que les moyens soulevés ne sont pas fondés, et, d'autre part, qu'ils sont propriétaires de la moitié du barrage dont l'arasement est autorisé par l'arrêté contesté, cet arasement portant dans ces conditions une atteinte grave et manifestement illégale, non seulement à leur droit d'usage de l'eau fondé en titre, mais aussi à leur droit de propriété sur cet ouvrage.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'énergie ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et l'établissement public d'aménagement et de gestion des eaux Doubs Dessoubre et, d'autre part, M. F..., M. C... et M. D... ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 12 septembre 2024, à 10 heures :
- Me Delamarre, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'établissement public d'aménagement et de gestion des eaux Doubs Dessoubre ;
- les représentants de l'établissement public d'aménagement et de gestion des eaux Doubs Dessoubre ;
- Me Hourdeaux, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. F..., M. C... et M. D... ;
- les représentants de M. F..., M. C... et M. D... ;
- les représentants du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 16 septembre 2024 à 15 heures ;
Vu le mémoire après audience, enregistré le 16 septembre 2024, présenté par l'établissement public d'aménagement et de gestion des eaux Doubs Dessoubre ;
Vu le mémoire après audience, enregistré le 16 septembre 2024, présenté par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sous les n°s 497441 et 497630 ;
Vu le mémoire après audience, enregistré le 16 septembre 2024, présenté par M. B... F..., M. A... C... et M. E... D... sous les n°s 497441 et 497630 ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu'il est possible de prendre de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l'atteinte doit s'apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.
3. Par un arrêté du 30 avril 2024, le préfet du Doubs a accordé à l'établissement public d'aménagement et de gestion des eaux Doubs Dessoubre (EPAGE) une autorisation environnementale pour la réalisation de travaux d'aménagement du barrage des Pipes sur le Cusancin à Baume-les-Dames et a déclaré d'intérêt général les travaux ainsi autorisés, l'arasement de cet ouvrage ayant vocation à permettre la restauration de la continuité piscicole et morphologique du Cusancin. L'EPAGE et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relèvent appel de l'ordonnance du 23 août 2024 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Besançon, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a, faisant droit à la demande de MM. F..., C... et D..., suspendu l'exécution de cet arrêté et enjoint au préfet du Doubs de faire cesser immédiatement les travaux entrepris sur le barrage des Pipes.
4. En premier lieu, sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux. Une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date. La force motrice produite par l'écoulement des eaux courantes ne peut faire l'objet que d'un droit d'usage, et en aucun cas d'un droit de propriété. Il en résulte qu'un droit de prise d'eau fondé en titre, lequel a la nature d'un droit réel immobilier, se perd lorsque la force motrice du cours d'eau n'est plus susceptible d'être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume du cours d'eau. En revanche, ni la circonstance que ces ouvrages n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d'eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit.
5. Il résulte de l'instruction que, sur les parcelles dont sont propriétaires les requérants, a été édifié un ancien moulin à battre le papier, dénommé " Moulin de Sicard ", dont l'existence est matériellement établie à partir du 15ème siècle, notamment par un mémoire historique sur l'abbaye de Baume-les-Dames, l'eau y étant amenée par un bief alimenté par le barrage édifié sur la rivière du Cusancin et que, vers 1893, un atelier de fabrication de pipes y a été installé, disposant des installations hydrauliques de ce moulin. Toutefois, il résulte également de l'instruction que cet atelier a été transféré, en 1896-1897, dans les locaux d'une nouvelle usine de pipes, édifiée sur des parcelles plus en aval de ce bief, que l'ensemble des installations hydrauliques de ce bâtiment ont alors été démantelées, la nouvelle usine disposant de ses propres installations hydrauliques, que le bâtiment du " Moulin de Sicard " a alors été partiellement démoli et réaménagé pour en faire un immeuble d'habitation, destination qu'il a ensuite toujours conservée, et qui était la sienne lorsque M. C..., d'une part, et M. D..., d'autre part, en sont devenus propriétaires, ainsi qu'en attestent le titre de propriété produit par M. C..., datant de 1996, et le compromis de vente produit par M. D..., datant de 2001. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le droit de prise d'eau fondé en titre attaché à ce bâtiment doit être regardé comme ayant été perdu à raison du changement d'affectation de ce bâtiment et de la disparition définitive de l'ensemble de ses installations destinées à utiliser la pente et le volume de l'eau qui en est résulté, et ce antérieurement à son acquisition par les requérants, qui ne peuvent dès lors se prévaloir d'un tel droit, quand bien même par ailleurs le barrage sur le Cusancin et le bief d'alimentation seraient restés, quant à eux, en état. Par suite, en l'état de l'instruction, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et l'EPAGE sont fondés à soutenir que c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif a retenu l'existence du droit de prise d'eau fondé en titre dont se prévalent les requérants. Ils sont dès lors fondés à soutenir que c'est à tort, en tout état de cause, qu'elle en a déduit, pour ce motif, que l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
6. Il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par MM. F..., C... et D... à l'encontre de l'arrêté du 30 avril 2024 du préfet du Doubs.
7. Les requérants soutiennent, en appel, que la rive droite du Cusancin, à l'endroit où prend appui le barrage dont l'arrêté contesté autorise l'arasement, se situe sur la propriété de M. F..., que ce dernier est par conséquent, en vertu des dispositions de l'article L. 215-2 du code de l'environnement, propriétaire pour moitié, à cet endroit, du lit mineur de ce cours d'eau non domanial, qu'il doit par conséquent également être regardé comme propriétaire, pour moitié, du barrage qui y est édifié, et que l'arasement de cet ouvrage porte, dans ces conditions, une atteinte grave et manifestement illégale, outre au droit fondé en titre dont ils se prévalaient déjà en première instance, au droit de propriété de M. F.... Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que, au niveau du barrage, dont au demeurant il n'est pas fait mention dans le titre de propriété des requérants et dont ces derniers n'ont, contrairement à la commune de Baume-les-Dames, jamais assuré l'entretien, la berge constituant la rive droite du Cusancin se situerait sur les parcelles appartenant à M. F.... Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté porterait au droit de propriété de M. F... sur ce barrage une atteinte grave et manifestement illégale ne peut, en tout état de cause, en l'état de l'instruction, qu'être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et l'EPAGE sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée et le rejet de la demande de MM. F..., C... et D....
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat et de l'EPAGE, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, les sommes demandées à ce titre par MM. F..., C... et D... tant en première instance qu'en appel. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de MM. F..., C... et D..., au titre des mêmes dispositions, la somme de 1 000 euros chacun à verser à l'EPAGE.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Besançon du 23 août 2024 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par MM. F..., C... et D... devant le juge des référés du tribunal administratif de Besançon et leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : MM. F..., C... et D... verseront la somme de 1 000 euros chacun à l'EPAGE Doubs Dessoubre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l'établissement public d'aménagement et de gestion des eaux Doubs Dessoubre pour la requête enregistrée sous le n° 497441, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires pour la requête enregistrée sous le n° 497630, et à M. B... F..., M. A... C... et M. E... D....