Vu la procédure suivante :
La fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 13 juillet 2017 de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine portant autorisation de protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines en application des dispositions de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique. Par un jugement n° 1709442 du 29 mai 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 18VE02631 du 17 juin 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la fondation Jérôme Lejeune contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 juillet et 21 octobre 2022 et le 30 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fondation Jérôme Lejeune demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la fondation Jérôme Lejeune et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Agence de la biomédecine ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Yposkesi est un laboratoire pharmaceutique autorisé par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, en vertu de l'article L. 4211-9-1 du code de la santé publique, à assurer la préparation, la conservation, la distribution, la cession, l'importation et l'exportation, dans le cadre des recherches impliquant la personne humaine, définies à l'article L. 1121-1 du même code, des médicaments de thérapie innovante. Par une décision du 13 juillet 2017, la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé cette société (département de thérapie cellulaire) à mettre en œuvre un protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ayant pour finalité l'étude de l'industrialisation de la bio-production et de la qualification de ces cellules pour la création de médicaments de thérapie cellulaire pour permettre, à court terme, l'aboutissement de deux programmes de recherche, également autorisés par l'Agence de la biomédecine en 2010 et 2011, menés par l'Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des maladies monogéniques (I-Stem), portant respectivement sur la production de substituts épidermiques pour le traitement des ulcères cutanés chroniques des patients drépanocytaires (PACE) et sur la production d'épithélium rétinien pigmentaire pour le traitement de la rétinite pigmentaire (STREAM) et, à plus long terme, le traitement de pathologies plus fréquentes telles que la dégénérescence maculaire liée à l'âge et les ulcères diabétiques non-cicatrisants. Par un jugement du 29 mai 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la fondation Jérôme Lejeune tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette autorisation. La fondation Jérôme Lejeune se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 juin 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'elle a formé contre ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 2151-3 du code de la santé publique : " Un embryon humain ne peut être ni conçu, ni constitué par clonage, ni utilisé, à des fins commerciales ou industrielles ". Aux termes de l'article L. 2151-5 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de l'autorisation en litige : " I.- Aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé que si : / 1° La pertinence scientifique de la recherche est établie ; / 2° La recherche, fondamentale ou appliquée, s'inscrit dans une finalité médicale ; / 3° En l'état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ; / 4° Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. / (...) / III.- Les protocoles de recherche sont autorisés par l'Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article sont satisfaites (...) ". Il résulte des dispositions de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique que l'autorisation par l'Agence de la biomédecine d'un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain est subordonnée à la satisfaction de l'ensemble des conditions posées au I de cet article. Chacune de ces conditions est distincte des autres, sa portée devant cependant être appréciée au vu de l'objectif poursuivi par le législateur.
3. En premier lieu, en jugeant, après avoir relevé que le projet de recherche litigieux devait permettre à une société privée habilitée de produire de manière industrielle des médicaments de thérapie innovante, qu'il ne méconnaissait ni les dispositions de l'article L. 2151-3 du code de la santé publique, qui ne sont pas applicables aux cellules souches embryonnaires humaines, ni celles du 2° de l'article L. 2151-5 de ce code, eu égard à la finalité médicale dans laquelle s'inscrit cette recherche, qui, ainsi qu'il a été dit au point 1, vise à mettre au point une chaîne de production à grande échelle de cellules souches embryonnaires humaines en vue du développement de médicaments de thérapie cellulaire pour le traitement d'ulcères cutanés et de pathologies oculaires, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
4. En deuxième lieu, la condition, figurant au 1° du I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, cité au point 2, selon laquelle la pertinence scientifique de la recherche doit être établie, impose que l'utilité d'entreprendre la recherche et sa qualité scientifique, notamment méthodologique, soient établies. En jugeant, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance par l'autorisation litigieuse de ces dispositions, après avoir relevé que le développement des thérapeutiques utilisant des cellules souches pluripotentes était limité par la faible productivité des banques de cellules et que le traitement de maladies répandues nécessitait une industrialisation de la chaîne de production de ces cellules, que le projet présentait une pertinence scientifique sans que l'absence d'essais cliniques concluants ait par elle-même d'incidence sur l'utilité d'entreprendre cette recherche, cette utilité devant s'apprécier au regard des circonstances propres à chaque espèce, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
5. En troisième lieu, il résulte des dispositions du 3° du I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, citées au point 2, qu'il appartient à l'Agence de la biomédecine, lorsqu'elle autorise un protocole de recherche sur l'embryon ou sur les cellules souches embryonnaires humaines, de s'assurer, en prenant en considération l'ensemble des travaux scientifiques existant à la date de sa décision, que cette recherche ne peut, en l'état des connaissances disponibles, être menée sans recourir à des embryons ou des cellules souches embryonnaires, ce qui comporte la vérification du moment et de l'étendue du recours projeté par le protocole à l'embryon humain ou à des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain, ce recours devant être différé et limité autant qu'il demeure scientifiquement pertinent de le faire.
6. En jugeant que l'autorisation litigieuse, que l'Agence de la biomédecine a accordée après avoir estimé que le projet ne pouvait être mené sans recourir à des cellules souches embryonnaires humaines dès lors notamment que l'utilisation clinique de cellules souches pluripotentes induites (iPS) reprogrammées à partir de cellules humaines adultes restait limitée par un certain nombre de défauts majeurs touchant aussi bien le génome que l'épigénome, la reprogrammation génique de ces cellules pouvant avoir de multiples impacts sur leur comportement et induire de nombreuses anomalies génétiques, ne méconnaissait pas les dispositions du 3° du I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, la cour, qui a bien recherché si la nécessité du recours aux cellules souches embryonnaires humaines pouvait être regardée, à la date de l'autorisation litigieuse, comme suffisamment établie au vu des connaissances disponibles, a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis, qu'elle a prises en considération dans leur ensemble, une appréciation souveraine, sans les dénaturer, et n'a pas commis d'erreur de droit.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la fondation requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
8. En application de l'article L. 1418-3 du code de la santé publique, les décisions prises par le directeur général de l'Agence de la biomédecine mentionnées au 10° de l'article L. 1418-1 du même code, qui incluent les décisions d'autorisation d'un protocole de recherche conduit sur les cellules souches embryonnaires humaines, le sont au nom de l'Etat. Par suite, les conclusions de la fondation Jérôme Lejeune tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de cette agence au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont mal dirigées et ne peuvent qu'être rejetées. Ces dispositions font également obstacle à ce que la somme demandée au même titre par l'Agence de la biomédecine lui soit versée.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la fondation Jérôme Lejeune est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'Agence de la biomédecine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la fondation Jérôme Lejeune et à l'Agence de la biomédecine.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 septembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, M. Edouard Geffray et Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.
Rendu le 1er octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber