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16/10/2024 | FRANCE | N°498048

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 16 octobre 2024, 498048


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 21 septembre et les 4 et 9 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des biologistes (SDBIO), les Biologistes médicaux (les Biomed), le Syndicat national des médecins biologistes (SNMB) et le Syndicat des laboratoires de biologie chimique (SLBC) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'ex

écution de la décision du 21 août 2024 du collège des directeurs de l'Union na...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 21 septembre et les 4 et 9 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des biologistes (SDBIO), les Biologistes médicaux (les Biomed), le Syndicat national des médecins biologistes (SNMB) et le Syndicat des laboratoires de biologie chimique (SLBC) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 21 août 2024 du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) relative à la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie ;

2°) de suspendre l'exécution de la décision implicite de non-opposition des ministres en charge de la santé et de la sécurité sociale ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'UNCAM la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, la décision de l'UNCAM porte atteinte aux intérêts financiers de leurs adhérents en baissant les tarifs des laboratoires de biologie médicale et remet en question leur viabilité économique, et, d'autre part, cette décision comporte un risque important pour la santé publique au regard de la fermeture probable de plusieurs sites de prélèvement ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;

- les décisions attaquées sont intervenues au terme d'une procédure irrégulière dès lors que, en premier lieu, la décision des ministres de la santé et de la sécurité sociale de s'opposer ou non à celle du collège de directeurs de l'UNCAM ne relève pas de la gestion des affaires courantes, en deuxième lieu, il n'est pas établi que les conditions de forme et de délai pour la transmission de cette décision aux ministres aient été respectées et, en dernier lieu, le directeur de la sécurité sociale ne justifie pas avoir eu délégation pour prendre la décision de non-opposition au nom des ministres compétents ;

- l'UNCAM ne pouvait tirer sa compétence, pour prendre la décision attaquée, des dispositions de l'article R. 162-52 du code de la sécurité sociale, qui sur ce point méconnaissent celles de son article L. 162-1-7 ;

- à supposer que les dispositions du même article L. 162-1-7 soient interprétées comme donnant compétence à l'UNCAM pour prendre la décision attaquée, celle-ci est alors dépourvue de base légale, les dispositions législatives ainsi interprétées étant contraires à l'article 34 de la Constitution et à l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- la décision du collège des directeurs de l'UNCAM est entachée d'irrégularité en ce que, d'une part, la Haute autorité de santé, le comité de suivi du protocole, la commission de hiérarchisation des actes et prestations de biologie médicale et l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire n'ont pas été consultés préalablement de manière régulière et, d'autre part, elle n'a pas été précédée d'une délibération du conseil des directeurs de l'UNCAM fixant les orientations qu'elle doit mettre en œuvre ;

- elle est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle fait application, dans le silence des dispositions de l'article R. 162-52 du code de la sécurité sociale, de critères d'appréciation dépourvus de fondement légal ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle décide d'une baisse tarifaire uniforme, injustifiée et disproportionnée, notamment au regard de la situation économique des laboratoires de biologie médicale, de nature à porter atteinte à la protection de la santé publique ;

- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle a été adoptée en considération du protocole triennal d'accord entre l'UNCAM et les représentants des biologistes pour la période 2024-2026, lui-même illégal et, en tout état de cause, conclu au vu de données erronées.

Par un mémoire en défense et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 2, 7 et 8 octobre 2024, l'UNCAM conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge, solidairement, du Syndicat des biologistes, des Biologistes médicaux, du Syndicat national des médecins biologistes et du Syndicat des laboratoires de biologie chimique la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2024, la ministre de la santé et de l'accès aux soins déclare s'associer aux conclusions de l'UNCAM.

Par un mémoire distinct, enregistré le 23 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des biologistes et autres demandent, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête, à ce que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale.

Ils soutiennent que ces dispositions sont applicables au litige, qu'elles n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution et que la question revêt un caractère sérieux dès lors que ces dispositions sont entachées d'une incompétence négative emportant par elle-même une atteinte à la liberté d'entreprendre, dont la liberté tarifaire est une composante.

Par un mémoire, enregistré le 1er octobre 2024, la ministre de la santé et de l'accès aux soins soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et en particulier, que la question soulevée n'est pas sérieuse.

Par un mémoire, enregistré le 2 octobre 2024, l'UNCAM soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et en particulier, que la question soulevée n'est pas sérieuse.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le Syndicat des biologistes, les Biologistes Médicaux, le Syndicat national des Médecins biologistes, le Syndicat des laboratoires de biologie clinique et, d'autre part, l'UNCAM et la ministre de la santé et de l'accès aux soins ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 octobre, à 14 heures :

- Me Rousseau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Syndicat des biologistes et autres ;

- les représentants du Syndicat des biologistes et autres ;

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'UNCAM ;

- les représentants de l'UNCAM ;

- les représentants de la ministre de la santé et de l'accès aux soins ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 9 octobre 2024 à 17 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré produite par l'UNCAM, enregistrée le 9 octobre 2024 après la clôture de l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Le Syndicat des biologistes et autres demandent, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 21 août 2024 du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) par laquelle ils ont, notamment, réduit la cotation avec laquelle vingt-cinq actes de biologie médicale figurent sur la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie. Ils demandent également la suspension de l'exécution de la décision implicite par laquelle les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ne se sont pas opposés à celle du collège des directeurs de l'UNCAM. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que par un courrier du 30 août 2024, le directeur de la sécurité sociale a fait part au directeur général de l'UNCAM de l'absence d'opposition ministérielle, la requête doit être regardée, dans cette mesure, comme dirigée contre cette décision expresse. A l'appui de leur requête, le Syndicat des biologistes et autres demandent que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale.

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, dans sa rédaction issue de la loi organique du 10 décembre 2009 : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. L'article 23-3 de la même ordonnance prévoit qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité " peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires " et qu'elle peut statuer " sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions organiques avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge des référés du Conseil d'Etat statuant sur les conclusions à fin de suspension qui lui sont présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 de ce code. Le juge des référés du Conseil d'Etat peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant lui, rejeter de telles conclusions pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence.

5. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

6. Pour justifier de l'urgence de la suspension demandée, les organisations requérantes, qui sont les quatre organisations professionnelles représentatives des biologistes médicaux libéraux, soutiennent que la baisse de cotation de nombreux actes résultant des décisions en litige entraîne pour les entreprises qu'elles représentent une baisse de leur chiffre d'affaires qui, s'ajoutant à la baisse consécutive à de précédentes mesures d'économie, est telle qu'elle met en danger la pérennité de nombreux sites de prélèvement, en particulier ceux ayant un faible volume d'activité ou assurant des prélèvements en urgence, et par suite le maintien sur l'ensemble du territoire d'une offre suffisante pour répondre aux besoins de la santé publique.

7. Toutefois, il résulte de l'instruction que les baisses de cotation en litige sont susceptibles d'entraîner une baisse du chiffre d'affaires global du secteur d'activité de 110 millions d'euros pour l'exercice 2024 au cours duquel elles sont intervenues, et en année pleine de 330 millions d'euros, soit respectivement 2,9 % et 8,7 % des dépenses de ce secteur prises en charge par l'assurance maladie obligatoire et de l'ordre de, respectivement, 1,5 % et 4,5 % de son chiffre d'affaires annuel. D'une part, si une telle baisse, alors que d'autres mesures décidées en 2023 et 2024 ont déjà entraîné une baisse du même ordre de grandeur, représente un effort d'économie non négligeable, cet effort est demandé à un secteur d'activité qui a présenté, au moins jusqu'en 2022, une rentabilité sensiblement supérieure à la moyenne du secteur marchand, et dont il n'est pas démontré que la viabilité économique soit menacée dans son ensemble de manière grave et immédiate. D'autre part, s'il ressort d'une étude produite par les organisations requérantes que pour un nombre significatif de sites de prélèvement, la rentabilité de l'activité appréciée à l'échelle de chaque site pourrait devenir nulle en 2025, ce qui pourrait conduire les entreprises dont dépendent ces sites à les fermer ou à en dégrader l'offre de service, il n'est pas établi, en l'état de l'instruction à la date de la présente ordonnance, que de telles conséquences doivent survenir dans des proportions telles et à si brève échéance qu'elles caractérisent une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution des décisions soit suspendue.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la transmission au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ni sur l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions en litige, que la requête du Syndicat des biologistes et autres doit être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par l'UNCAM.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du Syndicat des biologistes et autres est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'UNCAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au Syndicat des biologistes, premier requérant dénommé, à l'UNCAM et à la ministre de la santé et de l'accès aux soins.

Fait à Paris, le 16 octobre 2024

Signé : Philippe Ranquet


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 498048
Date de la décision : 16/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 oct. 2024, n° 498048
Composition du Tribunal
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU, TAPIE ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:498048.20241016
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