Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 22 mars 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé son admission en France au titre de l'asile et a ordonné son réacheminement vers le Mali ou vers tout pays où il serait légalement admissible. Par un jugement n° 2106140 du 26 mars 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21PA01772 du 10 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 30 mai, 31 août 2023, 22 février et 2 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) subsidiairement, avant dire droit, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la questions préjudicielle suivante : l'article 17 de la Directive 2013/32/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale, en ses alinéas 2 et 5, qui prévoit qu'en cas de recours juridictionnel, le demandeur de protection internationale a un droit d'accès à l'enregistrement de son entretien, lu à la lumière du droit à un procès équitable garanti par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne incluant le principe d'égalité des armes et le droit à la preuve, doit-il être interprété en ce sens qu'il implique que soit versé au dossier l'enregistrement sonore de cet entretien '
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Zribi et Texier, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 31 juillet 2015 relatif aux conditions sécurisées d'accès à l'enregistrement sonore prévu à l'article L. 723-7-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Céline Boniface, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. A... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er octobre 2024, présentée par M. A... ;
Considérant ce qui suit :
Sur l'intervention de l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les personnes étrangères (ANAFE) :
1. L'Association nationale d'assistance aux frontières pour les personnes étrangères justifie, eu égard à la nature et l'objet des questions soulevées par le litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien du pourvoi. Ainsi, son intervention est recevable.
Sur le pourvoi :
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., ressortissant sri-lankais arrivé en France le 21 mars 2021 en provenance du Mali, a sollicité le même jour son admission au séjour au titre de l'asile et a été placé en zone d'attente. Par une décision du 22 mars 2021, prise après avis de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du même jour, le ministre de l'intérieur a estimé que sa demande au titre de l'asile était manifestement infondée et a décidé en conséquence de lui refuser l'entrée sur le territoire français, en prescrivant son réacheminement vers le Mali ou vers tout pays où il serait légalement admissible. Par un jugement du 26 mars 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de cette décision. Celui-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 janvier 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'il avait formé contre ce jugement.
3. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 213-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable au litige : " La décision de refuser l'entrée en France à un étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile ne peut être prise par le ministre chargé de l'immigration que si : / (...) 3° Ou la demande d'asile est manifestement infondée./ Constitue une demande d'asile manifestement infondée une demande qui, au regard des déclarations faites par l'étranger et des documents le cas échéant produits, est manifestement dénuée de pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves./ Sauf dans le cas où l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat, la décision de refus d'entrée ne peut être prise qu'après consultation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui rend son avis dans un délai fixé par voie réglementaire et dans le respect des garanties procédurales prévues au chapitre III du titre II du livre VII. (...) ". Aux termes de l'article L. 213-9 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile et, le cas échéant, d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans les quarante-huit heures suivant la notification de ces décisions, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président, ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de soixante-douze heures à compter de sa saisine ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".
5. Aux termes de l'article L. 723-6 du même code : " L'office convoque, par tout moyen garantissant la confidentialité et la réception personnelle par le demandeur, le demandeur à un entretien personnel. / (...) Le demandeur se présente à l'entretien et répond personnellement aux questions qui lui sont posées par l'agent de l'office. Il est entendu, dans les conditions prévues à l'article L. 741-2-1, dans la langue de son choix ou dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante./ (...) . Un décret en Conseil d'Etat fixe les cas et les conditions dans lesquels l'entretien peut se dérouler par un moyen de communication audiovisuelle pour des raisons tenant à l'éloignement géographique ou à la situation particulière du demandeur ". Aux termes de l'article L. 741-2-1 du même code : " Lors de l'enregistrement de sa demande d'asile, l'étranger est informé des langues dans lesquelles il peut être entendu lors de l'entretien personnel mené par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en application de l'article L. 723-6. Il indique celle dans laquelle il préfère être entendu. Il est informé que ce choix lui est opposable pendant toute la durée d'examen de sa demande, y compris en cas de recours devant la Cour nationale du droit d'asile, et que, à défaut de choix de sa part ou dans le cas où sa demande ne peut être satisfaite, il peut être entendu dans une langue dont il a une connaissance suffisante. Le présent article ne fait pas obstacle à ce que, à tout instant, l'étranger puisse à sa demande être entendu en français. La contestation du choix de la langue de procédure ne peut intervenir qu'à l'occasion du recours devant la Cour nationale du droit d'asile contre la décision de l'office, dans les conditions fixées à l'article L. 733-5. Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat ".
6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que si celles de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 4, relatives à l'assistance d'un interprète, s'appliquent aux modalités de communication des décisions prises en application de l'article L. 213-8-1, qui figure au livre II de la partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elles ne régissent pas la procédure, préalable à ces décisions, de consultation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui est exclusivement régie par les dispositions du chapitre III du titre II du livre VII du code précité. Par suite, en jugeant que M. A... ne pouvait utilement se prévaloir, pour contester la décision de refus qui lui a été opposée sur le fondement de l'article L. 213-8-1 du code précité, de ce que la procédure de consultation de l'OFPRA aurait méconnu les garanties consacrées par l'article L. 111-8 du même code, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit. Si M. A... soutient désormais que l'interprète qui a traduit ses propos lors de cet entretien étant intervenu par téléphone, cette procédure de consultation serait entachée d'irrégularité, ce moyen est toutefois et en tout état de cause nouveau en cassation et, dès lors, inopérant.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 723-7 du même code, alors en vigueur : " I. - L'entretien personnel mené avec le demandeur, ainsi que les observations formulées, font l'objet d'une transcription versée au dossier de l'intéressé. (...) / II. (...) Lorsque l'entretien personnel mené avec le demandeur a fait l'objet d'une transcription et d'un enregistrement sonore, le demandeur ne peut avoir accès à cet enregistrement, dans des conditions sécurisées définies par arrêté du ministre chargé de l'asile, qu'après la notification de la décision négative de l'office sur la demande d'asile et pour les besoins de l'exercice d'un recours contre cette décision. (...) Dans les cas d'un recours exercé en application de l'article L. 213-9, cet accès peut également être rendu possible auprès du tribunal administratif.(...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 31 juillet 2015 pris pour l'application de ces dispositions : " (...) L'étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile a accès à l'enregistrement après la notification de la décision de refus d'entrée visée à l'article L. 213-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et pour les besoins de l'exercice du recours contre cette décision. La demande d'accès est adressée à l'office avant le dépôt du recours et, postérieurement à celui-ci, auprès (...) de la juridiction administrative compétente pour statuer sur les recours visés aux alinéas précédents ". Aux termes de l'article 3 de cet arrêté : " L'enregistrement sonore est accessible dans les locaux de l'office où l'entretien personnel s'est tenu. (...) Lorsque l'office a procédé à l'entretien personnel à distance ou si le demandeur d'asile ou la personne qui a fait l'objet d'une décision de fin de protection est retenu dans un lieu privatif de liberté où l'office ne dispose pas de locaux, l'accès à l'enregistrement a lieu à distance, selon des modalités sécurisées. ", et aux termes de l'article 5 du même arrêté : " Lorsque le tribunal administratif est saisi d'un recours contre une décision de refus d'entrée en France au titre de l'asile en application de l'article L. 213-9 du même code, l'office donne accès à l'enregistrement sonore à distance, selon des modalités sécurisées, sur demande du requérant ou du tribunal. La demande est adressée à l'office par messagerie électronique à l'adresse figurant dans la notification de la décision de refus d'entrée ".
8. Il résulte de ces dispositions que tout demandeur d'asile a le droit d'accéder, sur sa demande, après l'intervention de la décision de refus opposée par le ministre de l'intérieur sur le fondement de l'article L. 213-8-1 précité, à l'enregistrement sonore de son entretien personnel, dès lors qu'il existe, s'il estime en avoir besoin dans le cadre du recours qu'il entend exercer contre cette décision. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, non contesté sur ce point, que l'accès à l'enregistrement de l'entretien de M. A... a été effectif, cet enregistrement ayant été consulté par son conseil dans les locaux de l'office au plus tard le 25 mars 2021. Par suite, en jugeant que le tribunal administratif n'était, dès lors, pas tenu de solliciter et d'attendre la production de cet enregistrement avant de statuer, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. Enfin, la cour a souverainement apprécié la qualité de l'interprétariat et la régularité de la transcription de l'entretien avec l'OFPRA sans dénaturer les pièces du dossier.
9. En dernier lieu, en estimant qu'en raison du manque de précision et de la confusion des propos tenus par le requérant lors de son entretien avec l'agent de l'OFPRA, la décision attaquée du ministre de l'intérieur et des outre-mer refusant à M. A... l'entrée en France n'était pas entachée d'erreur manifeste, la cour a porté sur les faits une appréciation souveraine, exempte de dénaturation et d'erreur de droit.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu, en l'absence de difficulté sérieuse, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que le pourvoi de M. A... doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les personnes étrangères est admise.
Article 2 : Le pourvoi de M. A... est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les personnes étrangères.
Copie en sera adressée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.