Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 14 juin 2023 et les 23 février, 27 juin et 3 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association française des opérateurs de recharge pour véhicules électriques demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 2 juin 2023 relatif à l'encadrement de la contribution au titre du déploiement d'infrastructures collectives de recharge relevant du réseau public de distribution dans les immeubles collectifs à usage principal d'habitation ainsi que l'arrêté du même jour relatif à la définition du taux d'équipement à long terme et de la puissance de référence par point de recharge pour le déploiement d'infrastructures collectives de recharge relevant du réseau public de distribution ;
2°) d'enjoindre à l'Etat de procéder à la récupération de l'aide illégale dont les gestionnaires de réseaux publics de distribution d'électricité auraient bénéficié et de prendre toutes mesures nécessaires au rétablissement d'une égale concurrence entre les opérateurs sur le marché de l'installation des bornes de recharge de véhicules électriques dans les parkings des copropriétés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code de l'énergie ;
- la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 21 janvier 2021 portant décision sur le tarif d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité (TURPE 6 HTA-BT) ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bastien Lignereux, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin, avocat de l'association française des opérateurs de recharge pour véhicules électriques ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées les 25 septembre et 5 novembre 2024, présentées par l'association française des opérateurs de recharge pour véhicules électriques ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 2 juin 2023, la ministre de la transition énergétique et le ministre délégué chargé des transports ont déterminé le taux d'équipement à long terme et la puissance de référence par point de recharge exigés pour le déploiement, par le gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité, d'infrastructures collectives de recharge de véhicules électriques dans les immeubles collectifs à usage principal d'habitation. Par un arrêté du même jour, la ministre de la transition énergétique a fixé l'encadrement de la contribution due par les utilisateurs du réseau public de distribution d'électricité au titre du déploiement de ces infrastructures. L'association française des opérateurs de recharge pour véhicules électriques demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux arrêtés.
Sur le cadre juridique du litige :
En ce qui concerne le gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité :
2. Aux termes de l'article L. 322-8 du code de l'énergie : " (...) un gestionnaire de réseau de distribution d'électricité est, dans sa zone de desserte exclusive, notamment chargé, dans le cadre des cahiers des charges de concession et des règlements de service des régies : / (...) 4° D'assurer, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, le raccordement et l'accès à ces réseaux ; / (...) 6° D'exploiter ces réseaux et d'en assurer l'entretien et la maintenance ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 353-12 du même code : " Lorsque le propriétaire ou, en cas de copropriété, le syndicat des copropriétaires d'un immeuble collectif à usage principal d'habitation doté d'un parc de stationnement à usage privatif décide, au moment de l'installation d'un ou de plusieurs points de recharge, de faire appel au gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité pour installer une infrastructure collective relevant du réseau public d'électricité permettant l'installation ultérieure de points de recharge pour véhicules électriques ou hybrides rechargeables, les contributions dues au titre de cette infrastructure collective peuvent être facturées conformément au présent article. / A condition, par le propriétaire ou le syndicat des copropriétaires, de justifier de la demande d'au moins un devis pour l'installation d'une infrastructure collective de recharge auprès d'un opérateur mentionné au premier alinéa de l'article L. 353-13, les coûts de l'infrastructure collective sont couverts par le tarif d'utilisation des réseaux publics de distribution mentionné à l'article L. 341-2. / Chaque utilisateur qui demande la création d'un ouvrage de branchement individuel alimenté par cette infrastructure collective est redevable d'une contribution au titre de l'infrastructure collective et d'une contribution au titre des ouvrages de branchements individuels. / (...) La convention de raccordement mentionnée à l'article L. 342-9 conclue entre le gestionnaire de réseau et le propriétaire ou le syndicat des copropriétaires précise le montant de ces contributions, les délais d'installation ainsi que les éventuels travaux complémentaires non pris en charge par le gestionnaire de réseau. Elle indique les conditions matérielles et financières des raccordements individuels. / La contribution au titre de l'infrastructure collective est déterminée notamment en fonction du coût de l'infrastructure collective de l'immeuble concerné, de la puissance de raccordement demandée, du nombre d'emplacements de stationnement accessibles à cette infrastructure collective et de l'évaluation du taux moyen d'équipement à long terme en points de recharge. Elle peut être plafonnée. (...) / Les modalités d'application du présent article, notamment le dimensionnement et les caractéristiques techniques de l'infrastructure collective ainsi que la détermination de la contribution au titre de l'infrastructure collective, sont précisées par un décret pris après avis de la Commission de régulation de l'énergie. / (...) ".
3. Aux termes de l'article D. 353-12-1 du même code : " La convention de raccordement mentionnée au sixième alinéa de l'article L. 353-12 inclut : / 1° Le périmètre de desserte de l'infrastructure collective ; / (...) 4° La puissance totale de l'infrastructure collective correspondant à la somme des puissances des branchements individuels qui pourront être raccordés à l'infrastructure collective et calculée selon les modalités précisées ci-après (...). / Le nombre d'emplacements inclus dans le périmètre de desserte de l'infrastructure collective mentionné au 1° ne peut être inférieur au produit du nombre total d'emplacements de stationnement de l'immeuble, éventuellement diminué du nombre d'emplacements durablement inoccupés ou déjà équipés, et de l'évaluation du taux d'équipement à long terme. / La puissance totale de l'infrastructure collective mentionnée au 4° est définie par le produit du nombre total d'emplacements inclus dans le périmètre de desserte de l'infrastructure collective et de la puissance de référence par point de recharge. / Le taux d'équipement à long terme et la puissance de référence par point de recharge sont définis par arrêté des ministres en charge des transports et de l'énergie. Ils sont déterminés à l'échelle nationale. (...) ".
4. Aux termes de l'article D. 353-12-2 du même code : " La contribution au titre de l'infrastructure collective est déterminée à titre principal en fonction du coût de l'infrastructure collective de l'immeuble concerné et du ratio entre la puissance demandée au titre du branchement individuel et la puissance totale de l'infrastructure collective mentionnée au 4° de l'article D. 353-12-1. / (...) La contribution ne peut être inférieure à un montant dépendant de la puissance du branchement individuel. / Lorsque la demande de branchement individuel concerne une puissance demandée inférieure ou égale à 9 kilovoltampères, la contribution ne peut être supérieure à un montant fixé en fonction du type de travaux rendus nécessaires par l'installation de l'infrastructure collective et de la puissance demandée. / La Commission de régulation de l'énergie propose les montants minimum et maximum de la contribution mentionnées aux deux alinéas précédents. Les montants sont arrêtés par le ministre en charge de l'énergie en tenant compte des propositions formulées."
5. Il résulte de ces dispositions que le gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité peut être chargé, à la demande du propriétaire ou des copropriétaires d'un immeuble collectif à usage principal d'habitation, de réaliser, sans que ces derniers aient à en avancer le coût, l'infrastructure collective qui permettra l'installation ultérieure de points de recharge pour véhicules électriques ou hybrides rechargeables, à condition notamment que cette infrastructure remplisse les critères tenant à sa puissance totale et au nombre d'emplacements inclus dans son périmètre de desserte énoncés par l'article D. 353-12-1 du code de l'énergie, cité au point 3. Lorsque ce gestionnaire est chargé de la réalisation d'une telle infrastructure, il résulte de l'article L. 353-12 de ce code cité au point 2 que son coût est intégralement couvert par le tarif d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité. Chaque utilisateur qui demande la création d'un ouvrage de branchement individuel alimenté par cette infrastructure collective est alors redevable, au titre de cette infrastructure, d'une contribution versée au gestionnaire, dont le montant est encadré par les dispositions de l'article D. 353-12-2 du même code citées au point 4.
6. Pour l'application des dispositions citées aux points 3 et 4, les arrêtés attaqués ont fixé le taux d'équipement à long terme et la puissance de référence par point de recharge permettant d'apprécier le respect des critères de puissance totale et de nombre d'emplacements énoncés par l'article D. 353-12-1 du code de l'énergie, ainsi que les montants minimum et maximum de la contribution des utilisateurs due au titre de l'infrastructure collective, prévus par son article D. 353-12-2. Ainsi, aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 2 juin 2023 relatif à la définition du taux d'équipement à long terme et de la puissance de référence par point de recharge pour le déploiement d'infrastructures collectives de recharge relevant du réseau public de distribution : " Le taux minimum d'équipement à long terme et la puissance de référence par point de recharge mentionnés à l'article D. 353-12-1 sont respectivement égaux à 70 % et 6 kVA ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 2 juin 2023 relatif à l'encadrement de la contribution au titre du déploiement d'infrastructures collectives de recharge relevant du réseau public de distribution dans les immeubles collectifs à usage principal d'habitation : " Le montant minimum de la contribution mentionnée à l'article D. 353-12-2 du code de l'énergie est égal à 410 € hors taxe. " Enfin, aux termes de l'article 2 de ce même arrêté : " Pour une puissance de raccordement au titre du branchement individuel inférieure ou égale à 9 kilovoltampères, le montant maximum de la contribution mentionnée à l'article D. 353-12-2 du code de l'énergie est égal à 2 038 € hors taxe. Lorsque les travaux sous la maîtrise d'ouvrage du gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité sont réalisés en présence d'amiante, ce montant est majoré à 4 038 € hors taxe."
En ce qui concerne les opérateurs privés d'infrastructures de recharge :
7. Aux termes de l'article L. 353-13 du code de l'énergie : " L'opérateur d'infrastructures de recharge qui s'engage à installer dans un immeuble collectif, sans frais pour le propriétaire de cet immeuble ou, en cas de copropriété, pour le syndicat des copropriétaires, une infrastructure collective qui rend possible l'installation ultérieure de points de recharge pour véhicules électriques ou hybrides rechargeables conclut avec le propriétaire ou le syndicat des copropriétaires une convention qui détermine les conditions d'installation, de gestion, d'entretien et de remplacement de l'infrastructure collective par l'opérateur. / Cette convention prévoit la gratuité de ces prestations pour le propriétaire ou pour le syndicat des copropriétaires et précise le montant des sommes dont le paiement incombe aux utilisateurs qui demandent la création d'un ouvrage de branchement individuel alimenté par cette infrastructure collective. / (...) ".
8. Aux termes de l'article R. 353-13-1 du même code : " La convention mentionnée à l'article L. 353-13 fait explicitement mention des articles R. 353-13-1 à R. 353-13-3 du code de l'énergie. Elle précise, d'une part, les éléments contractuels essentiels entre l'opérateur signataire et le propriétaire ou le syndicat des copropriétaires et, d'autre part, les conditions générales des relations contractuelles entre l'opérateur signataire et les futurs utilisateurs de points de recharge raccordés à l'infrastructure collective, sans préjudice des contrats complémentaires entre l'opérateur et ces utilisateurs. L'installation de l'infrastructure collective de recharge ne peut être liée à une quelconque contrepartie financière demandée au propriétaire ou au syndicat des copropriétaires." Aux termes de l'article R. 353-13-2 de ce code : " Cette convention contient notamment les stipulations et informations suivantes : / (...) 10° Le nombre, les emplacements et les puissances maximales des raccordements individuels que l'infrastructure collective de recharge peut supporter, la puissance maximale totale de l'infrastructure ainsi que les modalités techniques et tarifaires de création d'un ouvrage de branchement individuel alimenté par cette infrastructure ; / (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 353-13-3 du même code : " Les clauses de la convention respectent les dispositions suivantes : / (...) 3° Dans le cas où l'ouvrage de branchement individuel est géré par l'opérateur lui-même ou par une société qui lui est contractuellement liée, la convention précise l'ensemble des conditions notamment les conditions tarifaires pour l'utilisateur, le cas échéant différenciées en fonction de la puissance individuelle, les modalités de révision tarifaire, les conditions d'entretien et de maintenance ainsi que les conditions de résiliation ; (...) ".
9. Il résulte de ces dispositions qu'un opérateur privé d'infrastructures de recharge peut être chargé, à la demande du propriétaire ou des copropriétaires d'un immeuble collectif, d'installer une infrastructure collective permettant l'installation de points de recharge pour véhicules électriques ou hybrides rechargeables. La couverture du coût de cette installation, que ces dispositions interdisent de faire porter sur le propriétaire ou les copropriétaires lorsque l'opérateur s'engage à réaliser l'installation sans frais pour ces derniers, donne lieu à des versements incombant aux utilisateurs qui demandent l'installation d'un branchement individuel à cette infrastructure.
Sur la requête :
10. Pour obtenir l'annulation des arrêtés qu'elle attaque, l'association française des opérateurs de recharge pour véhicules électriques soutient que les dispositions de l'article L. 353-12 du code de l'énergie citées au point 2, pour l'application desquelles ils sont pris, en ce qu'elles prévoient un mécanisme de préfinancement, via le tarif d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité, de l'infrastructure collective de recharge qu'il est chargé d'installer, instituent au bénéfice du gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité une aide d'Etat, au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sans que ni ces arrêtés, qui permettent la mise en œuvre de ce régime d'aide, ni les dispositions législatives qui en constituent la base légale aient fait l'objet de la notification préalable à la Commission européenne exigée par l'article 108 de ce traité.
11. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (...) ". Aux termes de l'article 108 du même traité : " 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. (...) / 2. Si (...) la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l'article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine. (...) / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. (...) ".
12. Il résulte de ces stipulations que, s'il ressortit à la compétence exclusive de la Commission européenne de décider, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne, si une aide de la nature de celles mentionnées à l'article 107 du traité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché intérieur, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité de dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux Etats membres le paragraphe 3 de l'article 108 du traité, d'en notifier le projet à la Commission, préalablement à toute mise à exécution. En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice, la qualification d'aide d'État au sens de l'article 107 du traité suppose la réunion de quatre conditions, à savoir qu'il existe une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État, que cette intervention soit susceptible d'affecter les échanges entre les États membres, qu'elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire et qu'elle fausse ou menace de fausser la concurrence.
13. Par ailleurs, par un arrêt du 24 juillet 2003 Altmark Trans GmbH (C-280/00), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que des subventions représentant la contrepartie des prestations effectuées par des entreprises pour exécuter des obligations de service public ne constituaient pas des aides d'Etat, à condition de remplir les quatre conditions cumulatives suivantes : premièrement, l'entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l'exécution d'obligations de service public et ces obligations ont été clairement définies ; deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation ont été préalablement établis de façon objective et transparente, afin d'éviter qu'elle comporte un avantage économique susceptible de favoriser l'entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes ; troisièmement, la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable ; quatrièmement, lorsque le choix de l'entreprise chargée de l'exécution d'obligations de service public n'est pas effectué dans le cadre d'une procédure de marché public au sens des conventions soumises aux règles communautaires de publicité et de mise en concurrence, permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire a été déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations.
14. En premier lieu, le financement, via le tarif d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité, de l'infrastructure collective que le gestionnaire du réseau public de distribution est chargé d'installer, dont l'association requérante estime qu'il constituerait une aide d'Etat, résulte exclusivement des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 352-12 du code de l'énergie citées au point 2, et non des arrêtés attaqués. Par suite, le moyen tiré de ce que ces derniers institueraient par eux-mêmes une aide d'Etat ne peut qu'être écarté.
15. En second lieu, pour exciper de l'inconventionnalité du deuxième alinéa de l'article L. 352-12 du code de l'énergie, l'association requérante fait valoir qu'un opérateur privé d'infrastructures de recharge chargé de la réalisation d'une infrastructure collective dans le cadre défini par l'article L. 353-13 de ce code, cité au point 7, doit financer à ses frais cette installation avant de percevoir les versements ultérieurs des utilisateurs, tandis que le préfinancement qu'elle conteste permettrait au gestionnaire du réseau public de distribution, avec lequel elle estime que cet opérateur est en concurrence pour l'installation d'infrastructures collectives de recharge, de bénéficier d'une avance à taux nul du capital nécessaire à la réalisation de l'investissement, lui octroyant ainsi un avantage à raison de la différence entre ce taux nul et le taux d'intérêt du marché. Elle fait par ailleurs valoir que la prise en charge, par les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité, du coût de l'investissement réalisé par le gestionnaire du réseau public, donne à ce dernier l'assurance d'être remboursé des sommes qu'il a exposées, alors qu'un opérateur privé supporte le risque que le nombre d'utilisateurs souhaitant se raccorder à l'infrastructure de recharge, et donc le montant des recettes d'exploitation qu'il en tire, s'avère moindre qu'anticipé.
16. Toutefois, d'une part, le gestionnaire du réseau public de distribution est, au titre de sa mission de service public de raccordement à ce réseau prévue par le 4° de l'article L. 322-8 du code de l'énergie citées au point 2, tenu, en application de l'article L. 353-12 de ce code cité au même point 2, de procéder à la réalisation de toute infrastructure collective de recharge remplissant les conditions réglementaires, qui constitue un ouvrage du réseau public, quelle que soit la rentabilité du projet. Son refus de réaliser l'infrastructure ne peut, en vertu du I de l'article L. 111-93 de ce code, être fondé " que sur des impératifs liés au bon accomplissement des missions de service public et sur des motifs techniques tenant à la sécurité et la sûreté des réseaux, et à la qualité de leur fonctionnement ". Cette infrastructure se limite à l'extension du réseau public nécessaire pour le raccordement des bornes de recharge individuelles dont la réalisation incombe à chaque utilisateur, lequel peut recourir à l'opérateur de son choix.
17. D'autre part, la compensation accordée à ce gestionnaire, par le biais des tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité, est calculée par application des règles de droit commun énoncées à l'article L. 341-2 du code de l'énergie, aux termes duquel " [l]es tarifs d'utilisation du réseau public de transport et des réseaux publics de distribution sont calculés de manière transparente et non discriminatoire, afin de couvrir l'ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux dans la mesure où ces coûts correspondent à ceux d'un gestionnaire de réseau efficace. / (...) ". Il résulte des paramètres de calcul du tarif d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité, définis dans le respect de ces dispositions par, en dernier lieu, une délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 21 janvier 2021 (" TURPE 6 HTA-BT ") que, s'agissant de charges en capital résultant d'investissements dans les réseaux, telles que celles afférentes à l'extension du réseau public de distribution résultant de la réalisation d'infrastructures collectives de recharge, ce tarif inclut les " charges de capital normatives " correspondant à une prévision des dotations nettes aux amortissements du gestionnaire de réseau, majorée d'une " marge sur actif " de 2,5 % lui procurant une marge raisonnable dans la mesure où il exploite le réseau à ses risques et périls et, pour les investissements qui sont financés par les " capitaux propres régulés " du gestionnaire, d'une rémunération additionnelle à un taux sans risque de 2,3 %. Il résulte par ailleurs de cette même délibération que lorsque, au titre d'une année donnée, le montant effectif de ces charges de capital normatives s'écarte de la prévision initiale, l'écart fait l'objet d'une régularisation dans le cadre d'un " compte de régularisation des charges et des produits ", conduisant à une évolution du tarif au 1er août de l'année suivante. Enfin, il résulte de cette délibération que les contributions des utilisateurs reçues par le gestionnaire au titre de l'infrastructure collective viennent, en tant que produit, en déduction des charges faisant l'objet d'une régularisation dans le cadre de ce compte.
18. Il suit de là, d'une part, que les charges de capital que ce tarif vise à couvrir, dont les coûts de réalisation des infrastructures collectives de recharge, sont calculées de façon objective, transparente et non discriminatoire de telle sorte que la compensation accordée au gestionnaire ne puisse lui conférer un avantage économique susceptible de le favoriser, et, d'autre part, que la compensation résultant de l'application de ces tarifs, qui, en vertu du dernier alinéa de l'article L. 341-2 du même code " incluent une rémunération normale ", n'excède pas ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts résultant de l'exécution de l'obligation de service public, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable. Enfin, il n'est pas sérieusement contesté que le niveau de la compensation ne s'écarte pas des coûts que supporterait une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises.
19. Il résulte de ce qui précède que l'ensemble des conditions énoncées au point 13 étant satisfaites, le financement de la réalisation des infrastructures collectives de recharge par le gestionnaire du réseau public de distribution par le tarif d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité ne peut, en tout état de cause, être qualifié d'aide d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Par suite, le moyen tiré du défaut de notification, en violation des stipulations du paragraphe 3 de l'article 108 de ce traité, de l'article L. 353-12 du code de l'énergie et de ses dispositions réglementaires d'application, en ce compris les arrêtés attaqués, ne peut qu'être écarté.
20. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par la société Enedis, que la requête de l'association française des opérateurs de recharge pour véhicules électriques doit être rejetée, y compris ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association française des opérateurs de recharge pour véhicules électriques est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association française des opérateurs de recharge pour véhicules électriques, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la société Enedis.
Copie en sera adressée à la Commission de régulation de l'énergie.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Bastien Lignereux, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 8 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Bastien Lignereux
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et au ministre de l'économie, des finances, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :