Vu les procédures suivantes :
I. - Sous le numéro 475669, par une requête sommaire, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 et 19 juillet, 25 septembre et 15 décembre 2023, le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du futur (Plastalliance), dorénavant dénommé Plastalliance " The European Plastics Alliance ", demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-478 du 20 juin 2023 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
II. - Sous le numéro 488759, par une requête, un mémoire et un nouveau mémoire en réplique, enregistrés le 6 octobre 2023 et les 9 janvier et 25 mars 2024, le syndicat Elipso demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-478 du 20 juin 2023 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 ;
- la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat du syndicat Plastalliance " The European Plastics Alliance " ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Aux termes du 16ème alinéa du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, créé par l'article 77 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire : " A compter du 1er janvier 2022, tout commerce de détail exposant à la vente des fruits et légumes frais non transformés est tenu de les exposer sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Cette obligation n'est pas applicable aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi qu'aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret ".
3. Pris pour l'application de ces dispositions, le décret du 20 juin 2023 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique, dont l'annulation est demandée, introduit dans le code de l'environnement, à compter du 1er juillet 2023, un article D. 541-337 aux termes duquel : " I. - Pour l'application du 16e alinéa du III de l'article L. 541-15-10, on entend par : / 1° " Fruits et légumes " : les plantes ou une partie de ces plantes telle que les tiges, racines, tubercules, feuilles, fruits, graines, qui sont destinées à l'alimentation humaine, ainsi que les champignons comestibles ; / 2° " Fruits et légumes frais non transformés " : les fruits et légumes frais respectant les limites de préparation définies par les actes suivants : / - les normes de commercialisation telles que mentionnées par le règlement (CE) n° 543/2011 du 7 juin 2011 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 1234/2007 en ce qui concerne les secteurs des fruits et légumes et des fruits et légumes transformés ; / - les normes de commercialisation telles que mentionnées par le règlement (UE) n° 1333/2011 du 19 décembre 2011 fixant des normes de commercialisation pour les bananes, des dispositions relatives au contrôle du respect de ces normes de commercialisation et des exigences relatives aux communications dans le secteur de la banane ; / - ainsi que les arrêtés pris en application de l'article 4 du décret n° 55-1126 du 19 août 1955 portant application de l'article L. 214-1 du code de la consommation en ce qui concerne le commerce des fruits et légumes ; / 3° " Conditionnement " : récipient, enveloppe externe ou dispositif d'attache, recouvrant entièrement ou partiellement les fruits et légumes, afin de constituer une unité de vente pour le consommateur et en assurer la présentation au point de vente ; / 4° " Matière plastique " : le matériau tel que défini à l'article D. 541-330 du code de l'environnement. / II. - Sont exemptés de l'obligation mentionnée à la première phrase du 16e alinéa du III de l'article L. 541-15-10, et conformément à la deuxième phrase de ce même alinéa, les fruits et légumes présentant un risque de détérioration à la vente en vrac suivants : / 1° Les endives, les asperges, les brocolis, les champignons, les pommes de terre primeur, les carottes primeur et les petites carottes ; / 2° La salade, la mâche, les jeunes pousses, les herbes aromatiques, les épinards, l'oseille, les fleurs comestibles, les pousses de haricot mungo ; / 3° Les cerises, les canneberges, les airelles et les physalis ; / 4° Les fruits mûrs à point, c'est-à-dire les fruits vendus au consommateur final à pleine maturité, et dont l'emballage présenté à la vente indique une telle mention ; / 5° Les graines germées ; / 6° Les framboises, les fraises, les myrtilles, les mûres, les groseilles, la surelle, la surette et la groseille pays, les cassis et les kiwaïs. / III. Afin de permettre l'écoulement des stocks d'emballages, les fruits et légumes qui ne sont pas exemptés en application du II peuvent être exposés à la vente avec un conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique jusqu'au 31 décembre 2023. " L'article 2 de ce décret précise que " la définition mentionnée au 3° du I de l'article D. 541-337 exclut les élastiques nécessaires au regroupement de plusieurs petits fruits ou légumes, tels que ceux qui sont présentés à la vente avec des fanes (radis, carottes, etc.) ou encore les herbes aromatiques ".
4. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et règles relatives aux services de la société de l'information : " Sous réserve de l'article 7, les États membres communiquent immédiatement à la Commission européenne tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit (...) ". Constituent notamment une règle technique au sens du f du paragraphe 1 de l'article 1er de cette directive, une spécification technique ou autre exigence dont l'observation est obligatoire, de jure ou de facto, pour la commercialisation ou l'utilisation dans un État membre ainsi que des dispositions législatives, réglementaires et administratives interdisant la fabrication, l'importation, la commercialisation ou l'utilisation d'un produit, défini au a du même paragraphe comme " tout produit de fabrication industrielle et tout produit agricole, y compris les produits de la pêche ". A la date de réception par la Commission européenne de la communication prévue par l'article 5, paragraphe 1, les Etats membres sont tenus, en application du paragraphe 1 de l'article 6 de cette directive, de reporter de trois mois l'adoption du projet de règle technique. Ce report est, conformément au paragraphe 4 de ce même article, allongé à douze mois à compter de la même date, si, dans les trois mois qui la suivent, la Commission fait part du constat que le projet de règle technique porte sur une matière couverte par une proposition de directive, de règlement ou de décision présentée au Parlement européen et au Conseil conformément à l'article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le paragraphe 6 du même article prévoit que ce report prend fin soit lorsque la Commission européenne informe les États membres qu'elle renonce à son intention de proposer ou d'adopter un acte contraignant ou qu'elle retire sa proposition ou son projet, soit lors de l'adoption d'un acte contraignant par le Parlement européen et le Conseil ou par la Commission. Selon le paragraphe 7 de cet article, l'obligation de report ne s'applique pas lorsqu'un Etat membre, pour des raisons urgentes tenant à une situation grave et imprévisible qui a trait à la protection de la santé des personnes et des animaux, à la préservation des végétaux ou à la sécurité et, pour les règles relatives aux services, aussi à l'ordre public, notamment à la protection des mineurs, doit élaborer à très bref délai des règles techniques pour les arrêter et les mettre en vigueur aussitôt, sans qu'une consultation soit possible. Dans ce cas, l'État membre indique, dans la communication prévue à l'article 5, les motifs qui justifient l'urgence des mesures en question.
5. Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, et en dernier lieu de son arrêt du 21 décembre 2023 Papier Mettler Italia Srl c/ Italie (aff. C-86/22), que le non-respect des articles 5 et 6 de la directive 2015/1535, repris des articles 8 et 9 de la directive 98/34, eux-mêmes issus des articles 8 et 9 de la directive 83/189, constitue un vice substantiel dès lors que l'adoption et la publication d'une règle technique, en méconnaissance de ces dispositions, sont susceptibles en tant que telles de créer des entraves aux échanges contraires aux traités européens, et ne permettent ni de prendre en considération les observations des autres Etats membres ou de la Commission, ni, pour celle-ci, de proposer l'édiction de normes communes ou harmonisées réglant la matière faisant l'objet de la mesure envisagée. La Cour en a déduit qu'une règle technique ne peut être adoptée lorsqu'elle n'a pas été notifiée, ou lorsque, quand bien même elle a été notifiée, la période de report d'adoption n'est pas expirée. Elle a notamment jugé sans incidence à cet égard la circonstance que l'entrée en vigueur de la règle technique nationale adoptée soit conditionnée à l'issue de la procédure de notification préalablement engagée.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'après que le Gouvernement français lui a, conformément aux dispositions de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2015/1535 citées au point 4, communiqué le 14 décembre 2022 le projet de décret en cause, la Commission européenne lui a fait part, le 8 mars 2023, du constat que ce projet de règle technique réglementant l'utilisation des emballages portait sur une matière couverte par une proposition de règlement, en vue notamment de remplacer la directive 94/62/CE du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d'emballages et de prévoir des restrictions spécifiques à l'utilisation de certaines formes d'emballages inutiles, y compris les emballages à usage unique pour les fruits et légumes frais de moins de 1,5 kg. La Commission a, en conséquence, invité la France, en application du paragraphe 4 de l'article 6 de la directive 2015/1535, à reporter de douze mois à compter du 14 décembre 2022, soit jusqu'au 15 décembre 2023, l'adoption des règles techniques contenues dans le décret attaqué. Celui-ci a cependant été adopté le 20 juin 2023 sans que le Gouvernement français ne se soit prévalu, à cet égard, d'aucune des exceptions à l'obligation de respecter la période de report d'adoption prévues par la directive.
7. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le décret attaqué est entaché, du fait de son adoption avant l'expiration de la période de report mentionné ci-dessus, d'un vice substantiel justifiant son annulation, la circonstance que le III de son article 1er autorise l'écoulement des stocks d'emballage jusqu'au 31 décembre 2023 étant à cet égard sans incidence.
8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes, le syndicat Plastalliance " The European Plastics Alliance " et le syndicat Elipso sont fondés à demander l'annulation du décret attaqué.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser respectivement au syndicat Plastalliance " The European Plastics Alliance " et au syndicat Elipso au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le décret n° 2023-478 du 20 juin 2023 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique est annulé.
Article 2 : L'Etat versera au syndicat Plastalliance " The European Plastics Alliance " et au syndicat Elipso la somme de 1 500 euros chacun, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au syndicat Plastalliance " The European Plastics Alliance ", au syndicat Elipso, au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 8 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Saby
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :