Vu la procédure suivante :
La société anonyme Covivio a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge de la cotisation de taxe d'enlèvement des ordures ménagères à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2017 dans les rôles de la commune de Nanterre (Hauts-de-Seine). Par une ordonnance n° 2007168 du 22 novembre 2021, la présidente de la 2ème chambre de ce tribunal a transmis la demande au tribunal administratif de Montreuil, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative. Par un jugement n° 2116676 du 31 octobre 2023, la magistrate désignée par le président de ce tribunal a fait droit à la demande de décharge.
Par un pourvoi, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 décembre 2023, 23 avril 2024 et 20 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alianore Descours, maîtresse des requêtes en service extraordinaire ;
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la société Covivio ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond qu'à la suite du rejet de sa réclamation, la société Covivio a demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge de la cotisation de taxe d'enlèvement des ordures ménagères à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2017 à raison des locaux dont elle est propriétaire sur le territoire de la commune de Nanterre (Hauts-de-Seine). Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre le jugement du 31 octobre 2023 par lequel la magistrate désignée par le président de ce tribunal a constaté une disproportion à hauteur de 15,59 % du taux de la taxe en litige fixé par la délibération du 24 mars 2017 de l'établissement public territorial Paris-Ouest-La Défense (POLD) et, tirant les conséquences de cette illégalité, fait droit aux conclusions formées par la société.
2. Aux termes du I de l'article 1520 du code général des impôts, dans sa rédaction issue du V de l'article 57 de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, applicable à compter du 1er janvier 2016 : " Les communes qui assurent au moins la collecte des déchets des ménages peuvent instituer une taxe destinée à pourvoir aux dépenses du service de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales, dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n'ayant pas le caractère fiscal ". Les déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales s'entendent des déchets non ménagers que ces collectivités peuvent, eu égard à leurs caractéristiques et aux quantités produites, collecter et traiter sans sujétions techniques particulières. Aux termes de l'article L. 2333-78 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 19 décembre 2015 précitée : " Les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes peuvent instituer une redevance spéciale afin de financer la collecte et le traitement des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14. (...) ".
3. La taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'a pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune ou l'établissement de coopération intercommunale compétent pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales précité et non couvertes par des recettes non fiscales affectées à ces opérations. Il s'ensuit que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant des dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets ménagers comme des déchets non ménagers, déduction faite, le cas échéant, du montant des recettes non fiscales de la section de fonctionnement relatives à ces opérations, qui comprennent le produit attendu de la redevance spéciale instituée en vertu de l'article L. 2333-78 du même code.
4. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour calculer le montant des dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets ménagers et non ménagers permettant d'apprécier la proportionnalité du taux de taxe d'enlèvement des ordures ménagères fixé par l'établissement public territorial POLD, la magistrate désignée a pris en compte, au titre des recettes non fiscales relatives aux opérations de collecte et de traitement de ces déchets, le montant d'une recette non fiscale de la section de financement du budget de ce dernier qui, ainsi qu'il apparaissait explicitement dans les pièces du dossier relatives à l'élaboration du budget primitif, s'intitulait redevance pour " enlèvement des DIC [déchets industriels et commerciaux] " et n'avait donc pas la nature d'une redevance spéciale au sens de l'article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales et se rattachait à des opérations de collecte et de traitement de déchets ne relevant pas du champ de l'article L. 2224-14 du même code. Ce faisant, la magistrate désignée a dénaturé les pièces du dossier et méconnu les principes rappelés ci-dessus au point 3.
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement qu'il attaque.
6. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du 31 octobre 2023 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, au tribunal administratif de Montreuil.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Covivio au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, et à la société anonyme Covivio.