Vu la procédure suivante :
M. et Mme A... et C... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015 et des cotisations supplémentaires de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2014 et 2015, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 2001440 du 30 septembre 2022, ce tribunal a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence d'un dégrèvement intervenu en cours d'instance et rejeté le surplus de leur demande.
Par un arrêt n° 22NT03721 du 14 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de M. et Mme B..., annulé l'article 2 de ce jugement et les a déchargés des impositions en litige.
Par un pourvoi, enregistré le 12 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1er à 3 de cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alianore Descours, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Bardoul, avocat de M. et Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un contrôle sur pièces, M. et Mme B... ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2015 et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales au titre des années 2014 et 2015. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande l'annulation des articles 1er à 3 de l'arrêt du 14 novembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir annulé l'article 2 du jugement du 30 septembre 2022 du tribunal administratif de Nantes, a prononcé la décharge de ces impositions.
2. Aux termes de l'article 150-0 A du code général des impôts : " I. 1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu ".
3. S'agissant des gains réalisés avant le 1er janvier 2014, l'article 150-0 A, dans sa rédaction alors applicable, prévoit que : " I. [...] 3. Lorsque les droits détenus directement ou indirectement par le cédant avec son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants ainsi que leurs frères et sœurs dans les bénéfices sociaux d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent et ayant son siège dans un Etat-membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ont dépassé ensemble 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années, la plus-value réalisée lors de la cession de ces droits, pendant la durée de la société, à l'une des personnes mentionnées au présent alinéa, est exonérée si tout ou partie de ces droits sociaux n'est pas revendu à un tiers dans un délai de cinq ans. A défaut, la plus-value est imposée au nom du premier cédant au titre de l'année de la revente des droits au tiers ".
4. S'agissant des gains réalisés entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2017, le A du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts prévoit que : " Par dérogation au 1 ter, lorsque les conditions prévues au B (...) sont remplies, les gains nets sont réduits d'un abattement égal à : / 1° 50 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins un an et moins de quatre ans à la date de la cession ; / 2° 65 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins quatre ans et moins de huit ans à la date de la cession ; / 3° 85 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ". Aux termes du B du 1 quater du même article : " L'abattement mentionné au A s'applique : / (...) 3° lorsque le gain résulte de la cession de droits, détenus directement ou indirectement par le cédant avec son conjoint, leurs ascendants et descendants ainsi que leurs frères et sœurs, dans les bénéfices sociaux d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent et ayant son siège dans un État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales qui ont dépassé ensemble 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années, pendant la durée de la société, à l'une des personnes mentionnées au présent 3°, si tout ou partie de ces droits sociaux n'est pas revendu à un tiers dans un délai de cinq ans. A défaut, la plus-value, réduite, le cas échéant, de l'abattement mentionné au 1 ter, est imposée au nom du premier cédant au titre de l'année de la revente des droits au tiers ".
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C... B..., qui détenait 3 534 actions de la SAS B..., a cédé à M. A... B..., son époux, 250 actions de cette société le 29 mars 2011 pour un prix de 157 250 euros, 225 actions le 23 décembre 2013 pour un prix de 135 000 euros, 236 actions le 18 novembre 2014 pour un prix de 141 600 euros et 300 actions le 20 mars 2015 pour un prix de 300 000 euros. Ces cessions, réalisées au sein du groupe familial, ont été placées sous le régime d'exonération d'impôt sur le revenu sur le fondement des dispositions du 3 du I de l'article 150-0 A du code général des impôts, s'agissant de celles réalisées avant le 1er janvier 2014, et ont bénéficié de l'abattement du 3° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du même code, s'agissant des cessions réalisées à compter du 1er janvier 2014. Les époux B... ont créé, le 17 avril 2015, la société CBR Invest par apport de la totalité des actions de la SAS B... qu'ils détenaient, soit respectivement 2 523 actions et 1 711 actions pour une valeur totale de 4 234 000 euros. A l'issue de cette opération, le capital social de la SAS B... s'est retrouvé entièrement détenu par la société CBR Invest. L'administration a remis en cause l'exonération puis l'abattement d'impôt sur le revenu des plus-values réalisées par Mme C... B... lors des quatre cessions consenties au bénéfice de son époux au motif que la revente de ces titres à un tiers, la société CBR Invest, avait eu lieu avant l'échéance du délai de cinq ans prévu par le 3 du I de l'article 150-0 A comme par le 3° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts.
6. Pour prononcer la décharge des impositions contestées, la cour administrative d'appel de Nantes s'est fondée sur ce que l'apport des titres de la SAS B..., qui ne s'était traduit par aucun flux financier, ne pouvait être assimilé à une revente au sens et pour l'application des dispositions précitées du 3 de l'article 150-0 A du code général des impôts et du 3° du B du 1 quater de l'article 150-0 D de ce même code, alors même que M. B... avait obtenu, en contrepartie de cet apport, des parts sociales de la société CBR Invest. En statuant ainsi, alors que les titres apportés à une personne morale distincte, préalablement cédés par Mme B... à son époux, devaient être regardés comme ayant été, de ce fait, revendus à un tiers au sens et pour l'application de ces dispositions, et que cette revente était intervenue antérieurement à l'échéance de cinq ans prévue par ces dispositions, la cour a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 de l'arrêt qu'il attaque.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er à 3 de l'arrêt du 14 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Nantes sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : Les conclusions de M. et Mme B... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, et à M. et Mme A... et C... B....