Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 mars et 22 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée (SAS) Picoty demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, le décret n° 2024-71 du 2 février 2024 fixant les modalités de suivi des carburants utilisés pour les besoins de la pêche pour l'application des dispositions du E du V de l'article 266 quindecies du code des douanes lorsque le metteur à la consommation est distinct du distributeur de carburant ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'adopter, dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, de nouvelles dispositions réglementaires permettant d'assurer une traçabilité correcte des volumes de gazole et d'essence utilisés pour les besoins de la pêche ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 1069/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;
- le code des douanes ;
- la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alianore Descours, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article 95 de la loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 a prévu, pour l'atteinte des objectifs d'incorporation d'énergie renouvelable dans les transports retenus pour le calcul de la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (TIRUERT) prévue à l'article 266 quindecies du codes des douanes, que les quantités d'énergie des huiles végétales hydrotraitées issues des matières de catégorie 3 mentionnées à l'article 10 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles sanitaires applicables aux sous-produits animaux et produits dérivés non destinés à la consommation humaine, font l'objet d'un double comptage, dans la limite de 20 %, lorsqu'elles sont contenues dans les gazoles et essences utilisés pour les besoins de la pêche et mis à la consommation en France ou déplacés à des fins commerciales vers la France. Le 1° du 4 du B du V de ce dernier article subordonne cette comptabilisation particulière à l'établissement de règles de " traçabilité " de ces carburants " depuis leur production jusqu'à la vente au consommateur final, dans des conditions déterminées par décret ".
2. La société Picoty demande l'annulation du décret du 2 février 2024 fixant, pour l'application de ces dispositions, les modalités de suivi des carburants utilisés pour les besoins de la pêche lorsque le fournisseur de carburants, qui effectue la mise à consommation au titre de laquelle il est redevable de la taxe prévue à l'article 266 quindecies du code des douanes, est distinct du distributeur, titulaire d'un dépôt spécial de carburant maritime mentionné à l'article 176 du code des douanes, qui stocke et livre du carburant préalablement mis à la consommation et destiné aux besoins de la pêche. Ce décret prévoit que chaque distributeur transmet mensuellement aux fournisseurs l'ayant approvisionné une attestation, par laquelle est renseigné un quotient qui résulte, pour chaque distributeur et par type de carburant, du rapport entre les volumes de carburant livrés par le distributeur pour les besoins de la pêche au cours d'un mois donné et les volumes de carburant livrés par les fournisseurs depuis le 1er janvier de l'année au titre de laquelle la taxe est établie jusqu'au dernier jour du mois de cette année. Le décret précise que les fournisseurs se signalent auprès de leurs distributeurs en vue d'établir cette attestation.
3. La société Picoty soutient que le décret contesté méconnaît les dispositions de l'article 266 quindecies du code des douanes au motif que la formule de calcul du quotient que chaque distributeur doit communiquer à son fournisseur ne peut permettre à ce dernier de bénéficier de l'avantage institué par la loi de finances pour 2024 et, par suite, de répercuter le gain correspondant par une baisse du prix du carburant destiné aux pêcheurs, à l'instar du dispositif de remise volontaire mis en œuvre par l'un de ses concurrents. Elle relève à cet égard que les valeurs que ce quotient détermine sont substantiellement éloignées des volumes de carburants réellement vendus chaque mois pour les besoins de la pêche par des distributeurs de carburants maritimes, notamment en raison de son caractère dégressif tout au long de l'année de référence. Elle soutient par ailleurs que le calcul du quotient est faussé dans la mesure où il ne tient pas compte des volumes livrés par d'autres fournisseurs, ni des volumes qu'un distributeur stocke au cours d'un mois donné. Enfin, la société requérante estime que le décret est lacunaire en ce qu'il ne prévoit pas la prise en compte des schémas de livraison, dits " en cascade ", par lesquels un distributeur approvisionne un autre distributeur.
4. Toutefois, le décret attaqué se borne à prévoir une obligation d'information qui incombe aux distributeurs de carburants marins envers leurs fournisseurs, afin que ces derniers puissent connaître, chaque mois, la proportion de carburants vendus pour les besoins de la pêche par rapport au volume total de carburants qu'ils leur livrent. A cet égard, les données contenues dans l'attestation remise mensuellement au fournisseur, dont l'administration n'est au demeurant pas destinataire, sont sans incidence sur les obligations déclaratives qui incombent au redevable de l'impôt pour l'établissement de la TIRUERT due au titre de l'année correspondante, pas plus que sur le bénéfice de l'avantage fiscal introduit par la loi de finances pour 2024. De plus, si le 1° du 4 du B du V de l'article 266 quindecies prévoit que l'énergie renouvelable n'est comptabilisée, s'agissant des HVO3, que pour autant que la traçabilité des produits contenant ces huiles est assurée depuis leur production jusqu'au consommateur final, il n'en résulte pas que les informations recueillies au titre de cette obligation de traçabilité serviraient directement pour établir l'assiette de la TIRUERT.
5. Par suite, si d'autres modalités de calcul du quotient auraient pu être retenues, le décret litigieux n'est pas entaché d'illégalité au seul motif que celle choisie par le pouvoir réglementaire présenterait les insuffisances identifiées au point 3 par la société requérante, alors que le calcul de ce quotient par chaque distributeur de carburants marins répond à l'objectif de traçabilité des produits contenant des huiles végétales hydrotraitées mentionnées au point 1, lorsqu'ils sont incorporés dans des carburants utilisés pour les besoins de la pêche. Enfin, la société requérante ne peut sérieusement soutenir que le décret attaqué ferait obstacle à ce qu'elle puisse mettre en œuvre le dispositif, instauré par l'un de ses concurrents, de remise volontaire sur le prix du carburant délivré aux pêcheurs, lequel ne présente aucun lien, ni juridique ni technique, avec le dispositif institué par la loi de finances pour 2024. Dès lors, le moyen tiré de ce que le décret contesté méconnaîtrait les dispositions de l'article 266 quindecies du code des douanes doit être écarté.
5. Il résulte de ce qui précède que la société Picoty n'est pas fondée à demander l'annulation du décret attaqué. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Picoty une somme de 3 000 euros à verser à l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société Picoty est rejetée.
Article 2 : La société Picoty versera une somme de 3 000 euros à l'Etat au titre de l'article 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, et à la société par actions simplifiée Picoty.
Copie en sera adressée au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.