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08/11/2024 | FRANCE | N°496101

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 08 novembre 2024, 496101


Vu la procédure suivante :



Par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 17, 18 et 30 juillet et 29 août 2024 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-777 du 8 juillet 2024 portant modification de la répartition du produit de la contribution de vie étudiante et de campus.



M. C... soutient que le décret attaqué est entaché :

- d'incompétence dès lors que le Premier ministre, él

u député le 7 juillet 2024, était démissionnaire d'office de sa fonction de Premier ministre à...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 17, 18 et 30 juillet et 29 août 2024 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-777 du 8 juillet 2024 portant modification de la répartition du produit de la contribution de vie étudiante et de campus.

M. C... soutient que le décret attaqué est entaché :

- d'incompétence dès lors que le Premier ministre, élu député le 7 juillet 2024, était démissionnaire d'office de sa fonction de Premier ministre à cette date, ce dont il s'infère que sa compétence était, à la date de signature du décret attaqué, limitée à l'expédition des affaires courantes, dont ne relève pas ledit décret ;

- d'illégalité externe en ce qu'il a été pris sans consultation, d'une part, du comité technique commun du Conseil national des œuvres universitaires et scolaires et des Conseils régionaux des œuvres universitaires et scolaires, d'autre part, du conseil départemental de Mayotte ;

- de méconnaissance du principe d'égalité en ce qu'il prévoit que tous les établissements d'enseignement supérieur, quel que soit leur statut, reçoivent le même produit de la contribution de vie étudiante et de campus par étudiant inscrit.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2024, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.

En application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que la décision du Conseil d'Etat était susceptible d'être fondée sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce que M. C... ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre le décret du 8 juillet 2024 portant modification de la répartition du produit de la contribution de vie étudiante et de campus qu'il attaque et que les conclusions de sa requête tendant à l'annulation de ce décret sont, par suite, irrecevables.

Par des observations en réponse à ce moyen soulevé d'office, enregistrées les 2 et 14 octobre 2024, M. C... soutient qu'il justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre le décret du 8 juillet 2024 portant modification de la répartition du produit de la contribution de vie étudiante et de campus qu'il attaque.

Par des observations, enregistrées le 11 octobre 2024, le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche soutient que M. C... ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre ce décret.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'éducation ;

- l'arrêté du 27 mai 2022 instituant un comité social d'administration au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et des comités sociaux d'administration d'établissement pour les établissements publics administratifs ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Thalia Breton, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

- vu la note en délibéré, enregistrée le 18 octobre 2024, présentée par M. C...

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 841-5 du code de l'éducation : " I.- Une contribution destinée à favoriser l'accueil et l'accompagnement social, sanitaire, culturel et sportif des étudiants et à conforter les actions de prévention et d'éducation à la santé réalisées à leur intention est instituée au profit des établissements publics d'enseignement supérieur, des établissements mentionnés aux articles L. 443-1 et L. 753-1 du présent code ou à l'article L. 1431-1 du code général des collectivités territoriales dispensant des formations initiales d'enseignement supérieur, des établissements d'enseignement supérieur privés d'intérêt général et des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires. / (...) / V.- Le produit de la contribution est réparti entre les établissements mentionnés au premier alinéa du I. / Un décret fixe, pour chaque catégorie d'établissements d'enseignement mentionnée au même premier alinéa, le montant versé au titre de chaque étudiant inscrit ainsi que la fraction du produit de la contribution attribuée aux centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires et les modalités de sa répartition ". Aux termes de l'article D. 841-2 du même code : " La contribution prévue à l'article L. 841-5 du code de l'éducation est dénommée " contribution de vie étudiante et de campus " (...) ".

2. Aux termes de l'article D. 841-5 du code de l'éducation, dans sa version antérieure au décret attaqué du 8 juillet 2024 : " Le produit de la contribution de vie étudiante et de campus est réparti entre les catégories d'établissements de la manière suivante : / 1° Etablissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel relevant du ministère chargé de l'enseignement supérieur : 41 € par étudiant inscrit en formation initiale ; / 2° Etablissements publics administratifs d'enseignement supérieur relevant du ministère chargé de l'enseignement supérieur : 41 € par étudiant inscrit en formation initiale ; / 3° Autres établissements publics d'enseignement supérieur : 20 € par étudiant inscrit en formation initiale ; / 4° Etablissements mentionnés aux articles L. 443-1 et L. 753-1 du code de l'éducation : 20 € par étudiant inscrit en formation initiale ; / 5° Etablissements mentionnés à l'article L. 1431-1 du code général des collectivités territoriales dispensant des formations initiales d'enseignement supérieur : 20 € par étudiant inscrit en formation initiale ; / 6° Etablissements d'enseignement supérieur privés d'intérêt général : 20 € par étudiant inscrit en formation initiale. / (...) ". L'article D. 841-6 du même code définit les modalités de répartition, de calcul et de versement du produit de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) entre les établissements mentionnés à l'article D. 841-5.

3. L'article D. 841-5 du code de l'éducation a été modifié par un décret du 8 juillet 2024 pour prévoir que le produit de la CVEC serait désormais alloué à chacun des établissements d'enseignement supérieur mentionnés au I de l'article L. 841-5 du même code à raison d'un montant de 46 euros par étudiant inscrit. M. C... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir ce décret.

Sur la compétence de l'auteur du décret attaqué :

4. Aux termes de l'article 8 de la Constitution : " Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. / Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions ". Aux termes de l'article 23 de la Constitution : " Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle. / Une loi organique fixe les conditions dans lesquelles il est pourvu au remplacement des titulaires de tels mandats, fonctions ou emplois. / Le remplacement des membres du Parlement a lieu conformément aux dispositions de l'article 25 ". L'article 25 de la Constitution renvoie également à une loi organique la fixation des conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer le remplacement temporaire des députés ou des sénateurs en cas d'acceptation par eux de fonctions gouvernementales. A ce titre, le premier alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l'application de l'article 23 de la Constitution dispose que : " Pour chaque membre du Gouvernement, les incompatibilités établies à l'article 23 de la Constitution prennent effet à l'expiration d'un délai de un mois à compter de sa nomination. Pendant ce délai, le parlementaire membre du Gouvernement ne peut prendre part à aucun scrutin et ne peut percevoir aucune indemnité en tant que parlementaire. Les incompatibilités ne prennent pas effet si le Gouvernement est démissionnaire avant l'expiration dudit délai ".

5. Il résulte des dispositions des articles 8, 23 et 25 de la Constitution, citées au point précédent, que l'incompatibilité entre les fonctions de membre du Gouvernement et l'exercice d'un mandat parlementaire ne se résout que par le remplacement de l'intéressé dans son mandat parlementaire sans être susceptible d'affecter, par elle-même, l'exercice par celui-ci de ses fonctions gouvernementales.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. D... B..., Premier ministre, a été élu député dans la 10e circonscription des Hauts-de-Seine, à la suite des opérations électorales des 30 juin et 7 juillet 2024. Si M. C... soutient que celui-ci, devait, compte tenu de cette élection, être regardé, en application des dispositions de l'article 23 de la Constitution, comme démissionnaire d'office de ses fonctions gouvernementales et que, par suite, il était incompétent pour signer, le 8 juillet 2024, le décret attaqué dès lors que celui-ci ne relevait pas de la simple expédition des affaires courantes, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la circonstance qu'un membre du Gouvernement soit élu député est, par elle-même, sans effet sur l'exercice de ses fonctions gouvernementales. Ainsi, il ne saurait en résulter que le décret attaqué est entaché d'incompétence. Par suite, le moyen soulevé par M. C... ne peut qu'être écarté.

Sur les autres moyens de la requête :

7. En premier lieu, M. C... soutient que le décret attaqué serait entaché d'irrégularité au motif qu'il a été pris sans consultation préalable, d'une part, du comité technique commun du Conseil national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) et des Conseils régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS), d'autre part, du conseil départemental de Mayotte. Toutefois, les modifications introduites par le décret attaqué dans les dispositions des articles D. 841-5 et D. 841-6 du code de l'éducation ne sont pas relatives au fonctionnement et à l'organisation du CNOUS et des CROUS et n'ont pas pour objet de prévoir des adaptations particulières au territoire de Mayotte. Par suite ni la consultation préalable des comités sociaux d'administration du CNOUS et des CROUS, qui se sont substitués au comité technique commun de ces établissements publics en vertu d'un arrêté du 27 mai 2022, ni celle du conseil départemental de Mayotte n'étaient requises, la circonstance que de précédents décrets ayant notamment modifié les articles D. 841-5 et D. 841-6 du code de l'éducation aient été précédés de telles consultations étant dépourvue d'incidence à cet égard. Le moyen ne peut ainsi qu'être écarté.

8. En second lieu, si, en règle générale, le principe d'égalité impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaitrait le principe d'égalité en ce qu'il prévoit que tous les établissements d'enseignement supérieur visés à l'article L. 841-5 du code de l'éducation, quel que soit leur statut, reçoivent le même montant par étudiant inscrit au titre de la répartition du produit de la contribution de vie étudiante et de campus, ne peut qu'être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de sa requête, M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation du décret du 8 juillet 2024 qu'il attaque.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... C..., au Premier ministre et au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 496101
Date de la décision : 08/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCÉDURE - PROCÉDURE CONSULTATIVE - CONSULTATION NON OBLIGATOIRE - DÉCRET MODIFIANT LA RÉPARTITION DU PRODUIT DE LA CVEC – CONSULTATION DU CSA DU CNOUS ET DES CROUS – CONSULTATION DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE MAYOTTE – INCIDENCE DE CONSULTATIONS PRÉCÉDENTES DES MÊMES INSTANCES SUR DES DÉCRETS MODIFIANT LES MÊMES DISPOSITIONS – ABSENCE.

01-03-02-03 Décret modifiant la répartition, prévue à l’article D. 841-6 du code de l’éducation, du produit de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Décret n’ayant pas fait l’objet d’une consultation préalable, d’une part, du comité technique commun du Conseil national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) et des Conseils régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS), d’autre part, du conseil départemental de Mayotte....Les modifications introduites par ce décret dans les dispositions des articles D. 841-5 et D. 841-6 du code de l’éducation ne sont pas relatives au fonctionnement et à l’organisation du CNOUS et des CROUS et n’ont pas pour objet de prévoir des adaptations particulières au territoire de Mayotte. Par suite ni la consultation préalable des comités sociaux d’administration (CSA) du CNOUS et des CROUS, ni celle du conseil départemental de Mayotte n’étaient requises, la circonstance que de précédents décrets ayant notamment modifié les articles D. 841-5 et D. 841-6 du code de l’éducation aient été précédés de telles consultations étant dépourvue d’incidence à cet égard.

OUTRE-MER - DROIT APPLICABLE - GÉNÉRALITÉS - CONSULTATION DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE MAYOTTE – DÉCRET MODIFIANT LA RÉPARTITION DU PRODUIT DE LA CVEC – ABSENCE - SANS QU’AIENT D’INCIDENCE DE PRÉCÉDENTES CONSULTATIONS SUR DES DÉCRETS MODIFIANT LES MÊMES DISPOSITIONS.

46-01-01 Décret modifiant la répartition, prévue à l’article D. 841-6 du code de l’éducation, du produit de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Décret n’ayant pas fait l’objet d’une consultation préalable du conseil départemental de Mayotte....Les modifications introduites par ce décret dans les dispositions des articles D. 841-5 et D. 841-6 du code de l’éducation n’ont pas pour objet de prévoir des adaptations particulières au territoire de Mayotte. Par suite, la consultation préalable du conseil départemental de Mayotte n’était pas requise, la circonstance que de précédents décrets ayant notamment modifié les articles D. 841-5 et D. 841-6 du code de l’éducation aient été précédés de telles consultations étant dépourvue d’incidence à cet égard.


Publications
Proposition de citation : CE, 08 nov. 2024, n° 496101
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Thalia Breton
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:496101.20241108
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