Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 31 octobre et 11 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association française d'étude et de protection des poissons demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative de suspendre l'exécution de l'arrêté du 25 octobre 2024 de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d'anguille européenne de moins de 12 centimètres pour la campagne de pêche 2024-2025.
Elle soutient que :
- elle est recevable à agir eu égard à son objet statuaire ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'anguille européenne est évaluée " en danger critique d'extinction " au niveau mondial et en France par l'Union internationale pour la conservation de la nature ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- l'arrêté ministériel du 25 octobre 2024 a été pris selon une procédure irrégulière dans la mesure où la participation du public n'a duré que 20 jours, contrairement aux dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ;
- il est entaché d'une erreur d'appréciation au regard, d'une part, de l'avis du conseil international pour l'exploration de la mer, qui recommande de ne pas autoriser la pêche de l'anguille européenne et, d'autre part, de l'avis du comité scientifique chargé de déterminer les totaux autorisés de capture, qui conclut que le quota global de captures de civelles ne devrait pas excéder 40 tonnes ;
- il fixe un quota de civelles destinées à la consommation supérieur à 40 % de ce montant, soit 16 tonnes, en méconnaissance les dispositions de l'article 7, paragraphe 1, du règlement européen du 18 septembre 2007 ;
- il est entaché d'une erreur d'appréciation en ce qu'il fixe à 39 tonnes le quota de civelles destinées au marché du repeuplement, à un niveau largement supérieur aux besoins du marché européen de repeuplement et aux capacités de pêche en France pour repeuplement ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 novembre 2024, la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE) n°1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association française d'étude et de protection des poissons, et d'autre part, la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 14 novembre 2024, à 10 heures 30 :
- les représentants de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur le cadre juridique applicable :
2. Le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes établit un cadre pour la protection et l'exploitation durable du stock d'anguilles européennes de l'espèce Anguilla anguilla, espèce migratrice qui se reproduit dans la mer des Sargasses et grandit dans les eaux douces européennes, désormais classée dans la catégorie des espèces en situation de danger critique d'extinction. Aux termes de l'article 2 de ce règlement : " (...) 3. Les États membres élaborent un plan de gestion de l'anguille pour chaque bassin hydrographique tel que défini au paragraphe 1. / 4. L'objectif de chaque plan de gestion est de réduire la mortalité anthropique afin d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d'échappement qui aurait été observé si le stock n'avait subi aucune influence anthropique. Le plan de gestion des anguilles est établi dans le but de réaliser cet objectif à long terme. / (...) 9. Chaque plan de gestion de l'anguille contient le calendrier prévu pour atteindre l'objectif en matière de taux d'échappement fixé au paragraphe 4, selon une approche progressive et en fonction du taux de recrutement envisagé, et comprend les mesures qui seront appliquées à partir de la première année de mise en œuvre du plan de gestion (...) ". Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Sur la base d'une évaluation technique et scientifique effectuée par le comité scientifique, technique et économique de la pêche ou par un autre organisme scientifique approprié, le plan de gestion de l'anguille est approuvé par la Commission conformément à la procédure visée à l'article 30, paragraphe 2, du règlement (CE) no 2371/2002. / 2. Les États membres mettent en œuvre les plans de gestion de l'anguille approuvés par la Commission, conformément au paragraphe 1, à partir du 1er juillet 2009, ou le plus tôt possible avant cette date. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article 7 du même règlement : " 1. Si un État membre autorise la pêche d'anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm, (...) il affecte au moins 60 % de toutes les anguilles d'une longueur inférieure à 12 cm pêchées dans ses eaux chaque année destinées à la commercialisation en vue de servir au repeuplement dans les bassins hydrographiques de l'anguille (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, la Commission européenne a approuvé le 15 février 2010 le plan de gestion de l'anguille présenté par la France, qui définit neuf unités de gestion de l'anguille, qui correspondent à l'habitat naturel de l'anguille dans les bassins hydrographiques, dans les aires estuariennes et dans les aires maritimes de répartition de cette espèce.
3. Les dispositions des articles R. 436-65-3 du code de l'environnement et R. 922-48 du code rural et de la pêche maritime, qui interdisent la pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres, respectivement en amont et en aval de la limite transversale de la me,r permettent toutefois aux ministres compétents de déroger à cette interdiction en octroyant des quotas de pêche aux pêcheurs professionnels bénéficiaires d'une autorisation, pour chaque saison de pêche et pour certaines zones.
Sur le litige :
4. L'association française d'étude et de protection des poissons demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution des dispositions de l'arrêté du 25 octobre 2024 de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d'anguille européenne de moins de 12 centimètres pour la campagne de pêche 2024-2025.
5. Pour demander la suspension de l'exécution de l'arrêté contesté, l'association requérante soutient qu'il a été pris selon une procédure irrégulière, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, qu'il est entaché d'une erreur d'appréciation au regard, d'une part, de l'avis du conseil international pour l'exploration de la mer, qui recommande de ne pas autoriser la pêche de l'anguille européenne et, d'autre part, de l'avis du comité scientifique chargé de déterminer les totaux autorisés de capture, qui conclut que le quota global de captures de civelles ne devrait pas excéder 40 tonnes, qu'il méconnaît les dispositions de l'article 7, paragraphe 1, du règlement européen du 18 septembre 2007 en ce qu'il fixe un quota de civelles destinées à la consommation supérieur à 40 % de ce montant, et qu'il est entaché d'erreur d'appréciation en ce qu'il fixe à 39 tonnes le quota de civelles destinées au marché du repeuplement, à un niveau largement supérieur aux besoins du marché européen de repeuplement et aux capacités de pêche en France pour repeuplement. En l'état de l'instruction, aucun de ces moyens n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, que la requête de l'association française d'étude et de protection des poissons doit être rejetée.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'association française d'étude et de protection des poissons est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association française d'étude et de protection des poissons et à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.
Fait à Paris, le 22 novembre 2024
Signé : Jean-Yves Ollier