Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer, à titre principal, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010, 2011, 2013 et 2014 et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014 ainsi que des pénalités correspondantes et, à titre subsidiaire, d'une part, la compensation de ces suppléments d'impôts au titre des années 2010 et 2011 avec les contributions sociales acquittées par la société ... Distribution Internationale France sur les distributions en cause ou la restitution de ces contributions et, d'autre part, la compensation des suppléments d'impôts en litige au titre des années 2013 et 2014 avec les impositions résultant des redistributions effectuées par la société Soutra. Par un jugement n° 1911373 du 3 mars 2022, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22PA02004 du 28 juin 2023, la cour administrative d'appel de Paris, sur l'appel formé par M. B... contre ce jugement, a prononcé la décharge des cotisations primitives de contributions sociales prélevées au titre des années 2010 et 2011 sur les sommes versées par la société ... Distribution Internationale France, réformé le jugement du tribunal administratif de Montreuil en conséquence et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 août et 28 novembre 2023 et le 4 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article 3 de cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Pau, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, Bonichot et associés, avocat de M. B... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 novembre 2024, présentée par
M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'un contrôle sur pièces de la situation fiscale de M. B... au titre de l'impôt sur le revenu des années 2010 à 2014, consécutif à des vérifications de comptabilité des sociétés ... Gestion (CGSA) et ... Distribution Internationale France (CDIF) portant sur les exercices clos entre 2009 et 2014, l'administration fiscale a mis en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales pour remettre en cause l'imposition, comme dividendes, des sommes qu'il avait perçues de la société CDIF, directement en 2010 et 2011, ou indirectement par l'interposition de la société Soutra en 2013 et 2014, et imposer ces sommes dans la catégorie des traitements et salaires, au titre de ses fonctions de directeur général délégué de la société CGSA. Par un jugement du 3 mars 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de M. B... tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 2010, 2011, 2013 et 2014, et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquels il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014 ainsi que des pénalités correspondantes. Statuant par un arrêt du 28 juin 2023 sur l'appel formé par M. B... contre ce jugement, la cour administrative d'appel de Paris a prononcé la décharge des cotisations primitives de contributions sociales prélevées au titre des années 2010 et 2011 sur les sommes versées par la société CDIF, réformé le jugement en conséquence et rejeté le surplus des conclusions de la requête. M. B... demande l'annulation de cet arrêt en tant qu'il lui est défavorable.
Sur l'existence d'un abus de droit :
2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. / Les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel qui est rendu public ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'au titre des années d'imposition en litige, la société française ... Gestion (CGSA), créée en 1989 et intégralement détenue par ses dirigeants et salariés, dont M. B..., exerçait une activité de gestion de fonds d'investissement commercialisés en France et à l'international (ci-après : " fonds ... "). Cette société détenait, d'une part, 99,9 % du capital de la société luxembourgeoise ... Gestion Luxembourg (CGL), créée en 1998 et ayant pour activité l'organisation du réseau de distributeurs tiers des fonds ... commercialisés hors de France et, d'autre part, 53 % du capital de la société française ... Distribution Internationale France (CDIF) dont M. B... était également associé à hauteur de 5 %, créée en décembre 2009 et détenant la totalité des parts des sociétés luxembourgeoises ... Distribution Internationale Luxembourg (CDIL), créée en décembre 2009, et ... International Luxembourg (CIL), créée en décembre 2010. Il ressort également des énonciations de l'arrêt attaqué qu'au titre des années d'imposition en litige, la société CGSA a rémunéré la société luxembourgeoise CGL au titre de son activité d'organisation du réseau de distribution des fonds ... hors de France et que celle-ci a supporté des dépenses correspondant à la réalisation d'une prestation de promotion commerciale à l'international de ces fonds qu'elle avait confiée aux sociétés luxembourgeoises CDIL puis CIL, filiales de la société française CDIF.
4. La cour a jugé que l'interposition des sociétés CGL, CDIL, CIL et CDIF ainsi que de la société luxembourgeoise Soutra dont M. B... était l'associé unique, était constitutive d'un montage artificiel ayant pour unique objet de soustraire les sommes qui lui avaient été versées par la société CGSA au titre des actions de promotion commerciale à l'international des fonds ..., inhérentes à ses fonctions de dirigeant de cette société, à leur imposition comme revenus salariaux et d'entrer artificiellement dans les prévisions du régime d'imposition des dividendes, ce qui lui avait permis, s'agissant de ceux qui lui avaient été distribués directement par la société CDIF, en 2010 et 2011, de bénéficier de l'application du prélèvement forfaitaire libératoire prévue à l'article 117 quater du code général des impôts et, s'agissant de ceux distribués par l'intermédiaire de la société Soutra, en 2013 et 2014, d'une exonération prévue par le droit luxembourgeois.
En ce qui concerne l'interposition artificielle des sociétés CGL, CDIL, CIL, CDIF et Soutra :
5. D'une part, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société CGL n'exerçait pas l'activité de promotion commerciale à l'international des fonds ..., distincte de celle d'organisation du réseau de distribution des fonds ... à l'international pour laquelle il n'est pas contesté qu'elle était rémunérée par la société CGSA. Par ailleurs, il ressort également de ces pièces que les sociétés CDIL et CIL, à qui la société CGL avait confié la réalisation de cette prestation de promotion commerciale, n'étaient pas en mesure de l'exercer eu égard à leurs moyens matériels et humains limités et faute qu'aucun apport en industrie de la société CDIF ne soit établi. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les sociétés CDIL et CIL ont perçu de la société CGL en 2009 et en 2010, au titre de cette activité, une rémunération hors de proportion eu égard à leurs dates de création respectives, en décembre 2009 et en décembre 2010.
6. D'autre part, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la répartition des dividendes, par la société CDIF, dont la seule source de profit était constituée des distributions de ses filiales, CDIL et CIL, et qui avait pour associés, outre la société CGSA, douze dirigeants et salariés de cette société, directement ou par l'intermédiaire de structures patrimoniales qu'ils avaient créées, n'était pas fonction du pourcentage de détention capitalistique des bénéficiaires mais était décidée par un comité des résultats, constitué de M. Carmignac, président directeur général de la société CGSA et président de la société CDIF, de M. B..., directeur général délégué de la société CGSA et directeur général de la société CDIF, et de la secrétaire générale de l'équipe de direction de la société CGSA, en fonction de certains critères, dont l'activité de promotion commerciale à l'international des fonds .... Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que cette activité de promotion à l'international des fonds était distincte de celle inhérente aux fonctions des gérants de portefeuille salariés et des mandataires sociaux de la société CGSA, d'ailleurs effectivement exercée par ces derniers avant la création des sociétés luxembourgeoises CGL, CDIL et CIL et de la société CDIF.
7. En premier lieu, compte tenu de ces éléments, en jugeant que l'interposition des sociétés luxembourgeoises CGL, CDIL et CIL, de la société française CDIF et des structures patrimoniales mentionnées au point 6, présentait un caractère artificiel ayant permis à la société française CGSA de rémunérer ses dirigeants et salariés exerçant, au titre de leurs fonctions au sein de cette société, une activité de promotion commerciale à l'international des fonds ..., non pas sous la forme de traitements et salaires mais de dividendes, la cour, qui n'a remis en cause ni la substance économique des structures interposées, ni la réalité des flux financiers entre ces différentes entités, n'a pas dénaturé les pièces du dossier ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
8. En second lieu, la cour ayant écarté comme artificielle l'interposition de la société CDIF, le moyen tiré de ce qu'elle aurait commis une erreur de droit en se fondant sur la répartition inégalitaire des sommes distribuées par la société CDIF, indépendamment de la détention capitalistique des bénéficiaires, pour les requalifier en salaires, ne peut qu'être écarté. La cour n'a pas non plus commis d'erreur de droit en regardant comme inopérante la circonstance que l'activité de promotion commerciale à l'international des fonds ... aurait été financée par la société CGL sur fonds propres, au motif que l'interposition de cette société était également artificielle, dès lors qu'en tout état de cause, la société CGL n'avait pas vocation, eu égard à ce qui a été dit au point 5, à financer cette prestation pour le compte de la société CGSA.
En ce qui concerne le but exclusivement fiscal du montage artificiel :
9. En relevant que l'objectif poursuivi par M. B... était de bénéficier d'une économie d'impôt en appréhendant des revenus de nature salariale sous l'apparence de dividendes bénéficiant d'un régime d'imposition plus favorable soit, s'agissant des sommes perçues directement en 2010 et 2011, par application du prélèvement forfaitaire libératoire prévue à l'article 117 quater du code général des impôts soit, s'agissant de celles distribuées par l'intermédiaire de la société Soutra, en 2013 et 2014, d'une exonération prévue par le droit luxembourgeois, la cour a caractérisé le but exclusivement fiscal du montage artificiel en litige et, par suite, n'a pas commis d'erreur de droit. M. B... ne saurait utilement soutenir que ce montage permettait également de réduire en tout ou partie les charges sociales afférentes à ces revenus salariaux pour remettre en cause l'absence de motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales au sens et pour l'application de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 9 que la cour n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que l'interposition des sociétés CGL, CDIL, CIL, CDIF et Soutra était constitutive d'un abus de droit procédant d'un montage artificiel ayant pour motif exclusif d'éluder ou d'atténuer la charge fiscale que M. B... aurait, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, normalement supportée eu égard à ses activités réelles.
Sur les pénalités :
11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : /(...) / b. 80 % en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; elle est ramenée à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire ; / (...) ".
12. En premier lieu, eu égard à ce qui a été dit au point 10, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'administration fiscale justifiait l'application, à l'encontre de M. B..., de la majoration de 80 % prévue au b de l'article 1729 du code général des impôts.
13. En second lieu, en prononçant la décharge, au bénéfice de M. B..., des cotisations primitives de contributions sociales prélevées au titre des années 2010 et 2011 sur les sommes versées par la société CDIF, la cour a implicitement mais nécessairement prononcé la décharge de la majoration de 80 % appliquée à ces droits. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt en ne répondant pas aux conclusions de M. B... tendant à la décharge de cette majoration ne peut qu'être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Par suite, son pourvoi doit être rejeté, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 novembre 2024 où siégeaient :
M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Olivier Pau, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 29 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Pau
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :