Vu la procédure suivante :
M. D... A... et M. B... C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de délivrer au bénéfice de l'enfant mineur E... A... C..., un laissez-passer ou tout autre document de voyage lui permettant de quitter le territoire mexicain et d'entrer sur le territoire français, dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2431347 du 29 novembre 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Par une requête, un mémoire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 13, 17 et 18 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... et M. C... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 29 novembre 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris ;
2°) de faire droit à leur demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, ils sont contraints de regagner la France pour des raisons professionnelles, administratives, médicales et psychologiques après le décès de l'un des jumeaux et, d'autre part, leur fils E... risque de se retrouver seul au Mexique, sans aucune prise en charge possible sur place ;
- ils ne doivent pas être regardés comme s'étant eux-mêmes placés dans cette situation d'urgence dès lors que, d'une part, les exigences administratives en vue de la délivrance d'un laissez-passer consulaire ont été renforcées en mars 2024 et, d'autre part, les magistrats mexicains se sont mis en grève à compter du mois d'août 2024 ;
- ils n'auraient pas pu, contrairement à ce qu'a retenu la juge des référés du tribunal administratif de Paris, effectuer une déclaration de naissance de l'enfant conforme au droit français dès lors que le délai prévu à l'article 55 du code civil était dépassé au moment du refus opposé par les autorités consulaires à la demande de délivrance d'un laissez-passer, ni solliciter une transcription partielle de l'acte d'état civil mexicain à l'égard du seul père biologique dès lors que les services consulaires exigent pour ce faire l'intervention d'un jugement définitif ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit au respect de la vie privée et familiale et à l'intérêt supérieur de l'enfant, en ce que, d'une part, le lien de filiation est établi, conformément à l'article 47 du code civil et lui confère la nationalité française et, d'autre part, la circonstance que la conception de l'enfant aurait pour origine un contrat de gestation pour autrui, entaché de nullité au regard du droit français, n'empêche pas l'autorité administrative de lui délivrer un document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire français .
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 et 18 décembre 2024, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, MM. A... et C... et, d'autre part, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 18 décembre 2024, à 10 heures 45 :
- Me Gougeon, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de MM. A... et C... ;
- les représentantes du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 18 décembre à 15h, puis à 17h ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale de New-York relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le décret n° 2004-1543 du 30 décembre 2004 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que E... A... C... est né le 19 septembre 2024 au Mexique, dans le cadre d'une convention de gestation pour autrui (GPA). M. A... et M. C..., ressortissants français, munis d'un acte de naissance établi le 30 septembre 2024 par le service d'état civil de la municipalité de Tlaquepaque, apostillé et traduit en français, sur lequel ils sont inscrits en tant que parents de l'enfant, ont sollicité des services de l'ambassade de France au Mexique la délivrance d'un laissez-passer consulaire au nom de l'enfant. Par un courriel du 7 novembre 2024, les autorités consulaires ont rejeté leur demande au motif que leur dossier était incomplet. Ils relèvent appel de l'ordonnance du 29 novembre 2024 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à enjoindre au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de délivrer un laissez-passer ou tout autre document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire français avec ses parents.
En ce qui concerne l'urgence :
3. Il résulte de l'instruction que pour obtenir des autorités mexicaines la délivrance d'un acte de naissance comportant leurs deux noms, M. A... et M. C... ont entamé au Mexique une procédure juridictionnelle, reposant d'abord sur l'intervention d'un premier jugement, présenté comme provisoire, ordonnant la délivrance d'un tel acte et supposant, ensuite, l'intervention d'un autre jugement, mettant définitivement fin à la procédure. Le premier jugement est intervenu le 12 août 2024, ce qui a permis à M. A... et M. C... d'obtenir, après la naissance F..., un acte de naissance sur lequel ils figurent tous deux en tant que parents de l'enfant. Ils sont depuis le mois de septembre dans l'attente du jugement définitif, dont la date a plusieurs fois été repoussée en raison d'un mouvement de grève affectant l'ensemble des activités judiciaires au Mexique. Il résulte par ailleurs de l'instruction que M. A... et M. C... sont restés au Mexique depuis la naissance F..., alors qu'étant tous deux salariés et ayant épuisé leurs droits à congé, leurs obligations professionnelles impliquent qu'ils regagnent la France, pays dont ils ont la nationalité et où ils résident et travaillent, dans les plus brefs délais. Si le ministre fait état du fait que la délivrance du laissez-passer sera possible une fois que le jugement définitif aura été rendu, il n'est, comme il le reconnaît lui-même, pas possible de savoir quand les audiences reprendront normalement au Mexique et dans quel délai un tel jugement sera susceptible d'intervenir, la date du 30 janvier 2025 indiquée en dernier lieu à M. A... et M. C... ne pouvant être considérée comme certaine. Enfin, et en tout état de cause, le point de savoir s'il aurait été possible aux requérants d'avoir recours à un autre type de procédure pour rentrer en France avec E... n'est pas de nature à influer sur l'appréciation de l'urgence, alors que, comme l'indique le ministre, de telles procédures sont désormais impossibles sans l'intervention du jugement définitif.
4. Il résulte de ce qui précède que M. A... et M. C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de Paris a estimé que la condition d'urgence requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'était pas remplie en l'espèce.
En ce qui concerne l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
5. Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ". Aux termes de l'article 7 du décret du 30 décembre 2004 relatif aux attributions des chefs de poste consulaire en matière de titres de voyage : " Un laissez-passer peut être délivré à un Français démuni de tout titre de voyage ou de document pouvant en tenir lieu, pour un seul voyage à destination de la France, en particulier en cas d'impossibilité matérielle de lui délivrer un passeport, et après vérification de son identité et de sa nationalité française ".
6. Il résulte de l'instruction et des échanges qui ont eu lieu lors de l'audience publique, que le ministre ne soutient pas que l'acte de naissance produit par M. A... et M. C... serait irrégulier ou falsifié et il n'en remet en cause ni l'authenticité ni la portée. Il ne conteste pas davantage la réalité du recours à la GPA, ni sa licéité dans certains Etats du Mexique, ni, enfin, le fait que M. A... est le père biologique de l'enfant. La seule circonstance invoquée par le ministre, tenant à ce que le droit mexicain prévoirait, pour clore définitivement la procédure suivie par les requérants, l'intervention d'un autre jugement, est sans incidence sur l'obligation, faite à l'administration par les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, d'accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions les concernant. Dans les circonstances de l'espèce, et eu égard au fait qu'il est impossible, en raison d'un mouvement de grève dont la durée et les incidences sont imprévisibles, de savoir dans quel délai ce jugement est susceptible d'intervenir, la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant E... A... C... implique que l'autorité administrative lui délivre, à titre provisoire, tout document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire national afin de ne pas être séparé de M. A... et de M. C..., dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance.
7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du 29 novembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre des affaires étrangères de délivrer, à titre provisoire, à E... A... C... tout document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire national en compagnie de M. A... et de M. C..., dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... et M. C... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. D... A... et M. B... C... et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Fait à Paris, le 23 décembre 2024
Signé : Rozen Noguellou