Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... C... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 4 décembre 2024 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé à son encontre la sanction de déplacement d'office ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de réexaminer sa situation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard à l'atteinte grave et immédiate que porte la décision contestée, d'une part, à sa situation personnelle et familiale en raison de l'éloignement durable du foyer qu'elle implique, et, d'autre part, à sa situation financière et à sa capacité de contribuer aux frais d'études supérieures de ses enfants ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la décision contestée a été adoptée au terme d'une procédure irrégulière, dès lors, d'une part, que le principe d'impartialité a été méconnu en raison de la présence de trois représentantes de la direction des services judiciaires à l'audience disciplinaire tenue par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), alors qu'elles étaient sous l'autorité directe du garde des sceaux, ministre de la justice et ont eu une influence déterminante sur l'avis rendu et la décision prise, et d'autre part, que la représentante du garde des sceaux, ministre de la justice ne pouvait légalement saisir une seconde fois le CSM de griefs nouveaux, ce pouvoir étant réservé au Premier ministre dont la dépêche initiale avait déterminé l'étendue de la saisine du Conseil ;
- le garde des sceaux, ministre de la justice n'était pas compétent pour adopter la décision contestée, qui relevait de la compétence du Premier ministre ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit dès lors que nombre des manquements retenus ne sont pas fondés, que le caractère réitéré des manquements n'est pas établi et que son intervention dans la procédure concernant Mme E... a déjà été sanctionnée par un avertissement versé à son dossier administratif ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors, en premier lieu, qu'il ne connaissait pas encore personnellement M. D... lors de la procédure pénale impliquant ce dernier en 2018 et que la matérialité des manquements déontologiques consistant à intervenir dans une procédure pénale visant une relation amicale n'est par suite pas établie à raison du classement sans suite de cette première procédure, en deuxième lieu, qu'il n'a pas fait usage de sa qualité de magistrat dans le cadre de la procédure n° 2019/7622 et qu'il n'avait pas été relevé de manquements au moment de l'enquête administrative concernant cette procédure, en troisième lieu, qu'il n'a retiré aucun bénéfice particulier de l'orientation choisie consistant à indemniser les dégradations causées par Mme A..., en quatrième lieu, que son intervention dans le cadre de la procédure visant M. D... suivant la plainte du 28 septembre 2021 n'a procuré aucun avantage à ce dernier et le classement de cette procédure en 2024 ne résulte que de faits de négligence de sa part et, en dernier lieu, qu'il a fait preuve de bonne foi ;
- la sanction est disproportionnée au vu, d'une part, de l'absence de manquement réitéré à la probité et à l'intégrité et d'abus de fonctions, d'autre part, de sa manière de servir durant sa carrière, et enfin, des conséquences sur sa situation personnelle, familiale et financière.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
- le décret n° 2024-19 du 11 janvier 2024 pris en application de l'article 2-1 du décret n° 59-178 du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres de saisir le Conseil supérieur de la magistrature ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.
2. M. B... C..., né le 11 juin 1962, a intégré la magistrature par le concours exceptionnel de l'année 1999. Il a exercé, entre 2004 et 2009, les fonctions de substitut près le tribunal de grande instance de Grasse, avant d'être nommé vice-procureur placé auprès du procureur général près la cour d'appel d'Angers, puis vice-procureur près le tribunal de grande instance de Nice. Il exerce, depuis le 4 janvier 2016, les fonctions de procureur de la République adjoint près le tribunal judiciaire de Grasse. Par une décision du 4 novembre 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, après avoir recueilli l'avis du Conseil supérieur de la magistrature, a retenu que M. C... avait commis plusieurs manquements aux devoirs d'impartialité, d'intégrité et de probité, ainsi que des manquements à ses devoirs de loyauté et de délicatesse, constitutifs de fautes disciplinaires, notamment en intervenant en plusieurs occasions, sans en informer sa hiérarchie, dans le traitement de procédures pénales l'intéressant personnellement ou concernant une de ses relations amicales. Après avoir estimé que ces manquements étaient récurrents et en lien direct avec l'ancrage de M. C... à Grasse et qu'étant connus de sa collectivité de travail, des services enquêteurs et de certains justiciables, ils entachaient l'autorité et la crédibilité nécessaires à l'exercice de ses fonctions sur le ressort du tribunal judiciaire de Grasse dans des conditions incompatibles avec leur poursuite, le garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé à son encontre la sanction de déplacement d'office, en application du 2° de l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. M. C... demande au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre l'exécution de cette décision.
3. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
4. Pour caractériser l'existence d'une situation d'urgence, M. C... fait valoir que la mesure contestée aura pour conséquence sa nomination dans le ressort d'une autre juridiction, qu'il serait envisagé de l'affecter au tribunal judiciaire de Saint-Etienne ou à celui de Dijon, et qu'ainsi, la sanction de déplacement d'office prononcée à son encontre porte atteinte à sa situation familiale et financière. Toutefois, ni les désagréments familiaux qu'il invoque, liés à l'éloignement de sa future affectation avec sa résidence située près de Grasse, où son épouse exerce une activité professionnelle et entend continuer de demeurer, en compagnie de leur plus jeune fils né en 2008, ni les frais de logement et de transport liés à ce déplacement, dont M. C... allègue qu'ils grèveront négativement leur budget familial alors que celui-ci est largement consacré aux études supérieures de leurs autres enfants, ne constituent des circonstances de nature à caractériser une situation d'urgence telle qu'elle justifie, sans attendre le jugement au fond de la requête tendant à l'annulation de cette mesure, la suspension de l'exécution de la décision de déplacement d'office prononcée à l'encontre de M. C..., alors en outre que le Conseil supérieur de la magistrature a relevé, dans son avis, que l'autorité de M. C... et la confiance de son entourage professionnel dans le ressort du tribunal judiciaire de Grasse avaient été fragilisés.
5. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence de moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la mesure contestée, la requête de M. C... doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... C....
Copie en sera adressée au garde des sceaux, ministre de la justice.
Fait à Paris, le 16 janvier 2025
Signé : Emilie Bokdam-Tognetti