Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 2 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 19 septembre 2024 par laquelle la formation restreinte du conseil national de l'ordre des médecins l'a suspendu pour une durée de seize mois du droit d'exercer la médecine et a subordonné la reprise de son exercice professionnel à la justification d'obligations de formation définies dans la décision ;
2°) de mettre à la charge du conseil national de l'ordre des médecins la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors, d'une part, que la décision contestée le prive de sa seule source de revenus et l'empêche de satisfaire aux besoins de la vie courante et à l'éducation et l'entretien de ses deux jeunes filles de 8 et 10 ans et, d'autre part, que l'abandon de son cabinet pour seize mois lui fait perdre sa patientèle libérale ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'a pas disposé du libre choix de l'expert qu'il lui revenait de désigner pour la réalisation de la seconde expertise, la formation restreinte du conseil national de l'ordre des médecins ayant limité géographiquement le choix des experts à ceux de la seule région Pays de la Loire, ce qui l'a privé d'une garantie et a porté atteinte au respect de ses droits de la défense ;
- elle est entachée d'une erreur de fait dès lors que la formation restreinte du conseil national de l'ordre des médecins a considéré que le rapport d'expertise du 12 avril 2024 était incomplet en ce qu'il n'évaluait pas ses compétences théoriques et pratiques ;
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation et d'une erreur d'appréciation dès lors que la formation restreinte a refusé de prendre en compte et d'analyser les conclusions du rapport d'expertise du 12 avril 2024 et a considéré, sur la base de la seconde expertise, qu'une insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de sa spécialité était caractérisée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2025, le conseil national de l'ordre des médecins conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A..., et d'autre part, le conseil national de l'ordre des médecins ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 16 janvier 2025, à 15 heures :
- Me Richard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;
- M. A... ;
- Me de Mecquenem, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du conseil national de l'ordre des médecins ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au lundi 20 janvier 2025 à 16 heures.
De nouvelles pièces ont été déposées par M. A..., par un mémoire enregistré le 17 janvier 2025.
De nouvelles observations ont été présentées par le conseil national de l'ordre des médecins, par un mémoire enregistré le 20 janvier 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Aux termes de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique : " En cas d'urgence, lorsque la poursuite de son exercice par un médecin (...) expose ses patients à un danger grave, le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel prononce la suspension immédiate du droit d'exercer pour une durée maximale de cinq mois. (...)/Le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel informe immédiatement de sa décision le président du conseil départemental compétent et saisit sans délai le conseil régional ou interrégional lorsque le danger est lié à (...) l'insuffisance professionnelle du praticien (...). Le conseil régional (...) statue dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. En l'absence de décision dans ce délai, l'affaire est portée devant le Conseil national (...), qui statue dans un délai de deux mois. A défaut de décision dans ce délai, la mesure de suspension prend fin automatiquement. /(...)". Aux termes de l'article R. 4124-3-5 de ce code : " I.- En cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional (...) pour une période déterminée, qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée./ Le conseil régional (...) est saisi à cet effet (...) par le directeur général de l'agence régionale de santé (...). II. -La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional (...) dans les conditions suivantes : 1° Pour les médecins, le rapport est établi par trois médecins qualifiés dans la même spécialité que celle du praticien concerné désignés comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional (...) et le troisième par les deux premiers experts. (...). IV. Les experts procèdent ensemble, sauf impossibilité manifeste, à l'examen des connaissances théoriques et pratiques du praticien. Le rapport d'expertise est déposé au plus tard dans le délai de six semaines à compter de la saisine du conseil. Il indique les insuffisances relevées au cours de l'expertise, leur dangerosité et préconise les moyens de les pallier par une formation théorique et, si nécessaire, pratique. (...) VI.- Si le conseil régional (...) n'a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l'affaire est portée devant le Conseil national de l'ordre./ VII.- La décision de suspension temporaire du droit d'exercer pour insuffisance professionnelle définit les obligations de formation du praticien./La notification de la décision mentionne que la reprise de l'exercice professionnel par le praticien ne pourra avoir lieu sans qu'il ait au préalable justifié auprès du conseil régional (...) avoir rempli les obligations de formation fixées par la décision ".
3. Il résulte de l'instruction que M. A..., de nationalité roumaine, médecin qualifié spécialiste en gynécologie-obstétrique en 2009, exerce son activité en France depuis 2011, principalement dans le cadre de remplacements ponctuels au sein de différents centres hospitaliers pour assurer des astreintes en obstétrique et des consultations d'urgence en gynécologie. A la suite du signalement de deux évènements indésirables graves mettant en cause la pratique médicale de M. A..., la directrice de l'agence régionale de santé d'Auvergne-Rhône-Alpes a, d'une part, saisi, le 30 janvier 2024, la formation restreinte du conseil régional de l'ordre des médecins d'Auvergne-Rhône-Alpes, sur le fondement de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique, afin qu'il soit procédé à une expertise des compétences professionnelles de l'intéressé et, d'autre part, prononcé, le 16 février 2024, la suspension du droit d'exercer de celui-ci sur le fondement de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, pour une durée de cinq mois, à compter du 19 février 2024. Faute pour la formation restreinte du conseil régional de l'ordre des médecins d'avoir statué dans un délai de deux mois, l'affaire a été portée devant la formation restreinte du conseil national. Estimant que l'expertise réalisée à la demande de l'instance régionale était incomplète, l'instance nationale a, par une décision du 14 mai 2024, ordonné la réalisation d'une nouvelle expertise. Par une décision du 19 septembre 2024, cette formation a, sur la base de cette seconde expertise, suspendu le droit d'exercer la médecine de M. A... pour une durée de seize mois et défini les obligations de formation auxquelles il devait se soumettre avant d'être le cas échéant autorisé à reprendre son activité. M. A... demande la suspension de cette décision dont il a également demandé l'annulation pour excès de pouvoir.
4. Lorsqu'un praticien suspendu en application de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique saisit le juge administratif d'une demande de suspension de cette décision par la voie du référé, il appartient à celui-ci, afin d'apprécier si la condition d'urgence est remplie, de prendre en considération non seulement la situation et les intérêts du praticien, mais aussi l'intérêt général qui s'attache au respect des exigences de la santé publique et de la sécurité des patients, qui sont susceptibles de justifier, même en l'absence de poursuites disciplinaires, que ce praticien soit invité à compléter et actualiser ses connaissances et à approfondir sa pratique professionnelle, avant de pouvoir reprendre le cours normal de ses activités.
5. Il résulte de l'instruction que la mise en œuvre de la procédure prévue à l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique a été initiée par la directrice de l'agence régionale de santé d'Auvergne-Rhône-Alpes à la suite de deux déclarations d'éléments indésirables graves associés aux soins mettant en cause la pratique médicale de M. A..., alors recruté en qualité d'intérimaire au centre hospitalier du Puy-en-Velay pour une mission allant du 2 au 5 août 2023, faisant état de la mise en danger du pronostic vital d'une parturiente dans la nuit du 2 au 3 août et de celle d'un nourrisson dans la soirée du 3 août. Si la première expertise réalisée à la demande de la formation restreinte du conseil régional de l'ordre des médecins a conclu à l'absence d'insuffisance professionnelle et à ce qu'il soit mis fin sans délai à la suspension temporaire d'exercice du 16 février 2024 prononcée par la directrice de l'agence régionale de santé à l'encontre de M. A..., la formation restreinte du conseil national a estimé que cette expertise n'avait pas évalué les connaissances théoriques et pratiques de l'intéressé et ne lui permettait pas d'être éclairée utilement quant à l'absence de dangerosité d'exercice de celui-ci. La seconde expertise réalisée à la demande de l'instance nationale par des experts ressortant, dans un souci d'impartialité, de la région des Pays de la Loire dans laquelle le praticien n'avait jamais exercé, relève, de manière unanime, que le niveau de M. A... " n'est même pas celui d'un interne de fin de 2ème année de spécialité ", " qu'on ne peut attendre (...) qu'il y ait un accident grave engageant la vie d'une patiente ou de son nouveau-né pour s'inquiéter ", " qu'on ne peut passer sous silence ses insuffisances en termes de connaissances théoriques et pratiques de la spécialité et le risque pris auprès des patientes dont il a la charge lors d'astreintes opérationnelles depuis de nombreuses années " et qu'une " formation intensive d'au minimum un an " est nécessaire " avant de pouvoir réexercer dans des hôpitaux publics ou privés ". Il résulte également de l'instruction que la mesure de suspension attaquée et l'obligation de formation à laquelle est conditionnée la reprise d'activité de M. A... ont été décidées par la formation restreinte du conseil national de l'ordre des médecins en considération du danger qui s'attachait à la poursuite, par celui-ci, de l'exercice de la spécialité de gynécologie-obstétrique. Par suite, si, pour justifier de l'urgence à suspendre l'exécution de la décision qu'il conteste, M. A... fait état des difficultés financières auxquelles il doit faire face compte tenu de la privation de la totalité de sa rémunération, les exigences de sauvegarde de la sécurité des patientes et de la qualité des soins qui leur sont dispensés conduisent, en l'état de l'instruction, à regarder la condition d'urgence, appréciée globalement, comme n'étant pas satisfaite.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le sérieux des moyens invoqués au soutien de la requête en annulation, que les conclusions de M. A... tendant à la suspension de la décision litigieuse doivent être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au conseil national de l'ordre des médecins.
Fait à Paris, le 27 janvier 2025
Signé : Anne Egerszegi