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28/01/2025 | FRANCE | N°500847

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 28 janvier 2025, 500847


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 et 26 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Feyenoord Rotterdam N.V., l'Association nationale des supporteurs (ANS), le Football Supporters Europe eV (FSE), l'association Feyenoord Supportersvereniging De Feijenoorder et l'association Supporterscollectief Nederland demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :



1°) à titre principal, d

e suspendre l'exécution, d'une part, de l'arrêté du ministre de l'intérieur ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 et 26 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Feyenoord Rotterdam N.V., l'Association nationale des supporteurs (ANS), le Football Supporters Europe eV (FSE), l'association Feyenoord Supportersvereniging De Feijenoorder et l'association Supporterscollectief Nederland demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, de suspendre l'exécution, d'une part, de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 21 janvier 2025 portant interdiction de déplacement des supporters du club de football du Feyenoord Rotterdam lors de la rencontre du mercredi 29 janvier 2025 à 21 heures avec le Lille Olympique Sporting Club (LOSC) et, d'autre part, de l'arrêté du préfet du Nord du 13 janvier 2025 portant interdiction de stationnement et de circulation sur la voie publique dans le périmètre du Décathlon Arena - stade Pierre Mauroy et dans un périmètre de la ville de Lille à l'occasion du match de football du mercredi 29 janvier 2025 opposant le LOSC au Feyenoord ;

2°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de ces arrêtés en ce qu'ils visent les personnes se prévalant de la qualité de supporter du club de Feyenoord Rotterdam ou se comportant comme tel, munies de billets valables donnant accès à l'espace visiteurs du stade et participant au déplacement organisé en autocar ;

3°) d'ordonner toute mesure de nature à préserver les libertés fondamentales des supporters visiteurs ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, la rencontre sportive a lieu dans quelques jours et, d'autre part, il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, la liberté de réunion, la liberté d'expression et à la liberté d'association ;

- les arrêtés sont entachés d'erreurs de fait et ne sont pas rendus nécessaires par des circonstances de temps et de lieu précises et probables dès lors que le risque de troubles graves à l'ordre public n'est pas avéré en ce que, en premier lieu, il n'existe aucun antécédent ni rivalité entre les supporters des deux équipes, en deuxième lieu, les autocars ne rouleraient qu'une dizaine de kilomètres sur le territoire français avec des stadiers et des policiers néerlandais, les supporters du Feyenoord seraient installés dans un espace sécurisé, autonome et inviolable dans le stade dans lequel aucun incident n'est jamais intervenu et où des palpations de sécurité seraient pratiquées et, en dernier lieu, il est exclu que des supporters rejoignent Lille l'avant-veille du match dans le but de se confronter à des supporters lillois ;

- les mesures contestées sont manifestement disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi, dès lors que, d'une part, il peut être atteint en interdisant l'accès au périmètre visé à toute personne démunie de billet et ne prenant pas part au trajet organisé en autocar pour la rencontre et, d'autre part, il n'est pas justifié de l'insuffisance des forces de l'ordre nécessaire pour encadrer l'évènement tandis que le nombre de stadiers, de salariés du club responsables de l'organisation des déplacements des supporters et des représentants de la sécurité du club de Feyenoord est important, ni de l'impossibilité de prendre des mesures individuelles ;

- elles sont contraires au principe d'égalité dès lors que l'interdiction ne s'applique pas aux supporters dits " de catégorie 1 ".

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- le code du sport ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le Feyenoord Rotterdam N. V. et autres et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 27 janvier 2025, à 10 heures :

- les représentants du Feyenoord Rotterdam N. V. et autres ;

- la représentante du ministre de l'intérieur ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-1 du code du sport : " Le ministre de l'intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait qui la motivent ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s'applique ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-2 du même code : " Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, restreindre la liberté d'aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s'applique ".

3. Les interdictions que le ministre de l'intérieur et le représentant de l'Etat dans le département peuvent décider, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, constituent des mesures de police administrative. L'existence d'une atteinte à l'ordre public de nature à justifier de telles interdictions doit être appréciée objectivement, indépendamment du comportement des personnes qu'elles visent dès lors que leur seule présence serait susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public, tant au cours de leur déplacement que sur le lieu de la manifestation sportive. Il appartient à l'administration de justifier dans le détail, devant le juge, le recours aux interdictions prises sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2 tant au regard de la réalité des risques de troubles graves pour l'ordre public qu'elles visent à prévenir que de la proportionnalité des mesures. Il incombe au juge des référés d'apprécier les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce et de ne faire usage des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sur le fondement desquelles il est saisi que lorsque l'illégalité invoquée présente un caractère manifeste.

4. Le mercredi 29 janvier 2025 à 21 heures, un match de football opposant l'équipe du Lille Olympique Sporting Club (LOSC) à l'équipe du Feyenoord Rotterdam dans le cadre de la 8ème journée de l'UEFA Champions League aura lieu au Décathlon Arena -stade Pierre Mauroy, à Lille. Par un arrêté du 13 janvier 2025, le préfet du Nord a interdit, à l'occasion de ce match, la présence sur la voie publique, dans un périmètre qu'ils ont délimité aux abords du stade, de toute personne se prévalant de la qualité de supporter du Feyenoord Rotterdam ou se comportant comme tel, ainsi que, dans le même périmètre, l'introduction, la détention et le transport de tout objet susceptible de constituer une arme ou un projectile ainsi que l'introduction, la détention, le transport et la consommation sur la voie publique de boissons alcooliques. Par un arrêté du 21 janvier 2025 le ministre de l'intérieur a interdit le déplacement individuel ou collectif, par tout moyen, des mêmes personnes entre les points de passage frontalier routiers, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires français et les communes de Villeneuve-d'Ascq, de Lezennes et de Lille. Le Feyenoord Rotterdam N.V. et autres demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de ces arrêtés.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté que le club du Feyenoord Rotterdam compte parmi ses supporteurs de nombreux individus ayant lors des rencontres de leur équipe des comportements très violents et qui sont d'ailleurs plusieurs centaines à être interdits de stade aux Pays-Bas. Plusieurs rencontres internationales de ce club à l'étranger ont ainsi donné lieu, jusqu'à récemment en 2021 et 2022, à de violents affrontements entre supporters. Les requérantes font cependant valoir que le club du Feyenoord Rotterdam a mis en place un dispositif d'acheminement par autocars et d'encadrement des 2 400 supporters ayant acquis les billets alloués au club, qui seront directement déposés dans l'enceinte sécurisée d'accueil des visiteurs du stade de Lille, d'où ils seront conduits aux places qui leur sont réservées, sans avoir la possibilité de quitter le stade, de sorte qu'au moins pour les supporters munis de billets et acheminés par les autocars affrétés par le club, les mesures d'interdiction seraient disproportionnées. Toutefois, s'il résulte de l'instruction que les plus grands risques de troubles à l'ordre public émanent des supporters dépourvus de billets se rendant à Lille par leurs propres moyens pour assister au match dans les débits de boisson du centre-ville, la présence d'un grand nombre de supporters du club dans le stade et la perspective de la venue, facilitée par la proximité géographique des deux villes, d'un nombre évalué à un millier de supporters dépourvus de billets dont un certain nombre présente, ainsi qu'il a été dit, un fort risque pour la sécurité publique, aux abords du stade et dans le centre-ville, est de nature, comme le fait valoir le ministre, à rendre difficile la mobilisation des forces de l'ordre pour assurer l'ordre public en ces différents points de la métropole lilloise. Dans ces circonstances, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir qu'en prenant les mesures d'interdiction litigieuses, le ministre de l'intérieur et le préfet du Nord auraient porté aux libertés fondamentales des personnes entendant se prévaloir de la qualité de supporter de l'équipe du Feyenoord Rotterdam ou se comportant comme telle une atteinte manifestement illégale.

6. En second lieu, les associations requérantes ne peuvent utilement soutenir que les arrêtés litigieux porteraient atteinte au principe d'égalité en permettant aux visiteurs titulaires des places CAT 1 prévues par le règlement UEFA et attribuées notamment aux familles des joueurs et aux sponsors d'assister à la rencontre, dès lors qu'il ressort des arrêtés qu'ils s'appliquent à toute personne de se prévalant de la qualité de supporter du club du Feyenoord Rotterdam, sans exception.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du Feyenoord Rotterdam N.V. et autres est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au Feyenoord Rotterdam N.V., premier requérant dénommé, et au ministre de l'intérieur.

Fait à Paris, le 28 janvier 2025

Signé : Gilles Pellissier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 500847
Date de la décision : 28/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 jan. 2025, n° 500847
Origine de la décision
Date de l'import : 30/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:500847.20250128
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