Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 10 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association pour la défense du droit au recours (ADDR) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande du 13 février 2024 tendant à l'abrogation de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, de l'alinéa 10 de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965 relatif aux délais de recours contentieux en matière administrative ainsi que des articles L. 112-2 et L. 112-7 du code des relations entre le public et l'administration ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de modifier ces dispositions dans un délai de six mois à compter de la décision à intervenir ;
3°) de préciser que, dans l'attente de cette nouvelle réglementation complémentaire expresse, la décision à intervenir a nécessairement pour conséquence que les délais de recours ne sont pas opposables aux auteurs, ayant la qualité d'agents publics, d'une demande tendant à l'adoption d'une décision présentant un caractère individuel sur laquelle l'administration a gardé le silence et à la connaissance desquels les délais et les voies de recours n'ont pas été portés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 38 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 ;
- l'ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 ;
- le décret n° 65-29 du 11 janvier 1965 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aurélien Caron, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'association pour la défense du droit au recours (ADDR) a saisi le Premier ministre d'une demande tendant uniquement à l'abrogation de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, de l'alinéa 10 de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965 relatif aux délais de recours contentieux en matière administrative ainsi que de l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration. Sa demande ne peut être regardée comme tendant également, par voie de conséquence, à l'abrogation de l'article L. 112-7 du code des relations entre le public et l'administration. Il s'en suit que les conclusions de l'ADDR tendant à l'annulation du refus du Premier ministre d'abroger ces dernières dispositions ne sont pas recevables, faute de demande préalable en ce sens adressée à l'administration.
2. En deuxième lieu, l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que ne sont applicables aux relations entre l'administration et ses agents ni les dispositions de l'article L. 112-3 de ce code, aux termes desquelles : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception ", ni celles de son article L. 112-6 qui dispose que : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation (...) ".
3. L'article 38 de la Constitution dispose, dans son premier alinéa, que le gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, " pendant un délai limité ", des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Selon le deuxième alinéa de l'article 38, les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat et le même alinéa précise qu'elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement " avant la date fixée par la loi d'habilitation ". En vertu du troisième alinéa de cet article, à l'expiration du délai consenti par la loi d'habilitation, " les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif ".
4. Il résulte de ces dispositions que si une ordonnance prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution conserve, aussi longtemps qu'elle n'a pas été ratifiée, le caractère d'un acte administratif, celles de ses dispositions qui relèvent du domaine de la loi, si elles peuvent être contestées par voie d'exception à l'occasion de leur application, ne peuvent plus, après l'expiration du délai de l'habilitation conférée au gouvernement, être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d'une nouvelle habilitation qui serait donnée au gouvernement. L'expiration du délai fixé par la loi d'habilitation fait ainsi obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire fasse droit à une demande d'abrogation portant sur les dispositions d'une ordonnance relevant du domaine de la loi, quand bien même elles seraient entachées d'illégalité.
5. Les dispositions de l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration sont issues de l'ordonnance du 23 octobre 2015 relative aux dispositions législatives du code des relations entre le public et l'administration, prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution en vertu d'une habilitation donnée par l'article 3 de la loi du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens et non ratifiée. Cette habilitation n'était consentie, selon le IV du même article, que pour une durée de vingt-quatre mois à compter de la promulgation de cette loi, soit jusqu'au 13 novembre 2015. L'habilitation donnée au pouvoir réglementaire ayant cessé de produire effet à cette date et les dispositions de l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration étant intervenues, notamment en ce qu'elles s'appliquent aux collectivités territoriales, dans une matière qui relève du domaine législatif, la demande par laquelle l'ADDR a, le 13 février 2024, sollicité l'abrogation de ces dispositions ne pouvait, quels qu'en fussent les motifs, être accueillie.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. " Aux termes du dernier alinéa de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965 relatif aux délais de recours contentieux en matière administrative : " Les délais de recours ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".
7. La circonstance que les dispositions de l'article R. 421-5 du code de justice administrative et celles du dernier alinéa de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965 relatif aux délais de recours contentieux en matière administrative, citées au point précédent, ne trouvent application qu'en cas de notification d'une décision explicite de rejet et ne peuvent par conséquent faire échec à l'opposabilité des délais de recours contre une décision implicite de rejet ne porte atteinte ni aux principes d'égalité devant la loi et devant la justice garantis par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ni au droit d'exercer un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de cette déclaration et par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni au droit à un procès équitable garanti par les stipulations de l'article 6 de cette convention et ne crée aucune discrimination en méconnaissance des stipulations combinées des articles 6, 13 et 14 de cette même convention dès lors que cette différence de traitement se borne à tirer les conséquences, s'agissant des règles d'introduction des recours contentieux à leur encontre, de la différence existant entre une décision implicite et une décision explicite de rejet.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice, que les conclusions de l'association requérante tendant à l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle refuse d'abroger les dispositions des articles L. 112-2 et L. 112-7 du code des relations entre le public et l'administration, de l'article R. 421-5 du code de justice administrative et du dernier alinéa de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965 relatif aux délais de recours contentieux en matière administrative doivent être rejetées. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association pour la défense du droit au recours est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association pour la défense du droit au recours, au Premier ministre et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.