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02/04/2025 | FRANCE | N°502636

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 02 avril 2025, 502636


Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre, à titre principal, à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ou, à titre subsidiaire, au préfet de la Loire-Atlantique ou, à titre infiniment subsidiaire, au conseil départemental, de lui indiquer un lieu susceptible de l'héberger, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous as

treinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2504028...

Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre, à titre principal, à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ou, à titre subsidiaire, au préfet de la Loire-Atlantique ou, à titre infiniment subsidiaire, au conseil départemental, de lui indiquer un lieu susceptible de l'héberger, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2504028 du 7 mars 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a, d'une part, enjoint au président du conseil départemental de la Loire-Atlantique de désigner à Mme B... un lieu d'hébergement d'urgence susceptible de l'accueillir, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de l'ordonnance et, d'autre part, rejeté le surplus de sa demande.

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de la Loire-Atlantique demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 7 mars 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'ordonnance contestée est entachée d'irrégularité, en premier lieu, pour être datée du 7 mars 2025 alors qu'elle a été rendue et notifiée le 6 mars 2025, en deuxième lieu, pour avoir fait droit aux conclusions subsidiaires de la requérante sans avoir préalablement statué sur ses conclusions principales et, en dernier lieu, pour être insuffisamment motivée en ce qu'elle ne précise pas en quoi la prise en charge de sa situation ne relève pas de la compétence de l'OFII ;

- c'est à tort que le juge des référés lui a enjoint de désigner un hébergement d'urgence susceptible d'accueillir Mme B... alors qu'il incombe à l'OFII de poursuivre la prise en charge dont elle a bénéficié en sa qualité de demandeuse d'asile, conformément aux articles L. 552-2, L. 552-8, L. 551-11 et L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- c'est à tort que le juge des référés a retenu que les conditions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative étaient réunies dès lors, d'une part, qu'il n'a pas constaté que Mme B... était isolée au sens du 4° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles et, d'autre part, que l'urgence et la carence caractérisée du département ne sont pas établies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2025, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis hors de cause. Il soutient que Mme B... étant enceinte, il appartient au département, en application de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, de lui désigner un lieu d'hébergement d'urgence susceptible de l'accueillir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2025, Mme B... conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de lui indiquer un lieu susceptible de l'héberger, dans un délai de quarante-huit heures, à compter de la décision juridictionnelle à intervenir. Elle soutient que la condition d'urgence était remplie, que la carence du département à son égard caractérisait une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à un hébergement d'urgence, à son droit à la vie privée et familiale et à son droit au respect de la dignité humaine et que si l'ordonnance querellée n'était pas confirmée, il conviendrait de constater que l'OFII a, compte tenu de sa vulnérabilité, porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à un hébergement d'urgence en qualité de demandeuse d'asile.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le département de la Loire-Atlantique et, d'autre part, l'Office français de l'immigration et de l'intégration et Mme B... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 31 mars 2025, à 11 heures :

- Me Pinet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du département de la Loire-Atlantique ;

- Me Doumic-Seiller, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de Mme B... ;

à l'issue de laquelle la juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Le département de la Loire-Atlantique relève appel de l'ordonnance du 7 mars 2025 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint au président du conseil départemental de désigner un lieu d'hébergement d'urgence susceptible d'accueillir Mme B..., dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de ladite ordonnance.

2. Aux termes de l'article R. 742-2 du code de justice administrative : " Les ordonnances (...) font apparaître la date à laquelle elles ont été signées ". L'article R. 742-6 du même code dispose que : " Sous réserve de l'application du dernier alinéa de l'article R. 522-13 et par dérogation à l'article R. 741-1, les ordonnances sont réputées prononcées dès leur signature ".

3. Il résulte des mentions portées sur l'ordonnance attaquée qu'elle est datée du 7 mars 2025 alors qu'il résulte des pièces du dossier de première instance qu'elle a été notifiée aux parties par une lettre du 6 mars mise effectivement à leur disposition le même jour, par l'intermédiaire de l'application Télérecours, ainsi qu'en atteste l'accusé de mise à disposition établi par l'application. L'erreur qui affecte ainsi nécessairement la date de signature portée sur la minute de l'ordonnance entache d'irrégularité cette dernière. Par suite, l'ordonnance du 7 mars 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes doit être annulée.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes.

5. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'avant d'être prise en charge par une structure relevant du département de la Loire-Atlantique en exécution de l'injonction prononcée par l'ordonnance annulée, Mme B..., enceinte d'une grossesse gémellaire dont le terme normal est fixé au début du mois du mai, ne bénéficiait d'aucun hébergement pérenne et déclarait avoir perdu les hébergements ponctuels dont elle avait disposé jusque-là auprès de connaissances. Dans ces conditions, eu égard à la situation de précarité et de vulnérabilité qui est la sienne, la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

7. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 552-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les lieux d'hébergement mentionnés à l'article L. 552-1 accueillent les demandeurs d'asile pendant la durée d'instruction de leur demande d'asile ou jusqu'à leur transfert effectif vers un autre Etat européen ". Aux termes de l'article L. 552-8 du même code : " L'Office français de l'immigration et de l'intégration propose au demandeur d'asile un lieu d'hébergement. / Cette proposition tient compte des besoins, de la situation personnelle et familiale de chaque demandeur au regard de l'évaluation des besoins et de la vulnérabilité prévue au chapitre II du titre II, ainsi que des capacités d'hébergement disponibles et de la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région ". Enfin, aux termes de l'article L. 552-9 de ce code : " Les décisions d'admission dans un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile ainsi que les décisions de changement de lieu, sont prises par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, après consultation du directeur du lieu d'hébergement, sur la base du schéma national d'accueil des demandeurs d'asile et, le cas échéant, du schéma régional prévus à l'article L. 551-2 et en tenant compte de la situation du demandeur ".

8. D'autre part, aux termes de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : / (...) 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile. (...) ". Il résulte de l'article L. 221-2 de ce code que le département doit notamment disposer de " possibilités d'accueil d'urgence " ainsi que de " structures d'accueil pour les femmes enceintes et les mères avec leurs enfants ".

9. S'il résulte des dispositions de l'article L. 552-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'hébergement des demandeurs d'asile incombe à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, il résulte des dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles que la prise en charge, qui inclut l'hébergement, le cas échéant en urgence, des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile, incombe au département et non aux services de l'Etat. Pour faire face à une situation d'urgence, un département peut ainsi devoir prendre en charge, dans une structure adaptée à cet effet, une femme enceinte ou une mère isolée ayant à charge un ou des enfants de moins de trois ans, qui, bien que demandeuse d'asile et bénéficiant, à cet effet, des conditions matérielles d'accueil, n'est pas effectivement hébergée dans une structure relevant de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, le temps strictement nécessaire à ce qu'une place dans une telle structure lui soit trouvée.

10. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de leurs missions respectives peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tant de la part d'un département que de la part de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par chacune de ces deux administrations en tenant compte des moyens dont elles disposent ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

11. Il est constant que Mme B... est toujours en droit de bénéficier des conditions matérielles d'accueil prévues en faveur des demandeurs d'asile, dès lors qu'elle a formé, le 11 mars 2025, une demande d'aide juridictionnelle pour contester devant la Cour nationale du droit d'asile la décision par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides français a rejeté sa demande d'asile, selon la procédure ordinaire. Si, à l'occasion de l'entretien aux fins d'évaluation de sa vulnérabilité, réalisé le 28 août 2024, à son arrivée sur le territoire français, elle ne se trouvait pas alors enceinte et si elle n'a pas avisé les services de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de son état de grossesse dès qu'elle en a eu connaissance, il résulte de l'instruction que son conseil a pris contact, par courriels avec les services de l'office, dès le 19 février 2025, date à partir de laquelle elle s'est trouvée dans un état de grande vulnérabilité du fait tant de l'état d'avancement de sa grossesse gémellaire que de la perte des solutions ponctuelles d'hébergement dont elle avait pu disposer jusque-là et du caractère infructueux de ses appels multipliés à la ligne téléphonique dédiée à cet effet au n° 115 pour obtenir une mise à l'abri. Eu égard à cette situation de grande vulnérabilité, la carence de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à son égard est de nature à constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Mme B... est ainsi fondée à demander, à titre principal, qu'il soit enjoint à l'office, de lui de proposer, dans les meilleurs délais, une place d'hébergement dans une structure mentionnée à l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

12. Toutefois, dès lors qu'une telle injonction est susceptible de ne pouvoir être immédiatement satisfaite par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, et eu égard à l'urgence que requiert la situation de Mme B..., il y a également lieu d'enjoindre non aux services de l'Etat, ainsi qu'elle le demande, en premier lieu à titre subsidiaire, mais au département de la Loire-Atlantique, ainsi qu'elle le demande en second lieu, de lui désigner, pendant le temps strictement nécessaire à ce qu'une place d'hébergement dans une structure mentionnée à l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lui soit trouvée, un lieu d'hébergement d'urgence, dans les conditions prévues par l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, lequel peut, au demeurant, être la structure dans laquelle elle a été hébergée, en exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes.

13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir ces injonctions du prononcé d'une astreinte.

14. Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande du département de la Loire-Atlantique tendant à ce qu'il soit mis à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes du 7 mars 2025 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de proposer, dans les meilleurs délais, une place d'hébergement à Mme B... dans une structure mentionnée à l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Article 3 : Il est enjoint au président du conseil départemental de la Loire-Atlantique de désigner un lieu d'hébergement d'urgence susceptible d'accueillir Mme B..., pendant le temps strictement nécessaire au respect par l'Office français de l'immigration et de l'intégration de l'injonction prononcée à l'article 1er.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme B... et les conclusions présentées par le département de la Loire-Atlantique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au département de la Loire-Atlantique, à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à Mme A... B....

Fait à Paris, le 2 avril 2025

Signé : Laurence Helmlinger


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 502636
Date de la décision : 02/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 02 avr. 2025, n° 502636
Composition du Tribunal
Avocat(s) : CABINET FRANÇOIS PINET ; SCP DOUMIC-SEILLER

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:502636.20250402
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