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08/04/2025 | FRANCE | N°502945

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 08 avril 2025, 502945


Vu la procédure suivante :



M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution des arrêtés du 14 mars 2025 par lesquels le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion du territoire français et a fixé le pays de renvoi.



Par une ordonnance n° 2507875 du 25 mars 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant dans les conditions prévues au troisi

ème alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande....

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution des arrêtés du 14 mars 2025 par lesquels le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion du territoire français et a fixé le pays de renvoi.

Par une ordonnance n° 2507875 du 25 mars 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande.

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 29 mars et le 3 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de le convoquer afin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'ordonnance attaquée est irrégulière en ce que les juges des référés du tribunal administratif de Paris ont commis une erreur de droit et méconnu l'étendue de leur compétence en faisant application de l'arrêté d'expulsion du 7 janvier 2025 pour retenir l'irrégularité de son séjour en France, alors même que cet arrêté avait été abrogé en toutes ses dispositions, y compris en tant qu'il retirait sa carte de résident, en écartant, sans débat contentieux préalable, l'invocabilité de la liberté d'aller et venir et en exerçant un contrôle de moindre intensité de l'atteinte portée à sa vie privée et familiale ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, il fait l'objet d'une mesure d'expulsion susceptible d'intervenir à tout moment et est actuellement détenu en centre de rétention administrative à cette fin et, d'autre part, aucune circonstance particulière de nature à renverser la présomption d'urgence applicable dans cette matière n'est caractérisée ;

- les arrêtés contestés portent atteinte à son droit à la vie privée et familiale ;

- cette atteinte est particulièrement grave en ce qu'en premier lieu, l'arrêté portant expulsion le place en situation irrégulière sur le territoire français alors qu'il disposait d'un droit au séjour pérenne, en deuxième lieu, il est en couple depuis 2013 avec une ressortissante française et ses enfants, dont son fils lourdement handicapé, et ses petits-enfants sont français et résident en France et, en dernier lieu, il est intégré professionnellement en France ;

- l'atteinte est manifestement illégale en raison de l'erreur d'appréciation entachant la mesure d'expulsion s'agissant de la caractérisation d'une menace grave à l'ordre public et de la disproportion avec le but poursuivi, ses anciennes condamnations pénales, les propos tenus dans ses vidéos diffusées sur le réseau " Tiktok ", son positionnement depuis cette diffusion, les allégations de toxicomanie retenues à son encontre ainsi que la circonstance selon laquelle d'autres utilisateurs du réseau social de la même nationalité auraient soutenu des positions similaires ne suffisant pas à justifier légalement l'édiction d'une telle mesure ;

- les arrêtés contestés portent une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir en ce qu'ils lui ont retiré son droit au séjour et que leur illégalité affecte celle de ce retrait.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 avril 2025, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et, d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 3 avril 2025, à 15 heures :

- Me Doumic-Seiller, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. A... ;

- M. A... ;

- les représentantes de M. A... ;

- les représentantes du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

à l'issue de laquelle la clôture de l'instruction a été fixée au 3 avril 2025 à 20 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. En vertu de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " l'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public ". Avant de prendre sa décision, l'autorité administrative doit, en application de l'article L. 632-1 du même code, aviser l'étranger de l'engagement de la procédure et, sauf en cas d'urgence absolue, le convoquer pour être entendu par une commission composée de deux magistrats relevant du tribunal judiciaire du chef-lieu du département où l'étranger réside ainsi que d'un conseiller de tribunal administratif. Celle-ci rend un avis motivé, après avoir, lors de débats publics, entendu l'intéressé, qui a le droit d'être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix.

3. Il résulte de l'instruction que M. B... A..., ressortissant algérien né le 12 août 1965, est entré en France une première fois en 1988 à l'âge de 23 ans, puis, après un éloignement du territoire le 27 juin 2008, y est à nouveau entré en septembre 2009 à l'âge de 44 ans. A compter de septembre 2010 lui ont été délivrés des certificats de résidence d'une durée d'un an jusqu'en mai 2014, puis des certificats de résidence d'une durée de dix ans, en dernier lieu le 15 mai 2024. Par deux arrêtés du 7 janvier 2025, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur a, d'une part, décidé l'expulsion du territoire français et le retrait du certificat de résidence de l'intéressé et, d'autre part, fixé l'Algérie comme pays de destination. Par une ordonnance du 29 janvier 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution des décisions portant expulsion et fixation du pays de destination. Par deux arrêtés du 14 mars 2025, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur a, après avis favorable de la commission d'expulsion du 12 mars 2025, de nouveau décidé, sur le fondement de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'expulsion de l'intéressé, en fixant l'Algérie comme pays de destination. M. A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d'en suspendre l'exécution sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Il relève appel devant le juge des référés du Conseil d'Etat de l'ordonnance du 25 mars 2025 rejetant sa demande.

4. Eu égard à son objet et à ses effets, une décision prononçant l'expulsion d'un étranger du territoire français porte, en principe et sauf à ce que l'administration fasse valoir des circonstances particulières, par elle-même atteinte de manière grave et immédiate à la situation de la personne qu'elle vise et crée, dès lors, une situation d'urgence justifiant que soit, le cas échéant, prononcée la suspension de l'exécution de cette décision. Il appartient au juge des référés, saisi d'une telle décision sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'apprécier si la mesure d'expulsion porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, en conciliant les exigences de la protection de la sûreté de l'Etat et de la sécurité publique avec la liberté fondamentale que constitue le droit de mener une vie familiale normale. La condition d'illégalité manifeste de la décision contestée, au regard de ce droit, ne peut être regardée comme remplie que dans le cas où il est justifié d'une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels la mesure contestée a été prise.

5. Pour prononcer, en application des dispositions de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 2, et au vu de l'avis favorable de la commission d'expulsion, l'expulsion de M. A..., le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur s'est principalement fondé sur la publication, au début du mois de janvier 2025, sur la chaîne qu'il avait créée et qu'il administre sur un réseau social, librement accessible à tous et qui comptait 138 000 abonnés, d'une vidéo dans laquelle il appelait à la violence contre un opposant politique au régime algérien, faits pour lesquels il a été condamné le 6 mars 2025, par un jugement correctionnel du tribunal judiciaire de Montpellier dont il a relevé appel, à cinq mois de prison avec sursis pour provocation publique et directe non suivie d'effet à commettre un crime ou un délit.

6. D'une part, si M. A... fait valoir qu'en l'absence de tout statut personnel lui conférant une autorité particulière, et alors qu'il aurait par ailleurs renoncé à toute utilisation des réseaux sociaux à l'avenir, les propos en cause, qu'il ne nie pas avoir tenus même s'il en minimise la portée, ne seraient pas susceptibles de constituer une menace actuelle et grave pour l'ordre public, il ne conteste pas sérieusement leur résonance et l'ampleur de leur audience, eu égard au nombre des abonnés à sa chaîne d'expression personnelle, et la poursuite de leur rediffusion, à laquelle il avait d'ailleurs lui-même initialement appelé. Il résulte par ailleurs de l'instruction, notamment des éléments fournis par le ministre de l'intérieur, que les propos dont la mesure d'expulsion qu'il a prise a pour objet de prévenir la réitération à partir du territoire national s'inscrivent dans le contexte d'une montée des menaces dont font l'objet les opposants aux autorités algériennes résidant en France, justifiant une vigilance particulière au regard des risques pour l'ordre public.

7. D'autre part, si M. A... fait valoir l'ancienneté de son séjour régulier en France et l'intensité de sa vie de famille dans ce pays, résultant de ce qu'il est le père et le grand-père de ressortissants français, dont l'un est en situation de handicap, et de ce qu'il entretiendrait depuis 2013 une relation de couple avec une ressortissante française, il résulte de l'instruction que ses enfants sont majeurs, que celui de ses enfants qui se trouve en situation de handicap est à la charge principale de sa mère, dont M. A... est divorcé depuis 2013, et que l'intéressé ne conteste sérieusement ni qu'il conserve des attaches en Algérie, pays où il se rend régulièrement, ni qu'il pourrait y recevoir la visite de sa famille. S'il se prévaut également de son insertion professionnelle en France, il se borne à faire état de quelques contrats de travail de courte durée. Il ne résulte ainsi pas de ces circonstances qu'eu égard à la gravité des risques pour l'ordre public que la mesure d'expulsion contestée a pour objet de prévenir, celle-ci porterait une atteinte manifestement disproportionnée à son droit au respect d'une vie privée et familiale normale, non plus, en tout état de cause, qu'à sa liberté d'aller et venir.

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en prenant les arrêtés litigieux, n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. M. A... n'est dès lors pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, qui n'est affectée d'aucune irrégularité ni erreur de droit, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de ces dispositions, a rejeté ses conclusions tendant à la suspension de leur exécution.

9. La requête de M. A... doit donc être rejetée, y compris ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Anne Courrèges et M. Nicolas Polge, conseillers d'Etat, juges des référés.

Fait à Paris, le 8 avril 2025

Signé : Pierre Collin


Synthèse
Formation : Juge des référés, formation collégiale
Numéro d'arrêt : 502945
Date de la décision : 08/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 08 avr. 2025, n° 502945
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. N Polge
Avocat(s) : SCP DOUMIC-SEILLER

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:502945.20250408
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