Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 4 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Sauvegarde du trotteur français demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 6 février 2025 par laquelle la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a validé les modifications substantielles apportées au programme de sélection du trotteur français proposées par la société d'encouragement à l'élevage du trotteur français le 8 novembre 2024 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la décision contestée porte inscription de l'étalon " Tactical Landing " au livre généalogique du trotteur français et autorise la reproduction par transport de sperme congelé ce qui, en premier lieu, porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts économiques des éleveurs et provoque une distorsion de concurrence entre eux, en deuxième lieu, amorce un processus irréversible de dilution génétique du trotteur français, en troisième lieu, engendre un risque de discrimination entre éleveurs au sein de l'Union européenne et, en dernier lieu, est susceptible d'avoir des conséquences négatives sur l'organisation des compétitions hippiques ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- d'une part, elle entachée d'irrégularité à raison, d'une part, de l'absence d'agrément de la société d'encouragement à l'élevage du trotteur français (SETF) en tant qu'organisme de sélection et, d'autre part, de l'incompétence du conseil d'administration de la SETF pour adopter la mesure de modification du programme de sélection et du règlement du livre généalogique du trotteur français ;
- d'autre part, elle méconnaît les dispositions du règlement (UE) 2016/1012 dit règlement zootechnique de l'Union européenne (RZUE) en ce que, en premier lieu, elle ne poursuit aucun des objectifs prévus par ce dernier, en deuxième lieu, ce n'est pas la commission de l'élevage mais un tiers qui est à l'origine de la mise en œuvre d'une inscription dérogatoire au livre généalogique, en troisième lieu, elle n'a pas fait l'objet d'une concertation ou d'une étude d'impact, en quatrième lieu, elle remet en cause la notion de " race pure " du trotteur français au sens du RZUE au profit d'une rentabilité économique immédiate et, en dernier lieu, l'autorisation de transport de semence congelée ne poursuit aucune logique d'efficacité ou d'amélioration de la race du trotteur français et entraîne une situation de discrimination incompatible avec la règlementation européenne.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) 2016/1012 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 relatif aux conditions zootechniques et généalogiques applicables à l'élevage, aux échanges et à l'entrée dans l'Union de reproducteurs de race pure, de reproducteurs porcins hybrides et de leurs produits germinaux et modifiant le règlement (UE) n° 652/2014 et les directives du Conseil 89/608/CEE et 90/425/CEE, et abrogeant certains actes dans le domaine de l'élevage d'animaux ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.
2. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit, enfin, être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés statue.
3. Il ressort des pièces du dossier que, par une délibération du 4 novembre 2024, le conseil d'administration de l'association Société du trotteur français, SETF, agissant en qualité d'organisme de sélection pour la race équine du trotteur français, a validé le principe du recours à un étalon américain, de race " standardbred ", dénommé " Tactical Landing ", pour la réalisation, sur une période de deux ans, de cent vingt saillies sur des juments de la race " trotteur français ". La SETF a soumis en conséquence, le 8 novembre 2024, à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, une modification substantielle des articles 7 et 14 du règlement du livre généalogique du trotteur français qui fait partie du programme de sélection de la race " trotteur français ". Cette modification a pour objet de permettre l'utilisation de semence congelée dans le cadre dérogatoire du recours à un reproducteur non inscrit à la naissance au livre généalogique du trotteur français afin que les produits qui en seront issus puissent faire l'objet d'une telle inscription. L'association Sauvegarde du trotteur français demande, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision de la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire portant approbation de cette modification.
4. Pour justifier de l'urgence de la suspension de l'exécution de la décision contestée, l'association requérante, après avoir indiqué que les premières inséminations avaient commencé le 25 février dernier et que 12 saillies avaient déjà eu lieu, se prévaut de ce que cette participation d'un étalon de race étrangère à la reproduction des chevaux de race " trotteur français " va avoir des conséquences difficilement réversibles, en premier lieu, au plan économique à raison des distorsions de concurrence qu'elle va entraîner entre éleveurs et du risque de déstabilisation du marché de l'élevage du trotteur français qu'elle va générer, en deuxième lieu, sur la race " trotteur français " elle-même à raison de la dilution de son patrimoine génétique qu'elle va entraîner et, en dernier lieu, sur l'organisation des courses hippiques du fait de la participation des chevaux issus de ce croisement. Toutefois, les pièces produites par l'association requérante ne justifient pas de la portée des conséquences économiques de la modification du programme de sélection de la race " trotteur français ". En effet, son seul effet à court terme porte sur une autorisation de saillie de 60 juments de race " trotteur français " par an sur une période de deux ans alors que chaque année 350 étalons de race " trotteur français " donnent naissance à plus de 8 800 produits. Par ailleurs, l'incidence immédiate de la mesure sur les courses hippiques n'est pas établie dans la mesure où les chevaux nés de ces inséminations ne pourront pas participer à des courses avant l'année 2028. Enfin le risque allégué de modification irréversible du patrimoine génétique des chevaux de race " trotteur français " n'est pas plus démontré dès lors que les pièces au dossier mentionnent qu'en 2022, 99,7 % des chevaux de race " trotteur français " avaient du sang de la race " standardbred " dans leur pédigrée et que ces chevaux avaient en moyenne 20 % de sang de " race pure ", 15 % de sang de race " standardbred " issu de croisements réalisés au début du vingtième siècle, 23 % de sang de race " standardbred " issu de croisements réalisés dans les années 1980 et 1990 et 8 % de sang d'autres races. Si l'association requérante se prévaut aussi de ce que la SETF ne disposerait plus de l'agrément d'organisme de sélection et que la modification substantielle apportée au programme de sélection de la race " trotteur français ", d'une part, ne répondrait pas aux critères de l'article 8 du règlement (UE) 2016/1012 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 relatif aux conditions zootechniques et généalogiques applicables à l'élevage, aux échanges et à l'entrée dans l'Union de reproducteurs de race pure, de reproducteurs porcins hybrides et de leurs produits germinaux, et, d'autre part, comporterait des risques de méconnaissance du principe de non-discrimination en fonction de la nationalité entre les éleveurs et les organismes de sélection, la nature des illégalités qui affecteraient la décision contestée est, par elle-même, sans incidence sur l'appréciation de la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 précité. Il s'ensuit que cette condition n'est en l'espèce pas remplie.
5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence de moyens propres à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, la requête de l'association Sauvegarde du trotteur français doit être rejetée selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'association Sauvegarde du Trotteur Français est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Sauvegarde du Trotteur Français.
Fait à Paris, le 14 avril 2025
Signé : Nathalie Escaut